Avons-nous perdu toute habilité à dialoguer? Oui, assurément, du moins si on en croit Ennemi public, plus récente proposition d'Olivier Choinière, Le trait est-il volontairement grossi? Peut-être un peu. Il faut néanmoins admettre que quiconque a vécu un souper de famille lors du printemps érable (celui qui vient risque d'être de la même eau) a indéniablement été témoin de cette polarisation des propos, de cette intransigeance face aux questions politiques ou sociales. On arborait carré rouge ou vert et aucun terrain d'entente ou zone intermédiaire n'était envisageable. Les échanges sur les réseaux sociaux, aujourd'hui en 2015, sont-ils plus nuancés? Bien sûr que non.
Ce qui se révèle particulièrement intéressant dans la pièce de Choinière est la façon dont il a choisi de traiter cette incommunicabilité, les voix se superposant littéralement, en une fascinante polyphonie, chaque discussion parallèle demeurant à la fois cohérente et perdant une partie de son sens considérée dans l'ensemble.
Une mère (Murielle Dutil, superbe comme toujours) et ses trois enfants (Brigitte Lafleur, Steve Laplante et Frédéric Blanchette) discutent après le repas. On abordera tous les sujets chauds de l'heure, de la tragédie du Lac Mégantic à l'affaire Magnota, de la libération de Guy Turcotte à l'intégration des immigrants ou à la théorie du complot. Chacun a son point de vue duquel il ne dérogera pas, cherche à parler plus fort que l'autre. Le spectateur doit faire un choix conscient, décider quelle voix lui semble plus pertinente, celle qu'il accompagnera - jusqu'au bout ou non -, comme il l'aurait fait dans un tel repas. Les comédiens se transforment ici en chanteurs, chaque partition étant travaillée à la fois de façon horizontale et verticale, certains légers silences permettant à l'édifice sonore de ne pas s'écrouler. L'oreille est désengorgée par des interventions auprès des deux adolescents, qui se chamaillent dans la pièce à côté pour la télécommande, souhaitant être ailleurs.
La scène sera reprise, dans l'intégralité, mais présentée autrement, grâce à un astucieux plateau tournant de Jean Bard, qui sectionne l'espace scénique en salle à manger, salon et balcon extérieur (où nous serons plus tard d'une troublante scène d'assassinat d'écureuil). Les adultes relancent à l'identique la discussion (on pourra alors choisir d'écouter une autre ligne mélodique), tandis que le garçon tente d'effrayer sa cousine, en lui racontant des extraits des films Jackass ou en lui faisant croire qu'un rat dort sous le coussin du canapé.
Aux deux-tiers de la pièce, le point de non-retour semble atteint et la scission possible au sein de la fratrie. Pourtant, on retrouve tout le monde un an plus tard, la nouvelle copine de Daniel (Amélie Grenier, truculente), une Québécoise d'ascendance polonaise particulièrement intransigeante faisant indéniablement basculer le délicat équilibre et renvoyant chaque spectateur à la notion même d'identité (nationale et personnelle), particulièrement lors de la dernière scène, aussi douloureusement nostalgique que le « Notturno » tiré des Mikrokosmos de Bartók que l'on entend.
Certains y verront une lecture cynique de notre monde. D'autres entendront l'appel à l'éveil.
Jusqu'au 21 mars au Théâtre d'Aujourd'hui.
La musique et l’écriture ont été de tout temps les deux pôles de la vie créatrice de l'auteure. Ce site se veut donc un hommage à la musique (particulièrement classique) et à la littérature, mais aussi au théâtre et aux autres manifestations artistiques.
samedi 28 février 2015
jeudi 26 février 2015
We are not alone: fascinant
Écrire une pièce pour un seul acteur sur les OVNI; il faut le faire quand même! Damien Atkins, plus jeune dramaturge à avoir été produit au prestigieux festival de Stratford qu'il n'avait que 26 ans, lauréat de plusieurs Prix Dora a relevé le défi haut la main avec We are not alone, présenté en première mondiale dans l'intime Studio du Centre Segal, qui ne cherche pas à prouver ou non le phénomène, mais réfléchit plutôt à la question: « Qu'essaient-ils de nous dire? » Après avoir vu le solo, on serait tenté d'avancer: « Qu'est-ce que le phénomène révèle de nous? »
La pièce s'amorce par une série de témoignages de gens ayant observé des OVNI, qui nous permet de prendre la pleine mesure des dons d'acteur d'Atkins, un seul geste ou un changement d'attitude réussissant à dresser un portrait cohérent (et unique) de chacun des personnages. On se demande un instant si le propos est ici de convaincre, d'offrir des « preuves », mais on comprend qu'au fond qu'il n'en est rien, qu'Atkins propose plutôt de l'accompagner tout au long du processus de création de sa pièce.
