jeudi 19 décembre 2013

Vertiges

Nous vivons à l’ère de l’instantané, des tendances qui s’essoufflent après quelques semaines (ou quelques heures), des faux-semblants. Dans son premier roman, Fredric Gary Comeau opte volontairement pour une narration fractionnée, autant d’éclats kaléidoscopiques, de moments attrapés au vol. Malgré ce parti pris, il réussit à éviter le piège du traitement en surface, privilégiant une plongée au cœur même de la matière humaine. Certes, le lecteur pourra, de prime abord, ressentir un léger étourdissement, alors que l’auteur passe en quelques paragraphes ramassés d’un personnage à l’autre, évoquant fort habilement leurs pulsions, leurs envies, leurs vertiges, parfois liés à la sexualité, parfois au danger. Certains se déclinent en couleurs pastel, d’autres franchement sombres. Pour prendre la pleine mesure du roman, il faut cesser de tout rationaliser et accepter de suivre jusqu’au bout ces écheveaux qui se croisent, pour une nuit ou une vie. « Le hasard passe autant par l’appétit et le verbe que par la haine et la perte. » Il faut surtout laisser résonner en nous leurs échos, car qu’on le réalise sur le champ ou non, Comeau nous convie en fait à un voyage, dont la destination finale n’a au fond qu’une importance toute relative. Après tout, comme l’affirmait Christophe Colomb, « On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va. »
Comeau demeure, d’abord et avant tout, un poète, et plusieurs des chapitres se révèlent de véritables poèmes en prose. Au tournant d’un paragraphe, on s’arrête, corne une page, revient sur une phrase, est tenté de la relire à voix haute; « Le français, c’est une lumière de fin d’après-midi dans une cathédrale gothique pendant un récital de clavecin » ou « Le monde sera toujours à refaire, un regard ou une syllabe à la fois », par exemple. Malgré cette respiration imposée – sans qu’elle oppresse le lecteur –, les multiples références aux arts visuels qui en dérouteront certains et en raviront les autres, à la musique de la fin du siècle dernier, on avale les fragments comme Hope les kilomètres et, au fil de ce récit contrapuntique, on s’attache aux personnages, mais surtout à la plume incisive, unique, de Comeau.

2 commentaires:

Anne a dit…

Déjà vu un bon billet sur ce livre chez Lali ;-)

Lucie a dit…

Oui, elle a beaucoup aimé elle aussi!