Les recueils de nouvelles ont parfois cette fâcheuse tendance à vous échapper. Vous refermez le livre, le glissez dans votre bibliothèque et, quelques semaines plus tard, vous vous dites que vous avez oublié toutes ces bribes de destins, évoqués à mots plus ou moins couverts. Pourtant, je garde un souvenir très précis de La légende des anonymes et autres promenades de Jérémie Leduc-Leblanc, lu il y a plus de deux ans. Au-delà des effluves plus ou moins délétères de deux ou trois personnages forts qui me reviennent encore (ah! cette Rose de Panamá!), ce qui me reste de ce premier recueil est plutôt question de ton, de rythme, de timbre, une façon presque nonchalante de se promener d’un registre à l’autre, de plonger à chaque fois dans le vif d’une émotion.
Quelques pages de La désolation ont suffi pour que je retrouve cette voix unique que possède Jérémie Leduc-Leblanc, même si les univers m’ont paru ici encore plus désespérés – le titre n’a certes pas été choisi au hasard –, plus irréversibles peut-être. L’air que les protagonistes respirent est raréfié, qu’ils en soient à leurs dernières secondes (« Les amants d’un jour » ou « Un soir de pluie ») ou aux derniers mois d’une vie (« Et maintenant »). « Maintenant, il n’y a plus que ce mot. / Et lui seul, désormais, pour l’enlacer. / Ses bras pour l’étreindre. / Et ses doigts pour lui fermer les yeux. / Jusqu’à la fin. / Il ne la quittera plus. » Avec cette précision – qui n’a rien de chirurgical – qui lui est propre, l’auteur capte cet infime moment où tout peut basculer, cette seconde de déséquilibre profond, qui reste en travers de la gorge ou continue d’habiter, des années après. « Encore aujourd’hui, je t’aime sans réserve comme un corps à la dérive, radeau sans voile sur un océan où flottent de concert des icebergs et des pétales de rose », se confiera dans son journal la narratrice de la très troublante « Aranjuez mon amour ».
Tout n’est pas sombre au royaume de La désolation toutefois. Il faut saluer ici la maestria avec laquelle l’auteur se joue de nous dans « Si j’étais un homme », histoire d’un coming out pas tout à fait comme les autres, la lecture caustique qu’il fait de cette femme revenue de tout dans « Killing Me Softly », mais aussi le regard presque attendri qu’il pose sur Shamira dans « Inch Allah » et la poésie de « On a Clear Day », histoire d’un chauffeur de taxi qui vit en direct le séisme en Haïti. De plus, comme dans son premier recueil, Leduc-Leblanc nous offre un touchant hommage à l’écriture (« Les mots bleus »).
« Il avait cru à toutes ces bêtises d’écrivain parce que ça signifiait qu’il existait quelque part un point zéro, c’est-à-dire un lieu à partir duquel tout était encore possible, et parce qu’écrire, c’est aussi apprendre à marcher sur des poutres, sans craindre le vide sous nos pieds. »
On ne peut que saluer ce deuxième recueil éloquent et abouti.
2 commentaires:
Bon, tu vas me convaincre hein! Je commence à savourer les nouvelles. C'est récent!
Il y a de plus en plus de recueils fort intéressants, il faut l'admettre! :)
Enregistrer un commentaire