Hamlet occupe une place à part pour moi dans le corpus shakespearien. Oui, bien sûr, Roméo et Juliette déborde de vers que l'on aime se remettre en bouche, La tempête reste une merveilleuse mise en abyme du théâtre... La liste est longue certes, mais au milieu de ces bijoux que l'on se plaît à voir traduits, adaptés, montés de façon parfois extravagante, Hamlet fonctionne presque à tout coup, à condition d'avoir un acteur magnétique dans le rôle-titre (on se souviendra de Benoit McGinnis au TNM récemment) et une Ophélie aérienne, qui peut idéalement plonger dans des profondeurs insoupçonnées pendant la scène de la folie.
Le metteur en scène Martin Tulinius du Théâtre République (qui nous vient de Copenhague) dispose assurément d'un Hamlet de rêve avec Caspar Phillipson, plus grand que nature quand drapé dans sa folie, mais réussissant néanmoins à établir un rapport d'une rare intimité avec le public, notamment dans l'extrait du célèbre monologue « To be or not to be ». (Le choix d'allumer les lumières dans la salle à ce moment précis, assez audacieuse, fonctionne d'ailleurs à merveille.) L'Ophélie de Nanna Trouver Koppel relève quant à elle d'une esthétique très nouveau cirque, qu'elle devienne fildefériste sur son lit, dorme enlacée à Hamlet en apesanteur ou marche sur les flots avant d'y sombrer. Les autres personnages (résumés ici à Gertrude, Claudius, Laërte et Polonius) n'auraient pas déparé quant à eux une production déjantée de L'opéra de quatre sous de Brecht, tout comme la musique de Martyn Jaque, tributaire de Kurt Weill, avec quelques accents klezmer,
Entouré de ses deux impassibles comparses des Tiger Lilies (Adrian Stout aux cordes et à la scie, Mike Pickering aux percussions), Jaque et sa voix si particulière de falsetto deviennent maîtres du jeu, ultimes manipulateurs de l'action, commentant plutôt qu'annonçant l'action, permettant au spectateur de se concentrer alors sur les visuels souvent très puissants contenus dans cette vision plus onirique que franchement noire de la pièce de Shakespeare.
Les puristes espérant réentendre certaines tirades seront peut-être déçus. Pourtant, la relecture de Martin Tulinius reprend tous les moments charnières de la pièce, suggère plutôt qu'elle n'impose, malgré quelques images fracassantes, alors que la scénographie s'effondre littéralement - au ralenti - sur les protagonistes ou que la pièce dans la pièce devienne immense théâtre de marionnettes, soulignant à gros traits l'impossibilité pour les protagonistes d'échapper à leur destin.
À voir impérativement (si votre maîtrise de l'anglais est suffisante), d'ici au 18 novembre à la Cinquième Salle.
Énorme coup de cœur pour la pièce Release me, qui accompagne les derniers instants d'Ophélie, que l'on peut entendre ici.
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