Onze nouvelles, onze destins. Autant de personnages que l’on
croise au moment où tout bascule, à cette seconde précise où on pourra ensuite
dire qu’il y a eu un « avant » et un « après ». Que
celui-ci donne les résultats escomptés importe peu au fond. Il faut savoir
saisir l’instant de déséquilibre pour ce qu’il est, un synonyme de mouvement, qui
peut mener aussi bien à l’effondrement qu’à une libération.
D’entrée de jeu, la table est mise. Avec « Le sacrifice »,
on passe en quelques lignes de l’autre côté du décor, dans la tête d’un
cuisinier excentrique qui cherche « la » recette, « le »
concept qui lui permettra de clouer le bec à tous ceux qui auraient pu douter
de lui. La chute s’avérera fatale. Difficile ensuite de ne pas se crisper en
lisant « Le cinquième commandement », une micronouvelle d’une rare
puissance qui réussit à jeter un regard différent sur un sujet que l’on croyait
épuisé. Après ces coups de massue, « Ménage à trois » fera presque
sourire, parce que l’on comprend dès le départ que la situation condamnée
d’avance.
L’enfance est au cœur de nombreuses nouvelles de Saccades : « Le cinquième
commandement », « Luc-sur-mer » (dans laquelle l’eau n’apporte
aucun réconfort), « Vertige » (sise dans une église), « Chez les
loups » (cruelle relecture du Petit
chaperon rouge), « Salut, La Saline » (peut-être la plus délicate
du lot). Pourtant, chez Maude Poissant, il n’est jamais question d’une enfance
aux couleurs pastelles. L’ombre reste indissociable la lumière, l’innocence
condamnée dès le début sans doute à être perdue. On grandit par à-coups, on
comprend par soubresauts, qu’on l’accepte ou non.
Même si les onze personnages ne se seraient
vraisemblablement jamais croisés dans un monde « réel », il faut
admettre que l’auteure a réussi à unifier de façon presque souterraine ce
recueil. On reconnaît déjà un ton, une marque de fabrique, mais surtout un
souffle, que les phrases se résument à quelques mots ou deviennent paragraphe
entier. Une voix qui continue de hanter l’imaginaire, plusieurs semaines après
que le livre aura été refermé.
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