vendredi 7 novembre 2014

Je ne suis jamais en retard: le nouveau visage du féminisme

Sept auteures - certaines dramaturges ou comédiennes, d'autres poètes -, six interprètes, une metteure en scène, une équipe de soutien entièrement constituée de collaboratrices. Aucun doute ici: Je ne suis jamais en retard se veut un objet théâtral aussi bien que social qui se décline au féminin pluriel, qui donne « le sentiment d'avoir dit nous pour la première fois ».

Pas de volonté ici de dégager une parole commune, mais plutôt de proposer une mosaïque d'interprétations, d'interrogations de ce que le fait féminin est devenu en 2014. Si on n'a plus besoin de brûler son soutien-gorge sur la place publique pour se faire entendre, il faut tout de même admettre que rien n'est encore gagné. Parité salariale toujours pas atteinte, plafond de verre en apparence impossible à fracasser, métiers qui restent difficilement accessibles aux femmes: comment souhaiter se reposer sur des acquis quand tant reste à accomplir?

Serions-nous en manque de paroles féminines fortes, de celles qui ébranlent les certitudes? Aucunement. Du moins, si l'on se fie au collage de dialogues et de monologues mis en scène par Markita Boies qui, avec Lise Roy (auteure, interprète et initiatrice du projet) avaient souhaité souligné en 2011 les 25 ans de la mythique Nef des sorcières à la Grande Bibliothèque. Que les auteures aient 30 ou 70 ans importent peu: elles disposent d'un langage commun, dans laquelle la femme peut être militante, mais aussi mère, amante, femme de parole, de conviction. Elle peut être politicienne et défendre le droit des jeunes filles un peu partout dans le monde (« Flamenco » de Lise Roy, dont la chute donne froid dans le dos), religieuse défroquée qui s'interroge sur la montée du fanatisme religieux (« Les vendeurs du paradis » de Nicole Lacelle, aux traits peut-être un peu trop appuyés), femme de ménage qui s'insurge contre les étiquettes qu'on lui appose (« Une femme, quand 'est p'us fourrable; tu fais quoi avec ça? ») et écoute des cantates de Bach (un texte puissant de Marie-Ève Gagnon, particulièrement bien rendu par Danièle Panneton), actrice dans la soixantaine n'ayant rien perdu du mordant de ses vingt ans (Louise Bombardier auteure et interprète qui se moque joyeusement d'elle-même), mère devant faire le deuil d'un enfant (un texte déchirant de Dominick Parenteau-Lebeuf qui aurait peut-être requis une appropriation autre du registre émotif de Noémie Godin-Vigneau), femme qui découvre que l'amour de son « mari » n'est pas exempt de violence (Émilie Gilbert a démontré toute l'étendue de sa palette dans un très beau texte de Marilyn Perreault).

Personne ne criera, on chantera, on dansera même. Toutefois, tout au long, on aura l'impression de percevoir un grondement diffus, le martèlement des talons qui s'impatientent, le feu qui continue de brûler sous la glace, qui finira par faire exploser les digues.

« Il y a des chemins que nous suivons sans savoir où ils nous mèneront. Il y a des hommes que nous suivons sans savoir où ils nous mèneront. Les mères, grands-mères, tantes et grandes sœurs disent un jour aux petites filles: "Fais attention aux Johnny, aux pirates et aux mauvais garçons." Mais les petites filles leur répliquent: "Je suis grande, indépendante, le féminisme a poussé dans mon pays, j'en ai mangé les fruits, je saurai dire non quand le danger se pointera à l'horizon." » (Marilyne Perreault, « Eldoradore-moi », Je ne suis jamais en retard)

Jusqu'au 29 novembre au Théâtre d'Aujourd'hui. 

2 commentaires:

Topinambulle a dit…

J'avais assisté à la lecture publique de "La nef des sorcières" en 2011. C'était avant de te connaître, car nous y serions probablement allées ensemble ;) Merci pour cette critique pertinente, Lucie. Il y a encore du chemin à parcourir !

Lucie a dit…

En effet! :)