Nous l’avons tous fait à un moment ou l’autre; isoler un inconnu dans un wagon de métro, une salle d’attente, une file à l’épicerie, l’examiner subrepticement et lui inventer un destin. Nous ne saurons jamais si notre imagination plus ou moins fertile aura évoqué une part même infime de réalité ou si, de façon parallèle, cet homme, cette femme, n’était pas en train de nous imaginer autrement. Pendant un an, Frédérique Dubé a croqué sur le vif des passants : 365 poèmes pour autant de vies, déposés sur un blogue. Elle a ensuite mis ces destins à plat, en a extrait 65, les a retravaillés, autant d’instants volés qui ont fini par se glisser dans ce très bel objet, sur papier glacé, paru aux Éditions d’art Le Sabord.
Tous les textes ne sont pas d’égal intérêt. Cela vient sans doute de l’attention que nous aurions nous-mêmes posés sur ces êtres extraits de la masse. Ne sommes-nous pas destinés à réagir plus viscéralement aux portraits de ceux qui auraient attiré notre regard? L’auteure se révèle particulièrement efficace dans les portraits tendres, par exemple celui de cette fillette (8 juillet), une nièce peut-être : « elle s’est endormie / une petite robe fleurie atterrie sur le lit / de fines boucles déposées sur l’oreiller / et une aile froissée / immobilité du vide d’une chambre respirant encore l’innocence des papillons ». Elle sait aussi extraire en quelques vers la douleur d’une situation insoutenable – « elle aurait voulu vivre une autre vie que la sienne / aurait voulu être un homme être un ilà temps plein / à temps engrossé » (24 octobre) – et faire le don de la parole à tous ces oubliés : « elle s’était effacée elle-même ainsi que sa vie / avait écrit ses moments de grâce / les avait copiés sur du papier carbone / avait archivé le tout » (30 novembre).
La langue de Frédérique Dubé se décline en général de façon fluide, mais on bute ici et là sur des allitérations si travaillées qu’elles sonnent faux (« la chute chuchote cherche le creux du vide du tout qui ne se pose nulle part »), aspérités que l’auteure gommera sans doute dans un deuxième opus. Force indéniable, le recueil se lit aussi bien qu’il se dit, peut se feuilleter comme un cahier d’esquisses, mais aussi comme une peinture d’époque. Au fond, ne sommes-nous pas tous en attente d’être vus, écoutés, devinés?
« lui là-bas il était prêt / son imperméable sur le dos / son corps espérait qu’on le raconte / des regards par intermittence / jetés aux regrets / et aux nombreux attachements / il m’exprimait sa gratitude / de l’épier calmement / ses bottines s’effaçaient progressivement / de mon champ de vision / opacité s’estompant sur la trace des ombres » (11 mars)
2 commentaires:
C'est intéressant et l'édition semble superbe. Je vais tenter de trouver son blogue s'il est encore en activité.
On peut lire les textes non retenus au http://365passants.com/
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