On le retrouve ensuite à un congrès international sur les OVNI, alors qu'il avale, tantôt goulûment, tantôt avec une incompréhension certaine (la séance de thérapie des experiencers reste un morceau d'anthologie, alors qu'Atkins passe d'une chaise à l'autre et incarne tous ceux - ou plutôt toutes celles - présents), présentations scientifiques, récits personnels et propos plus ou moins ésotériques. Loin d'être convaincu, il accepte pourtant de suivre son ami Christian (Barry, co-metteur en scène du spectacle avec Chris Abraham) dans le désert de l'Arizona, où ils rencontreront notamment une « hybride », à la fois humaine et extra-terrestre, qui voit et entend tout.
Ce rendez-vous fera-t-il basculer sa vie? Pas nécessairement comme on pourrait le penser, mais le cheminement de l'auteur reste suffisamment intéressant pour que le spectateur ait l'impression d'avoir assisté non seulement à une proposition dramatique cohérente, mais aussi à un brillant numéro d'acteur, Damien Atkins se révélant particulièrement virtuose tout au long de l'heure et demie du spectacle, sans aucun temps mort.
La fin de la pièce reste volontiers ouverte, laissant le spectateur face à ses questions et à ses réflexions. Que nous pensions côtoyer des extraterrestres ou non (il faut admettre que certains de nos concitoyens nous les rappellent parfois) importe peu au fond. Tout dépend de la façon dont vous choisissez de lire les « signes ».
Au Segal jusqu'au 11 mars. On peut voir un extrait de la pièce ici...
Photo: Guntar Kravis |
On le retrouve ensuite à un congrès international sur les OVNI, alors qu'il avale, tantôt goulûment, tantôt avec une incompréhension certaine (la séance de thérapie des experiencers reste un morceau d'anthologie, alors qu'Atkins passe d'une chaise à l'autre et incarne tous ceux - ou plutôt toutes celles - présents), présentations scientifiques, récits personnels et propos plus ou moins ésotériques. Loin d'être convaincu, il accepte pourtant de suivre son ami Christian (Barry, co-metteur en scène du spectacle avec Chris Abraham) dans le désert de l'Arizona, où ils rencontreront notamment une « hybride », à la fois humaine et extra-terrestre, qui voit et entend tout.
Ce rendez-vous fera-t-il basculer sa vie? Pas nécessairement comme on pourrait le penser, mais le cheminement de l'auteur reste suffisamment intéressant pour que le spectateur ait l'impression d'avoir assisté non seulement à une proposition dramatique cohérente, mais aussi à un brillant numéro d'acteur, Damien Atkins se révélant particulièrement virtuose tout au long de l'heure et demie du spectacle, sans aucun temps mort.
La fin de la pièce reste volontiers ouverte, laissant le spectateur face à ses questions et à ses réflexions. Que nous pensions côtoyer des extraterrestres ou non (il faut admettre que certains de nos concitoyens nous les rappellent parfois) importe peu au fond. Tout dépend de la façon dont vous choisissez de lire les « signes ».
Au Segal jusqu'au 11 mars. On peut voir un extrait de la pièce ici...
Festival MNM: ça commence aujourd'hui!
Comme moi, vous en avez marre du froid polaire que nous subissons et qui verdit notre teint? Oubliez tout cela en vous glissant en salle lors d'un ou plusieurs concerts de la courante édition du festival biennal Montréal Nouvelles Musiques (jusqu'au 7 mars).
Quelques incontournables dans le lot, assurément, comme cette Atlantide, proposée ce soir en ouverture, concert à grand déploiement de la SMCQ à la Salle Pierre-Péladeau. Si vous aimez les œuvres monumentales, vous noterez assurément à l'agenda le concert de l'Orchestre de McGill demain, alors que les jeunes musiciens interpréteront la Turangalîla-Symphonie de Messiaen à la Maison symphonique.
Deux événements majeurs gratuits se dérouleront au Complexe Desjardins : Les Papes hurlants et ses 150 chanteurs samedi 23 h dans le cadre de la Nuit blanche et 100 Guitares le samedi suivant 15 h, qui soulignera le 100e anniversaire de naissance de Les Paul, inventeur de la guitare électrique.
De mon côté, j'assisterai aussi samedi à Hiérophanie, un concert de l'ensemble allemand Musikfabrik qui propose notamment la création nord-américaine d'Hiérophanie de Claude Vivier, ainsi que des pages de Haas et Grisey (pour deux percussionnistes).
Lundi, ce sera soir de synesthésie avec Practices of Everyday Life / Cooking, alors que Tony Chong interprétera la pièce de Navid Navab. Une expérience multisensorielle dans laquelle les bruits des ustensiles de cuisine font écho aux gestes du cuisinier en tant réel dans une chorégraphie inusitée. Intrigant.
