La voix humaine reste l'une de ces pages particulièrement exigeantes du répertoire. Poulenc y a travaillé en maître les textures, l'orchestre soutenant et dialoguant avec la soprano, l'alternance des récitatifs et des passages plus lyriques se révélant difficile à gérer pour toute chanteuse, même chevronnée. Quelle surprise de réaliser dès les premiers instants que France Bellemare se révélait une interprète idéale: voix puissante sans jamais être forcée, présence scénique indéniable et maîtrise totale des subtilités de la partition.
La question du mensonge joue un rôle essentiel dans cette relecture de la pièce de Cocteau, la femme mentant sur sa tenue vestimentaire ou affectant un détachement qu'elle ne ressent pas. La soprano a su, grâce à un habile jeu d'intonations qui, parfois, vont à l'encontre du texte chanté, démontrer une compréhension toute en subtilité du personnage. Boris Brott et l'Orchestre de chambre McGill la suivaient pas à pas, respiraient avec elle, se glissaient dans les interstices du texte, devenaient personnages, transmettaient l'atmosphère si particulière de cette oeuvre.
La mise en scène sobre, mais efficace de Martine Beaulne ne surchargeait pas inutilement le propos, le téléphone lui-même ne s’immisçant jamais dans la fluidité de la transmission, tout comme l'utilisation des quelques accessoires et des différents lieux de la chambre.
De par sa forme même, proche de Broadway et de la pop radiophonique des années 50, Trouble in Tahiti est l'une de ces pages qui plaisent instantanément. On y retrouve les talents de mélodiste de Bernstein, les transitions serrées. Le trio de jazz tout droit sorti d'un jeu télévisé remplace le chœur grec, commente l'action et sert d’accessoiristes. On reconnaît d'entrée de jeu la signature Oriol Thomas, cette effervescence dans les textures et les propositions qui favorisent les lectures multiples (fortement chargées d'humour ici). Le décor monochrome de Laurence Mongeau (qui signe aussi les très beaux costumes) et Simon Lefebvre qui se déconstruit au fur et à mesure des sept scènes est particulièrement réussi, les élément de cette installation que certaines galeries d'art auraient volontiers accueillie redevenant table, chaises, objets du quotidien.
On peut s'interroger ici sur la nécessité d'amplifier les chanteurs. Cherchait-on à transmettre une vision plus « pop » de l'opéra? Je crois que tous auraient eu avantage à pouvoir projeter un peu plus et révéler le véritable grain de leur voix. Un évident problème de calibrage des micros a ainsi fait entièrement disparaître Magali Simard-Galdès de la première apparition du trio jazz et le vibrato dans les passages plus classiques du premier duo Dinah/Sam devenait grossièrement exagéré. Les problèmes se sont résolus par la suite, Alexandra Beley nous livrant notamment un très beau « I was standing in a garden » (page magique s'il en est une) et Josh Whelan se révélant un acteur consommé.
Dommage que la production n'ait pas été présentée deux ou trois soirs...
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