Pour cette édition, j’avais pensé rédiger un éditorial qui
aurait juxtaposé ce que plusieurs appellent le « néo-terroir » (Chez la reine d’Alexandre McCabe en
demeure un exemple probant) et la jeune littérature urbaine, qui se sert de
thèmes et de situations associés à la métropole, comme Titre de transport d’Alice Michaud-Lapointe, notre Recrue ce
mois-ci. Et puis, l’attentat à Charlie
Hebdo a rendu tout cela affreusement stérile comme proposition. Cet acte de
violence a suscité un véritable raz-de-marée médiatique et sur les réseaux
sociaux. Des manifestations de soutien massives « Je suis Charlie »
ont fleuri, des minutes de silence ont été respectées, des musiciens ont joué
l’Adagio de Barber à Trafalgar
Square, des citoyens se sont mobilisés un peu partout. Comment ne pas se
laisser émouvoir par ces foules, rassemblées en une même vigie? Et puis, le
vent a tourné. On s’est mis à s'insurger, à condamner. Il faudra prendre une
certaine distance, faire très attention aux prochains gestes qui seront posés,
par nos gouvernements, mais aussi par chacun d'entre nous.
Titre de transport
m’est alors apparu comme un appel à la tolérance, une ode à la diversité de
Montréal. Station Villa Maria, de jeunes Québécoises de première génération se
disputent les faveurs des garçons. Station Plamondon, on croise un chauffeur de
taxi ayant fui le Rwanda. Station Côte-des-Neiges, un parmi des milliers de désinstitutionnalisés
crie sa hargne. Station Préfontaine, Gloria gère avec difficulté sa solitude et
son obésité. Autant de voix qui cherchent à se faire entendre, d’humains – comme
vous et moi – qui ne demandent qu’à être vus, reconnus. Combien de fois
avons-nous détourné le regard, par égoïsme, par peur?
Des semaines après avoir lu le recueil, j’ai cru avoir
croisé le jeune couple d’itinérants de la station Berri-UQÀM. Ils sont entrés
avec une certaine nonchalance à Lionel-Groulx, arborant des bermudas malgré les
températures hivernales. Le garçon s’est ouvert une bière, à quelques
centimètres à peine d’une femme bien mise qui ne savait plus comment réagir. Il
a caressé les cheveux de sa copine, s’est penché vers elle, puis m’a regardée
en disant : « Je pense qu’elle aime la musique! » Comme souvent,
je portais un foulard sur lequel est dessiné un clavier. J’ai fermé mon livre
et lui ai répondu : « On ne peut pas dire que je m’en cache, n’est-ce
pas? » Il a alors souri et levé son pouce dans les airs : « Tu
joues du piano? Cool… Moi, c’est de la guitare! » Une connexion venait de
s’établir. Visiblement épuisé, il a ensuite mis sa tête dans le cou de la jeune
fille, puis a retrouvé Morphée. Un de ces instants formidables quand la vie
dépasse la fiction…
Troublant synchronisme, notre chronique jeunesse est
consacrée à Ici, c’est différent de là-bas de Naïma Oukerfellah,
qui traite d’adaptation, tout comme Mot de
Julie Hétu, à la fois tendre et violent, Cybèle fuyant la guerre du Liban pour
l’Espagne. Nous retrouverons aussi Valérie Carreau, ancienne Recrue, qui signe
avec Une mère exceptionnelle un
premier roman qui aborde un sujet difficile. On se laissera assurément porter
par les personnages du recueil de nouvelles Quelqu’un
de Sylvie Gendron, en constante recherche d’eux-mêmes.
Dans ses réponses à notre questionnaire, Alice
Michaud-Lapointe évoque son voyage en Indonésie : « On dormait dans des endroits où la nuit nous coûtait environ 2 $,
on mangeait des nouilles frites parfois matin, midi et soir, on se lavait avec
des seaux d’eau froide remplis de petits moucherons morts, on prenait le train
des “locaux” pendant 12 h pour ensuite dormir par terre à l’aéroport de
Jakarta. On s’était habitués aux cafards volants, aux pannes d’électricité
quotidiennes, aux toilettes qui refluent. Le genre de voyage qui t’apprend à
sortir de toi, à te voir sous un jour complètement différent. »
En cette nouvelle
année qui s’amorce de façon bien trouble, je ne vous souhaite au fond qu’une
chose : du temps pour vous retrouver.
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