On m’avait vanté la proposition de la troupe australienne
Circa et du Quatuor Debussy, articulée autour de trois quatuors de
Chostakovitch. Je m’attendais à être séduite, mais pas à ce point, car en effet,
dans Opus, tout s’articule parfaitement.
Contrairement à la plupart des spectacles de cirque, la
musique ne fait pas que soutenir les prouesses. Elle les inspire; mieux, elle
les justifie. Absolument rien de gratuit ici : chaque geste naît de la
musique de Chostakovitch, de son univers, de l’ère soviétique au cours de
laquelle il a cherché à s’émanciper des diktats, à transformer des musiques
patriotiques en critiques grinçantes de la société, à décrier la guerre, à
pleurer les purges. Autant d’émotions brutes qu’il confie de façon intime dans
ses quatuors, moins scrutés par Staline et ses sbires que sa musique
symphonique.
D’entrée de jeu, la chute dramatique du numéro de sangles
nous invite à plonger dans cette musique exigeante, à laisser la force des
images nous envahir. Impossible de contempler les pyramides humaines sans
penser aux structures érigées, les numéros dans lesquels les acrobates se
propulsent dans de multiples directions les mains dans le dos au peuple
soviétique qui, les mains liées par la doctrine aussi bien que par les rafles,
continue d’avancer, d’être déporté – image forte que ces corps roulant sur
eux-mêmes pour servir de rails –, de compter ses morts (moment bouleversant
quand un des interprètes récupère trois corps tombés au combat).
Photo: Justin Nicholas |
Les membres du Quatuor Debussy livrent une interprétation
absolument saisissante des quatuors – qui donne envie de se plonger dans leur
intégrale en six disques –, interagissent avec les acrobates, qu’ils offrent
leur chant déchirant à une trapéziste ou soient forcés de jouer les yeux bandés.
Rarement pourra-t-on voir un spectacle aussi cohérent, aussi réfléchi jusque
dans ces moindres gestes.
À voir absolument d’ici au 26 novembre à la TOHU!
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