jeudi 15 janvier 2015

La recrue de janvier: Alice Michaud-Lapointe

Pour cette édition, j’avais pensé rédiger un éditorial qui aurait juxtaposé ce que plusieurs appellent le « néo-terroir » (Chez la reine d’Alexandre McCabe en demeure un exemple probant) et la jeune littérature urbaine, qui se sert de thèmes et de situations associés à la métropole, comme Titre de transport d’Alice Michaud-Lapointe, notre Recrue ce mois-ci. Et puis, l’attentat à Charlie Hebdo a rendu tout cela affreusement stérile comme proposition. Cet acte de violence a suscité un véritable raz-de-marée médiatique et sur les réseaux sociaux. Des manifestations de soutien massives « Je suis Charlie » ont fleuri, des minutes de silence ont été respectées, des musiciens ont joué l’Adagio de Barber à Trafalgar Square, des citoyens se sont mobilisés un peu partout. Comment ne pas se laisser émouvoir par ces foules, rassemblées en une même vigie? Et puis, le vent a tourné. On s’est mis à s'insurger, à condamner. Il faudra prendre une certaine distance, faire très attention aux prochains gestes qui seront posés, par nos gouvernements, mais aussi par chacun d'entre nous.  

Titre de transport m’est alors apparu comme un appel à la tolérance, une ode à la diversité de Montréal. Station Villa Maria, de jeunes Québécoises de première génération se disputent les faveurs des garçons. Station Plamondon, on croise un chauffeur de taxi ayant fui le Rwanda. Station Côte-des-Neiges, un parmi des milliers de désinstitutionnalisés crie sa hargne. Station Préfontaine, Gloria gère avec difficulté sa solitude et son obésité. Autant de voix qui cherchent à se faire entendre, d’humains – comme vous et moi – qui ne demandent qu’à être vus, reconnus. Combien de fois avons-nous détourné le regard, par égoïsme, par peur?

Des semaines après avoir lu le recueil, j’ai cru avoir croisé le jeune couple d’itinérants de la station Berri-UQÀM. Ils sont entrés avec une certaine nonchalance à Lionel-Groulx, arborant des bermudas malgré les températures hivernales. Le garçon s’est ouvert une bière, à quelques centimètres à peine d’une femme bien mise qui ne savait plus comment réagir. Il a caressé les cheveux de sa copine, s’est penché vers elle, puis m’a regardée en disant : « Je pense qu’elle aime la musique! » Comme souvent, je portais un foulard sur lequel est dessiné un clavier. J’ai fermé mon livre et lui ai répondu : « On ne peut pas dire que je m’en cache, n’est-ce pas? » Il a alors souri et levé son pouce dans les airs : « Tu joues du piano? Cool… Moi, c’est de la guitare! » Une connexion venait de s’établir. Visiblement épuisé, il a ensuite mis sa tête dans le cou de la jeune fille, puis a retrouvé Morphée. Un de ces instants formidables quand la vie dépasse la fiction…

Troublant synchronisme, notre chronique jeunesse est consacrée à Ici, c’est différent de là-bas de Naïma Oukerfellah, qui traite d’adaptation, tout comme Mot de Julie Hétu, à la fois tendre et violent, Cybèle fuyant la guerre du Liban pour l’Espagne. Nous retrouverons aussi Valérie Carreau, ancienne Recrue, qui signe avec Une mère exceptionnelle un premier roman qui aborde un sujet difficile. On se laissera assurément porter par les personnages du recueil de nouvelles Quelqu’un de Sylvie Gendron, en constante recherche d’eux-mêmes.

Dans ses réponses à notre questionnaire, Alice Michaud-Lapointe évoque son voyage en Indonésie : « On dormait dans des endroits où la nuit nous coûtait environ 2 $, on mangeait des nouilles frites parfois matin, midi et soir, on se lavait avec des seaux d’eau froide remplis de petits moucherons morts, on prenait le train des “locaux” pendant 12 h pour ensuite dormir par terre à l’aéroport de Jakarta. On s’était habitués aux cafards volants, aux pannes d’électricité quotidiennes, aux toilettes qui refluent. Le genre de voyage qui t’apprend à sortir de toi, à te voir sous un jour complètement différent. »

En cette nouvelle année qui s’amorce de façon bien trouble, je ne vous souhaite au fond qu’une chose : du temps pour vous retrouver.



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