Jeudi, mon cœur était déchiré entre Musique d'art pour quintettes à cordes et Freebirds avec Tim Brady, mais si vous marchez d'un bon pas, vous pouvez faire les deux. Dans le premier, on assistera à la création d'une oeuvre pour quintette à cordes, spatialisation et traitement de Simon Martin avec le Quatuor Bozzini et le contrebassiste Reuven Rothman. Dans le second, Tim Brady jouera à la guitare électrique des œuvres de Jean Piché, Louis Dufort et deux des siennes (dont une création).
Vendredi, avec 5 Waves, on pourra entendre le plus réputé ensemble de musique contemporaine d'Israël, le Meitar Ensemble, jouer Dunietz, Eisler, Grisey, Palacio-Quintin (création de Fluctuations organiques, pour flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano et traitement) et Pelz,
De nombreux concerts jeunesse sont aussi offerts. Apprenez-en plus ici...
Quelques incontournables dans le lot, assurément, comme cette Atlantide, proposée ce soir en ouverture, concert à grand déploiement de la SMCQ à la Salle Pierre-Péladeau. Si vous aimez les œuvres monumentales, vous noterez assurément à l'agenda le concert de l'Orchestre de McGill demain, alors que les jeunes musiciens interpréteront la Turangalîla-Symphonie de Messiaen à la Maison symphonique.
Deux événements majeurs gratuits se dérouleront au Complexe Desjardins : Les Papes hurlants et ses 150 chanteurs samedi 23 h dans le cadre de la Nuit blanche et 100 Guitares le samedi suivant 15 h, qui soulignera le 100e anniversaire de naissance de Les Paul, inventeur de la guitare électrique.
De mon côté, j'assisterai aussi samedi à Hiérophanie, un concert de l'ensemble allemand Musikfabrik qui propose notamment la création nord-américaine d'Hiérophanie de Claude Vivier, ainsi que des pages de Haas et Grisey (pour deux percussionnistes).
Lundi, ce sera soir de synesthésie avec Practices of Everyday Life / Cooking, alors que Tony Chong interprétera la pièce de Navid Navab. Une expérience multisensorielle dans laquelle les bruits des ustensiles de cuisine font écho aux gestes du cuisinier en tant réel dans une chorégraphie inusitée. Intrigant.
Jeudi, mon cœur était déchiré entre Musique d'art pour quintettes à cordes et Freebirds avec Tim Brady, mais si vous marchez d'un bon pas, vous pouvez faire les deux. Dans le premier, on assistera à la création d'une oeuvre pour quintette à cordes, spatialisation et traitement de Simon Martin avec le Quatuor Bozzini et le contrebassiste Reuven Rothman. Dans le second, Tim Brady jouera à la guitare électrique des œuvres de Jean Piché, Louis Dufort et deux des siennes (dont une création).
Vendredi, avec 5 Waves, on pourra entendre le plus réputé ensemble de musique contemporaine d'Israël, le Meitar Ensemble, jouer Dunietz, Eisler, Grisey, Palacio-Quintin (création de Fluctuations organiques, pour flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano et traitement) et Pelz,
De nombreux concerts jeunesse sont aussi offerts. Apprenez-en plus ici...
mercredi 25 février 2015
L'écriture vue par Jean-François Beauchemin
Dans Une enfance mal fermée, Jean-François Beauchemin revient sur sa jeunesse, le départ de ses parents, sa vie quotidienne. Son lien à l'écriture demeure particulièrement fascinant. Quelques citations choisies à partager...
« Oui, il me semble que la littérature n’est pas tellement autre chose qu’un assemblage de matériaux simples (les mots), maintenus ensemble par des boulons et des rivets, si on veut, ou par un mortier (la joie). Un assemblage éclaboussé par l’esprit, si j’ose dire, fait en pleine lumière, mais guère plus qu’un assemblage. » (p. 20)
« Puis, le visage tourné vers le nord magnétique, j’ai compris un jour qu’écrire des livres de ne m’irait pas mal, puisque j’avais depuis toujours au fond de moi-même les éléments nécessaires : le silence, une sensibilité de grand blessé, une aptitude pour l’architecture, un certain goût pour les phrases. » (p. 28)
« Ce n’est pas une recherche, un écrivain n’est pas un chercheur. C’est un éclairagiste qui rectifie sans cesse le mouvement subtil de la lumière et de l’ombre jetées sur les mots par l’esprit. » (p. 130)
« Comment construire un livre? En puisant parmi tous les mots éparpillés plus ou moins au hasard dans l’esprit (comme les matériaux dans l’atelier d’un ouvrier), puis en choisissant avec sensibilité la place que chacun occuper au sein des phrases. » (p. 158)
« Par exemple, je suis devenu écrivain au moment où le malheur m’arrivait de partout, mais c’est lorsque nous sommes heureux qu’il faut commencer à être artiste. » (p. 172)
mardi 24 février 2015
Le repaire des solitudes
Danny Émond ne souhaite pas faire de quartiers avec Le repaire des solitudes. Vingt-neuf nouvelles, presque autant d’uppercuts assenés au lecteur, en quelques dizaines de lignes à peine.
