Till Fellner a offert hier soir un récital exceptionnel aux festivaliers d'Orford, confirmant la richesse de sa palette sonore, sa profonde compréhension des textes interprétés et une indéniable maîtrise de l'architecture. Chez lui, aucun accent incongru, aucune phrase qui n'ait été décortiquée pour que l'auditeur puisse en comprendre la prosodie, aucun manque de souffle. Chaque note est à sa place, sans pour autant que l'on ressente une quelconque impression d'artifice, de contrôle abusif. La musique respire, parle, agit.
On retiendra particulièrement les Davidsbündlertanze de Schumann proposées en deuxième partie de concert, que l'on souhaiterait gravées très bientôt par le pianiste autrichien. Alors que des centaines d'autres se cassent les doigts sur ces miniatures, Fellner a compris d'emblée la galerie de personnages que Schumann a établie, sans jamais oublier l'élément dansant inhérent au titre. Chaque mouvement possède un caractère distinct, unique, qui va bien au-delà de la catégorisation Eusebius et Florestan, la verticalité de l'écriture se liant tout naturellement à l'horizontalité des mélodies d'une grande richesse. Le piano que l'on avait pu croire limité dans le Mozart proposé en début de concert se déploie cette fois avec une rare élégance, chaque angle ayant été attentivement limé, chaque phrase menée à son apex, rendant le tout parfaitement compréhensible. L'écoute particulièrement attentive du public, les quelques soupirs qui ont souligné certaines pages particulièrement réussies, témoignaient de la maîtrise avec laquelle Fellner transmettait les moindres détails de la partition.
Fellner a proposé il y a quelques années aux mélomanes une intégrale remarquée du premier cahier du Clavier bien tempéré de Bach. On attendait donc avec une certaine impatience les quatre extraits du deuxième livre (qu'il se propose d'enregistrer sous peu). La définition des voix et l'intelligence du texte demeurent indéniables. Il a ainsi offert un cinquième prélude éclatant, un sixième prélude et fugue d'anthologie et une grande subtilité dans le huitième couplage.
La Sonate de Haydn Hob. XVI: 37, en ré majeur, s'inscrivait parfaitement dans la continuité des pages de Bach proposées. Le mouvement lent, en ré mineur, se lisait presque comme une extension de la fugue dans la même tonalité, alors que le premier mouvement, pris presque presto (sans qu'aucune note n'ait été échappée), allait appuyer la couleur éclatante du cinquième prélude. Sous les doigts de Fellner, le rondo est devenu presque orchestral, chaque couplet étant sculpté avec attention, autant d'instants parfaits qui ouvraient la voie au Schumann qui suivrait.
Première pièce au programme, le Rondo en la mineur de Mozart ne m'a pas semblé ajouter quoi que ce soit au propos. Pris à un tempo un iota sous ce qui aurait permis aux phrases de respirer naturellement, la page devenait étrangement fade, plus verticale que lyrique, dissertation plutôt que confidence. Les derniers instants du Schumann s'étaient révélés si parfaits qu'un rappel semblait inutile. Généreux, Fellner a néanmoins offert un très beau « Lac de Wallendstadt ». tiré des Années de pèlerinage de Liszt.
Quelques notes périphériques en terminant. Je n'étais pas retournée à Orford depuis la rénovation de la salle. Difficile de juxtaposer le confort indéniable et l'acoustique calibrée d'hier soir avec les souvenirs de concerts parfois douloureux pour le postérieur, avec coulisses apparentes, humidité ambiante (et parfois moustiques à l'avenant). Chapeau, même si on aurait peut-être souhaité qu'un certain élément de rusticité ait été retenu dans la décoration. Belle idée de rappeler au public que le Festival d'Orford est avant tout une académie musicale de haut niveau et de faire faire entendre des étudiants. Je pense que ceux-ci - et le public - seraient mieux servis si on proposait un véritable pré-concert (à 19 h 30 peut-être), dans la rotonde plutôt que dans la salle.
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