Comment dire à l'autre qu'après des années passées à ses côtés, alors qu'on avait cru rendre notre dernier souffle dans ses bras, qu'il nous étouffe? « Je suis prisonnier », balancera d'emblée Stan, metteur en scène, affirmation tempérée peu après par un « on aimait s'aimer » presque fataliste et une évocation toute en tendresse de ce qu'aurait pu être l'amour, qu'il balaiera du revers de la main en lui jetant au visage qu'il ne ressent plus de désir pour elle, qu'il pourrait en éprouver pour une autre. Pendant une heure, il analyse, dissèque, abusant de termes techniques, parle de « reparamétrage », de « paradigmes.». Pour Stan, l'amour, comme la vengeance, est un plat qui se mange froid. Pendant ce temps, Audrey encaisse, laisse ses mots la traverser, entre douleur et déni, confrontation et effondrement, bravade et larmes. Il a la main sur la poignée de porte, pense s'en tirer à bon compte. Il a déjà réquisitionné la chaise à broderie rose et un croquis. Sa vie sera ailleurs, point barre.
Mais, bien sûr, Audrey réplique, retourne ses arguments contre lui. « Qui parle comme ça? Qui pense comme ça? » Sous le tir nourri, le ton grande tragédienne (après tout, le personnage est une actrice), Stan s'effondre, se liquéfie sous nos yeux. Alors que lui parlait de « ce spectacle, notre spectacle », elle va bien plus loin en assénant un « Tu tues notre langue commune. » À l'excès, elle répond par la nuance, dressant une touchante liste de ces moments de tendresse qui jalonnent une vie à deux, moment peut-être le plus déchirant de la pièce. Au « en garde » sous-entendu de l'homme, elle réplique par un « je garde ».
Le texte de Pascal Rambert a été travaillé au scalpel, les monologues juxtaposés devenant deux dialogues continus, dont l'un des deux intervenants ne peut réagir que par le corps. Maude Guérin tire mieux son épingle du jeu que Christian Bégin et démontre une fois de plus l'étendue de sa palette expressive. Lors du monologue de ce dernier, son corps crie ce qu'elle tait et on piaffe presque d'impatience qu'enfin, elle trouve les mots pour le remettre à sa place, raconter son côté de l'histoire. Quand elle parle, celui-ci semble disposer d'une palette physique passablement moins développée. Est-ce un choix conscient ici du metteur en scène Christian Vézina qui, même si le texte ne prend pas parti pour l'un ou l'autre, le fait indirectement? On pourra aussi questionner les légères latitudes prises avec le texte pour le « québéciser ». Avait-on absolument besoin d'ajouter ici et là quelques sacres pour mieux rejoindre le spectateur? S'il y a un sujet universel, auquel chacun pouvait apposer son vécu, douloureux ou non, c'est pourtant bien celui de la rupture amoureuse.
« Quelle horreur, la fin de l'amour! » On ne peut que sortir ébranlé du théâtre, avec l'impression d'avoir traversé à découvert un véritable champ de bataille. Douloureux, mais nécessaire.
Jusqu'au 6 décembre au Théâtre de Quat'Sous.
2 commentaires:
Tu crois que le texte existe en publication...
Je l'ai vu en ligne, éditions Les solitaires intempestifs.
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