L’auteur, également poète et musicien dans un groupe de métal, sait assurément comment brosser un portrait à larges traits. Comme un documentariste un peu voyeur, il capture une image, un instant, nous révèle la détresse dans laquelle plusieurs de nos semblables vivent et nous laisse libres de dresser – ou non – un constat de société.
Si le recueil peut bien sûr être apprivoisé de façon fragmentée, quelques nouvelles à la fois, on aura avantage à le lire d’un seul souffle pour que des thèmes récurrents s’en dégagent : la filiation impossible, un sexe presque toujours très triste, la violence qui fait partie du quotidien, les secrets qui finissent par nous ronger de l’intérieur. La folie ordinaire, au fond…
Le retour ponctuel du personnage de Maurice offre une respiration naturelle à l’ensemble, nous permet ensuite de discerner des échos aux nouvelles, de voir le tout comme un immense prisme qui, selon l’angle de la lumière qui le traverse, nous montre le monde autrement. L’auteur trouvera-t-il le souffle nécessaire pour développer une histoire sur une centaine de pages? On le souhaite, car plusieurs des laissés pour compte présentés ici mériteraient qu’on leur offre une vie de papier.
dimanche 22 février 2015
Le concert comme madeleine
Vendredi soir hivernal, Maison symphonique de Montréal. J'attends mon meilleur ami en jetant un coup d’œil sur les mélomanes qui se pressent pour assister au récital d'Emanuel Ax. Je réalise avec surprise que je ne reconnais personne. Amis, autres pianistes, public habituel de l'OSM (que l'on identifie sans peine, même si on n'a jamais été présenté) ont sans doute préféré entendre « Manny » dans le Premier concerto de Brahms dans les jours qui ont précédé. (On a également pu entendre pour la première fois le magnifique Nocturne de Samy Moussa, à découvrir en reprise sur Medici.)
Nous nous pressons dans la salle, nous posons et, là, au milieu de ces inconnus, je me rappelle d'un seul coup tous ces concerts gratuits, proposés les vendredis Salle Claude-Champagne par Radio-Canada, qui enregistrait le tout. (Les temps ont bien changé.) À combien ai-je assisté? Grand mystère. Certains (liés au piano, dont ceux de Raoul Sosa et Louis Lortie) se sont inscrits de façon indélébile, d'autres restent souvenirs fugaces. Je me souviens comment j'avais l'impression d'être bombardée de notes, gracieuseté de mon oreille absolue que je n'avais pas encore appris à désamorcer. Des années après, en discutant avec un ami chef d'orchestre, je comprendrais que, lorsque j'entends distinctement notes ou enchaînement harmoniques, c'est que le cœur n'est pas touché, que seule la tête assimile les données.
Photo: Lisa Marie Mazzuco |
Les lumières s'éteignent et Emanuel Ax s'avance, nous offre en entrée une pièce jamais jouée, les Variations chromatiques de concert de Bizet, une série de déclinaisons d'une simple gamme chromatique d'abord ascendante puis descendantes. Je me laisse charmer par certains détournements du thème, sans ressentir de réelle connexion avec l'oeuvre. Pourtant, je ne peux m'empêcher de remarquer comment Ax est efficace dans sa production du son, son contrôle absolu de la respiration musicale et la profondeur du lien qu'il établit avec le public. (Aucun applaudissement intempestif ne ponctuera le récital entier, tant tous sont entièrement sous son joug.)
Le pianiste nous propose ensuite six pièces de Rameau, parfaitement ciselées, qui donnent l'envie de plonger dans ces pages habituellement réservées aux clavecinistes et de les travailler, d'y entrer plus profondément, de les partager avec des élèves aussi. Je me souviens ici des quelques fois où j'ai enseigné le «Tambourin » de Rameau, réalise ce que pourraient apporter « L'indifférente » ou « L'enharmonique » aux plus avancés.
Le segment Debussy est celui que j'attendais avec le plus d'impatience: les Estampes, l'« Hommage à Rameau » tiré de la première suite d'Images et L'isle joyeuse. Impossible de ne pas céder à l'ondoiement des « Pagodes », à la chaleur de la « Soirée dans Grenade » ou à l'effervescence des « Jardins sous la pluie », particulièrement bien rendus par Emanuel Ax. À l'écoute du triptyque se superposent le souvenir des heures passées à l'instrument alors que je travaillais ces pages, mais aussi le souvenir du récital de Menahem Pressler offert dans le même lieu il y a quelques années. À l'entracte, une conversation s'engagerait avec une autre pianiste qui avait préféré cette version, alors que je donnais Ax gagnant ici, même si c'est tout particulièrement dans l'« Hommage à Rameau », pièce souvent rendue de façon assez fade, qu'il a atteint un sommet inégalé de poésie.
