Avec Petits tableaux, Éloïse Lepage ose entrer dans le vif d’un sujet rarement abordé en littérature québécoise : peut-on vivre pleinement une maternité quand on consomme des substances illicites, s’est prostitué pour assouvir sa dépendance, entretient une relation ambivalente avec sa propre mère? Comment ose-t-on même se définir dans de telles circonstances? Peut-on le faire autrement qu’en survolant certains moments-clé de notre existence, par peur d’effaroucher celui qui nous rencontrera?
Éloïse Lepage a compris qu’il serait impossible pour le lecteur de saisir le personnage d’Anne-Si autrement qu’à petites touches. À travers une série de « petits tableaux » articulés autour des quatre éléments, entre narration fragmentée, juxtaposition de micro-nouvelles et recueil de poèmes en vers libres, elle nous raconte un parcours atypique, certes, mais auquel on peut néanmoins s’identifier. À coups de phrases hachées, la narratrice ne dissimule pas l’ambiguïté de l’attachement ressenti pour ses deux enfants, David et Marie-Célestine. Cette jeune fille qui n’a jamais su entièrement comment devenir femme ne se justifie en rien même si les éléments d’un passé troublé qui nous sont révélés au fur et à mesure permettent d’adoucir le portrait offert. « “Maman, je t’aime, même si tu as des trous dans ta mémoire. ” Je t’aime aussi, je t’aime aussi, je t’aime aussi, je t’aime aussi. Il y a des choses qu’on pense sans les dire et d’autres qu’on dit sans les penser. Ta gueule, mon ange, tu ne vois pas que je pleure. Et je pleure. Et David aussi. Et là, sans avertir, je m’entends dire : “Je t’aime aussi.” Ensemble on se liquéfie. »
Si certains passages semblent un peu forcés – comme si la violence de la narratrice avait été mal canalisée – l’écriture de Lepage bouscule adroitement le lecteur qui aurait peut-être considéré en temps normal s’extraire d’un contexte aussi malsain, mais voudra néanmoins accompagner, yeux grand ouverts, Anne-Si dans ce labyrinthe au cœur du soi.
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