Illusions d'Ivan Viripaev est une pièce redoutable. Elle nous enveloppe d'abord avec une douceur certaine, alors que l'on nous raconte les derniers instants de Dennis, qui exprime toute sa reconnaissance à Sandra pour l'avoir accompagné avec amour pendant plus de 50 ans. Puis, progressivement, de façon presque insidieuse, elle nous enserre, nous confronte, nous pousse à douter de tout, de ce qu'on nous raconte sur scène, de ce que l'on croit véritable dans notre quotidien.
Et si Sandra, elle, avait passé sa vie avec Dennis, mais en fait se mourait d'amour pour Albert? Et si Margaret, femme d'Albert, elle aussi avait un lourd secret qu'elle n'avait jamais révélé? Et si...? Une histoire n'est après tout jamais qu'une fiction jusqu'à un certain point, que celle-ci fasse partie du vécu de quelqu'un ou qu'elle ait été inventée de toute pièce par un dramaturge qui n'en est pas à ses premières confrontations avec le spectateur.
Ce chassé-croisé entre deux couples, ces récits d'amours et d'amitiés parallèles (ou pas), sont racontés par des narrateurs sans nom, que l'auteur suggère dans la trentaine, interprétés ici par des acteurs en ayant dix de plus, qui servent de porte-voix à des octogénaires, ce qui rend les lignes entre récit et fiction, mensonge et vérité, d'autant plus troublant. Sur une scène dépouillée de tout accessoire (hormis ceux qui se trouvent sur un chariot comprenant tout le nécessaire de bar, mais aussi des raquettes de badminton), la parole est reine. Le souvenir aussi, passé au filtre d'une certaine nostalgie la plupart du temps, mais aussi parfois d'un humour mordant. Les vidéos de David B. Ricard prolongent adroitement cette impression de temps suspendu, que l'on se laisse bercer par le mouvement incessant des vagues qui se jettent sur le sol plutôt que de rester en aplats ou que l'on contemple une ville endormie ou rêve devant le souvenir d'un ciel australien.
Le texte est bien défendu par les quatre comédiens (mention spéciale à Marie-Ève Pelletier), mais on ne comprend pas toujours la distanciation qu'a voulu pratiquer le metteur en scène Florent Siaud, qui nous avait pourtant offert une relecture presque parfaite de Quartett de Müller. Si la partie de badminton entre copains peut nous aider à comprendre les liens entre les quatre protagonistes (aussi bien diseurs que personnages évoqués), les autres interludes laissent souvent perplexes, que ce soit cette danse effrénée démultipliée par effets stroboscopiques, cette scène de beuverie ou pire encore ce décalé karaoké qui résume la pièce, qui semble annihiler d'un seul coup l'atmosphère douce, mais subversive qui s'était installée pendant les presque deux heures précédentes.
Une voix dramaturgique à suivre assurément...
Jusqu'au 11 avril au Prospero.
2 commentaires:
Le Prospero nous offre encore de belles surprises cette année ! C'était un plaisir de vivre ce spectacle avec toi :)
Toujours un plaisir de passer une soirée en ta compagnie! :)
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