L'après-entracte serait entièrement consacré à un sommet absolu du répertoire de musique de chambre: le Quintette avec piano de Schumann, Emanuel Ax partageant la scène avec les premières chaises de l'OSM Andrew Wan, Olivier Thoun, Neal Gripp et Brian Manker. Rarement aura-t-on entendu une telle complicité entre les musiciens (qui n'ont évidemment pas pu disposer d'heures de répétitions infinies), pu sentir la joie contagieuse que chacun avait à jouer cette page dans laquelle le piano a la part du lion, imposante partition qui ne prend tout son sens pourtant qu'avec le soutien des autres musiciens qui commentent tour à tour l'une ou l'autre assertion. J'ai entendu cette oeuvre des dizaines de fois, dans autant de versions, mais je ne pourrai jamais oublier l'instant précis où je l'ai découverte, en lecture, au piano, à Tanglewood. Je ne me souviens pas comment la partition s'est retrouvée sur mon lutrin, qui étaient les quatre autres interprètes. Impossible pourtant d'oublier l'impact qu'aura eu sur la pianiste de 17 ans alors cette page maîtresse, jamais (re)travaillée depuis.
Le piano m'appelle: signe indéniable que l'interprète du récital de vendredi a été à la hauteur...
Le segment Debussy est celui que j'attendais avec le plus d'impatience: les Estampes, l'« Hommage à Rameau » tiré de la première suite d'Images et L'isle joyeuse. Impossible de ne pas céder à l'ondoiement des « Pagodes », à la chaleur de la « Soirée dans Grenade » ou à l'effervescence des « Jardins sous la pluie », particulièrement bien rendus par Emanuel Ax. À l'écoute du triptyque se superposent le souvenir des heures passées à l'instrument alors que je travaillais ces pages, mais aussi le souvenir du récital de Menahem Pressler offert dans le même lieu il y a quelques années. À l'entracte, une conversation s'engagerait avec une autre pianiste qui avait préféré cette version, alors que je donnais Ax gagnant ici, même si c'est tout particulièrement dans l'« Hommage à Rameau », pièce souvent rendue de façon assez fade, qu'il a atteint un sommet inégalé de poésie.
L'après-entracte serait entièrement consacré à un sommet absolu du répertoire de musique de chambre: le Quintette avec piano de Schumann, Emanuel Ax partageant la scène avec les premières chaises de l'OSM Andrew Wan, Olivier Thoun, Neal Gripp et Brian Manker. Rarement aura-t-on entendu une telle complicité entre les musiciens (qui n'ont évidemment pas pu disposer d'heures de répétitions infinies), pu sentir la joie contagieuse que chacun avait à jouer cette page dans laquelle le piano a la part du lion, imposante partition qui ne prend tout son sens pourtant qu'avec le soutien des autres musiciens qui commentent tour à tour l'une ou l'autre assertion. J'ai entendu cette oeuvre des dizaines de fois, dans autant de versions, mais je ne pourrai jamais oublier l'instant précis où je l'ai découverte, en lecture, au piano, à Tanglewood. Je ne me souviens pas comment la partition s'est retrouvée sur mon lutrin, qui étaient les quatre autres interprètes. Impossible pourtant d'oublier l'impact qu'aura eu sur la pianiste de 17 ans alors cette page maîtresse, jamais (re)travaillée depuis.
Le piano m'appelle: signe indéniable que l'interprète du récital de vendredi a été à la hauteur...
samedi 21 février 2015
La république du bonheur: tranchant
Matérialisme poussé à l'excès, contrôle de l'état et sur soi, regard distordu que l'on pose sur le corps, liens familiaux envenimés jusqu'à la gangrène: La république du bonheur de Martin Crimp est un texte qui ratisse large et dresse un portrait de société non dénué de lieux communs, mais qui frappe quand même là où ça s'est fait mal.
Le metteur en scène Christian Lapointe, qui avait effectué un magnifique travail sur le doublé Duras a choisi cette fois de traiter la pièce de façon complètement éclatée, ce qui donne quelque chose entre l'operetta postmoderne kitsch à souhait sise dans un décor sur l'acide, le théâtre de marionnettes pour enfants pas sages du tout et la séance de défoulement collectif.
On aimera ou on détestera; impossible ici d'adopter un entre-deux ici, tant la proposition baroque dérange, déstabilise, et parfois il faut l'admettre ennuie. Avait-on besoin d'entendre tous les couplets du Papa Noël de ce cher Tino pour entrer dans l'univers déjanté de la pièce? De tenter (assez désespérément) de faire participer les spectateurs? De pousser l'utilisation de la technologie à son paroxysme? Peut-être a-t-on jugé nécessaire d'enfoncer le bouchon au maximum pour susciter une réaction, un mouvement collectif, un soulèvement subversif? Je doute que ceux présents aient posé un quelconque geste social en sortant de la Cinquième Salle.
