Ne vous en faites pas trop si vous avez l'impression que je mets beaucoup de temps à lire L'héritage de Tata Lucie (vous admettrez que c'est un titre prédestiné pour moi)... c'est que, au travers de cette lecture, j'ai aussi sur ma table de lecture trois manuscrits. Ce ne sont pas les premiers - ni les derniers, souhaitons-le. J'ai même eu le plaisir d'apprendre récemment que deux manuscrits (ou tapuscrits selon la terminologie acceptée quand on parle d'un document informatique) auxquels j'ai collaboré se retrouvent en nomination pour le Prix Senghor, prix littéraire créé en 2006 décerné à un premier roman francophone: Les Murs d'Olivia Tapiero (déjà prix Robert-Cliche 2009) et Adieu vert paradis d'Alexandre Lazaridès (considéré pour le Robert-Cliche 2008). Histoire de rendre ce sujet brûlant d'actualité, un autre livre que j'ai eu le privilège de lire sous une forme préliminaire sera lancé dans les prochains jours.
Je vous rassure; je n'ai pas l'intention (pour l'instant du moins) de changer de métier et de devenir directrice littéraire. En effet, je serais sans doute beaucoup moins ravie d'exercer mes fonctions si je devais lire tous les projets de roman transmis à un éditeur en particulier. J'aime beaucoup travailler sur un work in progress (si l'enseignement ne l'est pas, je me demande bien ce qui l'est...), percevoir l'évolution d'un texte (ou d'une œuvre musicale travaillée) mais, soyons honnête, serait-ce aussi fascinée si je ne connaissais pas l'auteur personnellement?
Cela ne veut pas dire que je pratique la lecture complaisante. S'ils l'osaient, certains témoigneraient plutôt en ma défaveur là-dessus. Je ne me gêne pas avec le stylo rouge (oui, je suis rétro, je corrige sur des copies papier de façon générale) et les commentaires peuvent parfois sembler acerbes. On y retrouve aussi bien des corrections grammaticales que le relevé d'incohérences (le personnage qui change de nom en cours de roman, par exemple) et je n'y vais pas de main morte avec de lapidaires « kitschissime! », « galvaudé! », « tu te regardes écrire! », « indigestion de verbe être! » ou « je suis perdue: fais quelque chose ». Une amie m'a même transmis son manuscrit récemment (qui n'est même pas un premier roman) en me disant: « Je le sais, tu vas me lapider. » Grossière exagération, car je n'ai aucunement hésité à glisser des sourires dans son texte et quelques A+ quand un passage m'accrochait particulièrement.
En fait, je pratique une lecture « active », qui part de l'irritant léger (fautes d'accord ou coquilles) à l'analyse de la grande forme (de type « j'ai bien compris où tu voulais en venir avec tel personnage mais cet autre manque franchement de profondeur »). Faut-il être complètement désespéré pour m'envoyer un manuscrit? Pas du tout. Je pense que, au fond, les auteurs que j'ai eu le plaisir de lire ainsi (dans certains cas, j'ai lu trois ou quatre versions d'un même texte) savent que les commentaires émis n'ont rien de personnel et qu'ils se veulent purement objectifs, de la même façon que je suis capable d'enseigner le piano à des amis, n'ayant aucune difficulté à « oublier » les secrets partagés pour me concentrer sur l'interprétation entendue. Une fois mon travail complété, je suis ravie de retrouver les auteurs pour un verre, un repas, une conversation. Et quand, quelques mois plus tard (quand tout va bien), je reçois ma copie autographiée, j'ai quand même l'impression qu'il y a une infime partie de moi entre les lignes, ce qui franchement n'est pas désagréable du tout.
5 commentaires:
Parce que je te côtoie depuis plusieurs années (bientôt on ne les comptera plus!), je n'hésite à affirmer que tout ce que tu as écrit dans ce billet est absolument la personne que tu es. Rarement ai-je rencontré quelqu'un qui est autant capable de s'oublier lorsque vient le temps de transmettre une connaissance, un conseil, une passion. En même temps, tout ce que tu y mets de personnel, d'intime est ce qui convainc. L'équilibre entre la douceur de la confession et la nécessité intrinsèque de transmettre; tout bon pédagogue se reconnaîtra à ces mots.
Cela dit, me voilà bien peu surpris que tu aies choisi ce titre pour ton blogue, signe d'une filiation spirituelle certaine avec le célèbre Cantor...
à bon entendeur!
c'est comme ça que je corrige les écrits de mes élèves, donc c'est comme ça que je ferais pour des manuscrits: l'oeil du prof doublé de l'oeil de la lectrice ;-)
Douceur, objectivité... et fermeté !... Les trois mots d'or de l'enseignant, quel qu'il soit ;-)
Claudio: merci pour les fleurs...
Adrienne: une double lecture
Margotte: belle maxime! :)
tu crois que sinon je t'aurais envoyé mes deux manuscrits?
Tu es une amie sûre de celle que l'on a pas envie de perdre parce que justement tu sais dire et être sans mélo
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