Nicolas Gilbert semble disposer d’une faculté innée à se métamorphoser.
Après avoir proposé un roman à clés campé dans le monde de la musique
contemporaine (Le récital), une histoire toute en légèreté qui laissait le
lecteur sourire aux lèvres (Le joueur de triangle) et un opus qui flirtait avec
le fantastique, l’action se déroulant à deux périodes distinctes de l’histoire
(La fille de l’imprimeur est triste), il opte avec Nous pour un roman choral,
mais d’une grande intimité.
À travers les destins en apparence parallèles de Simon, qui
manie les modèles mathématiques avec une rare aisance, de son père André,
surveillant d’atelier textile qui, à quelques semaines de la retraite
anticipée, se voit habité par des questionnements existentiels et souhaite soutenir
Natacha, une collègue qui doit se battre contre la lourdeur de la bureaucratie
(à un moment personnifiée par un fonctionnaire s’appelant… Nicolas Gilbert!) et
de Ma Fan, jeune étudiant chinois qui peine un peu à s’inscrire dans sa
nouvelle vie, l’auteur nous livre un roman tout en retenue, pianissimo, qui
nous renvoie à la place du « je » dans le « nous ». Au 21e
siècle, sommes-nous condamnés à vivre seuls et à éviter les liens avec l’autre?
Pouvons-nous encore nous définir en tant que collectivité?
Écrit alors que les effluves du Printemps érable étaient
encore frais, Nous déjoue d’abord le lecteur. Certes, on reconnaît bien la
manière Gilbert, également compositeur prolifique : une certaine linéarité
qui favorise une compréhension du matériau dès le premier contact, un
traitement des histoires comme motifs musicaux, d’une longueur déterminée, les
tonalités sous-jacentes de l’une devenant un étonnant contrepoint à une autre. Le
déracinement de Simon, insomniaque peu importe le pays qui l’accueille, devient
par exemple écho à celui de Ma Fan, qui fréquente un café après l’autre,
incapable de réellement s’ancrer dans cette nouvelle ville ou au sédentarisme d’André,
pourtant loin de se sentir limité par ce que d’autres considéreraient une
routine banale. Si l’action se dénoue sur le chemin de la Côte-des-Neiges pendant
sa reconstruction (moment pénible que les résidents de l’arrondissement n’ont
pas encore entièrement oublié), l’auteur nous fait aussi voyager dans le
Vieux-Rosemont (son quartier), dans Ville St-Laurent (André et Natacha y
travaillent), au centre-ville (Place Dupuis et ses environs immédiats, d’où
partaient les manifestations étudiantes, rappelons-le) et à New York.
Si l’on suit avec intérêt le destin des personnages, se demandant
bien comment ceux-ci se croiseront, on se perdra peut-être dans les références
aux Confessions de Saint-Augustin,
motif religieux trop surimposé pour ne pas paraître par moments plaqué. Simon
aurait pu feuilleter et voler le livre dans ce café de New York, certes, y voir
un signe, mais les longues citations finissent par alourdir un peu le propos,
comme les « suivis » des travaux, même si ceux-ci joueront un rôle
crucial dans le dénouement de l’histoire. N’empêche, une fois le livre refermé,
on ne peut qu’amorcer – poursuivre – une réflexion sur le rôle que nous jouons
dans cette société qui nous rappelle quotidiennement ses limites, mais demeure
néanmoins la nôtre.
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