La distribution des plus électique réussit néanmoins à titre son épingle du jeu, malgré le côté éclaté, vaguement carnavalesque, de la chose. On retiendra particulièrement le couple Madeleine et Robert, défendu avec brio par Ève Landry (magnétique) et David Giguère.
vendredi 20 février 2015
Le désir de Gobi: puissant
Photo: Colin Earp-Lavergne |
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La pièce est présenté au Prospero jusqu'au 7 mars
jeudi 19 février 2015
M¡longa: tango fusion
Prolifique chorégraphe, Sidi Larbi Cherkaoui n’a pas son pareil pour estomper les frontières entre les genres, que l’on pense à Sutra qui mettait en scène des moines du temple Shaolin ou Babel, collaboration avec Damien Jalet et le plasticien Anthony Gormley. Avec M¡longa, il nous propose un tango à la fois pur et métissé, les lignes d’une extrême élégance de dix maîtres argentins exceptionnels se juxtaposant à celle de deux danseurs contemporains.
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mercredi 18 février 2015
Splendeur du mobilier russe: l'envers du décor
Quel plaisir de sortir des univers préformatés, de s’approprier autrement le théâtre! Même avant que la pièce ne commence, on comprend qu’on se jouera du spectateur autant que l’on jouera avec et pour lui.
Pour lire ma critique, passez chez Jeu...
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mardi 17 février 2015
Victor Hugo mon amour: la muse derrière le grand homme
Photo: Dominique Chartrand |
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L'horloger
Il est rare que, dès un premier ouvrage, on reconnaisse de façon aussi affirmée le timbre d’une nouvelle voix littéraire. Intimidés par les géants qui les ont précédés, les jeunes auteurs chercheront souvent à en faire trop, hésiteront à adopter une voie non balisée. Félix Villeneuve ne fait certainement pas partie de cette vaste majorité et signe avec L’horloger un livre singulier, entre recueil de nouvelles, contes pour adultes et roman fragmenté.
Dès le premier chapitre, « La princesse de béton », on ne peut qu’être troublé par sa palette, camaïeu de couleurs très foncées, et pourtant, le style se révèle si affirmé que l’on ne peut faire autrement que d’entériner la proposition. « Rien de cela ne perçait aujourd’hui sa coquille d’obsidienne, longuement construite au fil des mois et des années, chaque nouvelle éruption laissant une couche plus solide que la dernière, chaque nouvelle couche moins douloureuse que la précédente, jusqu’au moment où, enfin, le volcan lui-même s’était tu, son feu asphyxié. »
Dans « L’ami fidèle », Villeneuve y superpose les teintes plus translucides du souvenir, de l’enfance, même si le personnage n’en a plus que pour quelques heures à vivre. « Le Sombre », véritable morceau d’anthologie qui nous mène aux portes de l’épouvante et nous rappelle que les monstres peuvent eux aussi fléchir, s’est avéré le tournant, celui où j’ai accepté de suivre l’auteur, non pas les yeux fermés, mais plutôt bien ouverts, car si peu peuvent avec une telle élégance rendre crédible cette juxtaposition du rêve et de la réalité, du passé lointain et du présent, de la violence magnifiée et de la tendresse sublimée.
Au fil des « nouvelles », on finit par comprendre que toutes font partie d’un tout plus grand, qui demeurera à la première lecture non entièrement cerné. Villeneuve nous offre lui-même la clé : « Relis-le. Mais au lieu de chercher les morceaux d’une histoire, cherche l’histoire derrière les morceaux. » Et si, depuis le début, on avait adopté une posture incorrecte, parce que calquée sur les codes habituels? On replonge alors volontairement dans certains passages, relie les éléments différemment, conscient d’avoir été berné d’une certaine façon, mais surtout avec l’envie irrépressible de se faire raconter d’autres histoires par cette voix si particulière.
dimanche 15 février 2015
Félix Villeneuve recrue de février 2014
« Je pense que le roman n’est qu’une facette du prisme. Que l’on parle de poésie, de contes, de nouvelles, de scénarios, de chansons, on ne parle en fait que d’utiliser la matière appropriée à l’expression d’un thème, et le choix se fait en accord avec la profondeur et l’élasticité que l’on désire donner à ce thème. Dans ma tête, c’est du pareil au même. »
Photo: Hubert Gaudreau |
Voilà quels termes notre Recrue ce mois-ci, Félix Villeneuve, balaie du revers de la main les frontières entre genres. Certes, le mot « nouvelles » a bel et bien apposé sur la couverture de L’horloger, mais il paraîtra sans aucun doute bien inutile à celui qui osera plonger dans ce recueil de contes pour enfants pas toujours sages, une lumière presque fugitive cohabitant avec une ombre certaine.
Les titres que nous vous proposons en repêchage misent tous sur cette juxtaposition entre clarté et noirceur. Dans Le repaire des solitudes de Danny Émond, avec lequel je me suis entretenue récemment, on découvre quelques dizaines de laissés pour compte. On les aura peut-être croisés dans un café, une ruelle, notre bloc appartement, mais a-t-on jamais pris le temps de vraiment les regarder?
Comme William Drouin, notre recrue d’octobre 2014 avec son livre L’enfant dans la cage, Nicolas Coutlée aborde dansLes carnets du demi-sous-sol la genèse même du premier roman, mais prolonge la réflexion en nous offrant une deuxième partie s’attardant à la réception de l’ouvrage – certaines scènes se révèlent assurément kafkaïennes. Peut-on dans ces conditions envisager la publication d’un deuxième opus?
Charlotte Gingras a certes commis plusieurs titres jeunesse au fil des ans, mais n’avait jamais jusqu’ici tenté d’incursion dans la littérature dite « générale », autre terme fourre-tout dénué de sens. C’est maintenant chose faite et il y a fort à parier que No man’s land lui gagnera un nouveau lectorat.
Existe-t-il des livres qui plairont à tous? Bien sûr que non! Comme le rappelle Félix Villeneuve au sujet de son livre,« certains aimeront, d’autres non. On cherche à toucher l’universel, mais parfois, le passage est étroit et on perd des lecteurs avant l’élargissement final. C’est une sorte de paradoxe, et ça ne me gêne pas. Il y a toujours une certaine personne pour un certain livre. Et je crois que mes amis et lecteurs le comprennent et en tiennent compte. »
vendredi 13 février 2015
De l'électricité dans l'air
Photo: John Londono |
Le prix Giller demeure assurément l’un des plus convoités de la scène
littéraire canadienne. Si le jury a salué au fil des ans le travail d’écrivains
confirmés tels Alice Munro, Margaret Atwood, Michael Ondaatje et Mordecai
Richler, cette année il a jeté son dévolu sur Us Conductors, premier opus d’un résident du Mile End, Sean
Michaels.
« Il a accompli l’une des choses les plus difficiles pour un
auteur : nous donner l’impression d’entendre chanter la musique des pages
d’un roman », ont même souligné les jurés en remettant son prix au lauréat
abasourdi, en novembre dernier.
La musique se trouve en effet au cœur de cette biographie très romancée
de Lev Sergueïvitch Termen, inventeur du thérémine, l’un des instruments les
plus intrigants jamais conçus, les sons étant produits sans qu’une de ses deux
antennes soit touchée par les mains de l’interprète.
Vous pouvez lire le reste de cet entretien avec Sean Michaels, dans le numéro courant de La Scena Musicale (à la page 20)
jeudi 12 février 2015
Musicophilia: se laisser porter par la musique
« Musik ist meine Zuhause. » La musique est mon chez-moi. Voilà ce que je me suis dit en sortant de la proposition pour le moins étonnante du Meta Theater de Munich, présentée uniquement hier et ce soir au Prospero. En effet, au-delà de la juxtaposition de neuf études de cas tirées du classique Musicophilia d'Oliver Sacks, ce qui me restera de ce spectacle restera essentiellement la musique de Steffen Wick et le design sonore de Simon Detel (qui d'entrée de jeu, avant même que le spectacle ne commence réellement, réussit à nous transmettre le sentiment d'oppression et d'impuissance que les victimes d'acouphène ou d'amusie peuvent ressentir).
Certes, la scénographie d'Axel Tangerding (avec lequel je me suis entretenu il y a quelques mois pour un article intégré au numéro courant de JEU) avec ses tubes plus ou moins translucides selon les éclairages s'avère un élément visuel fort, isolant les cas comme les interprètes (la violoniste Gertrud Schilde, le violoncelliste Mathias Beyer-Karlshøj, la mezzo-soprano Cornelia Melián et le comédien Peter Pruchniewitz, qui s'adresse au public en allemand et en anglais), mais servant aussi d'élément rassembleur.
Les études de cas elles-mêmes se révèlent souvent captivantes, permettant par exemple des rapprochements entre acouphènes et vers d'oreille (des hallucinations auditives dans les deux cas), de faire l'expérience de la synesthésie (goûts ou couleurs associés à la musique) grâce aux projections de Stefano Di Buduo ou de mieux comprendre l'amusie (phénomène notamment étudié à Montréal par la spécialiste Isabelle Peretz).
Pour moi, cependant, les moments les plus forts restent indéniablement les moments où la musique devient le personnage principal, nous rappelle son pouvoir indéniable. Que l'on comprenne ou non les mécanismes entourant son apprivoisement importe peu ici. Admirablement transmise par les musiciens et la chanteuse, elle nous porte, nous transporte, permet au temps de suspendre son vol, nous rappelle le rôle essentiel qu'elle joue dans nombre de quotidiens.
« Musik ist meine Zuhause. » Étrange quand même que ce soit une proposition scénique et non un concert qui m'ait permis de revenir à ma langue maternelle. Synesthésie d'un autre type, peut-être...
Certes, la scénographie d'Axel Tangerding (avec lequel je me suis entretenu il y a quelques mois pour un article intégré au numéro courant de JEU) avec ses tubes plus ou moins translucides selon les éclairages s'avère un élément visuel fort, isolant les cas comme les interprètes (la violoniste Gertrud Schilde, le violoncelliste Mathias Beyer-Karlshøj, la mezzo-soprano Cornelia Melián et le comédien Peter Pruchniewitz, qui s'adresse au public en allemand et en anglais), mais servant aussi d'élément rassembleur.
Les études de cas elles-mêmes se révèlent souvent captivantes, permettant par exemple des rapprochements entre acouphènes et vers d'oreille (des hallucinations auditives dans les deux cas), de faire l'expérience de la synesthésie (goûts ou couleurs associés à la musique) grâce aux projections de Stefano Di Buduo ou de mieux comprendre l'amusie (phénomène notamment étudié à Montréal par la spécialiste Isabelle Peretz).
Pour moi, cependant, les moments les plus forts restent indéniablement les moments où la musique devient le personnage principal, nous rappelle son pouvoir indéniable. Que l'on comprenne ou non les mécanismes entourant son apprivoisement importe peu ici. Admirablement transmise par les musiciens et la chanteuse, elle nous porte, nous transporte, permet au temps de suspendre son vol, nous rappelle le rôle essentiel qu'elle joue dans nombre de quotidiens.
« Musik ist meine Zuhause. » Étrange quand même que ce soit une proposition scénique et non un concert qui m'ait permis de revenir à ma langue maternelle. Synesthésie d'un autre type, peut-être...
mercredi 11 février 2015
Doublé Ionesco
Le Théâtre Denise-Pelletier présente ces jours-ci le classique doublé Ionesco La cantatrice chauve / La leçon, dans la mise en scène de Frédéric Dubois. La relecture de Dubois de ces classiques du théâtre de l'absurde (les deux premières pièces d'Ionesco, rappelons-le) se révèle des plus réussies - j'y reviendrai dans quelques instants -, mais voir la production en après-midi, avec un public d'adolescents, pourtant relativement disciplinés, m'a fait réfléchir. Quelle résonance peuvent-ils trouver à La cantatrice chauve, anti-pièce où il ne se passe au fond rien, qui déboulonne l'un après l'autre tous les codes du genre?
À plusieurs moments, je les ai senti décrocher - sans s'agiter ou chahuter cependant -, entendu marmonner quelques mots vaguement excédés à leur voisin. À l'entracte, certains mentionnaient s'être endormis. La question de la préparation au spectacle reste entière. Si La leçon a une portée presque intemporelle de par sa nature même - difficile de faire plus classique que la relation professeur-élève - et peut être présentée sans références à la démarche du dramaturge, difficile d'en dire auant de La cantatrice chauve. N'aurait-on pas avantage comme première incursion dans cet univers à jumeler La leçon à Délire à deux ou même aux Chaises? (La mise en scène de La leçon fait d'ailleurs un beau clin d’œil à cette pièce.)
L'amateur de théâtre sera néanmoins comblé par le doublé. Plutôt que d'opter pour un appartement des « environs de Londres » démodé et terne, Frédéric Dubois choisit un habillage vitaminé, le plancher bleu rappelant les parquets de certains espaces publics, maximisant l'impression de décalage entre les mots et le rendu. L'idée d'avoir transformé la bonne en infirmière coquine (Catherine Larochelle, parfaite dans le rôle) et la chorégraphie explosive intégrée à sa déclamation du poème « Le feu » se révèle juste assez décalée pour être convaincante. Le capitaine des pompiers devient un clown presque vulgaire, portant pyjama et robe de chambre soufflant des ballons de baudruche, bien défendu par Éliot Laprise (qui fera une bonne juste assez bougonne dans La leçon, après un tirage au sort à l'entracte qui ajoute du piquant à la donne).
L'impression de rêve est bien rendue par l'utilisation des silences et les ralentissements de l'articulation, comme si chaque phrase se trouvait suspendue, que chaque personnage jouait dans une pièce indépendante, que chacun au fond avait perdu tout souvenir (et non seulement M. et Mme Martin), que tous sont peut-être bien pensionnaires d'un curieux hôpital pour patients souffrants d'Alzheimer. Le tout est habilement ponctué par les commentaires musicaux et les bruitages efficaces de Pascal Robitaille, l'accordéon nous rappelant plutôt Paris que Londres, mais ajoutant une touche presque surannée à la proposition.
La mise en scène de La leçon se veut plus classique, les costumes rappelant nombre de productions de pièces de Molière, mais la soutane noire renvoyant fatalement à l'habit des religieux (et rappelant certains « excès » associés aux ordres). Simon Dépôt et Monelle Guertin (M. et Mme Martin dans la première pièce) ont offert une belle complémentarité, une complicité même qui fait que l'on croit sur le champ à la proposition. L'habillage musical (qui comprend quelques clins d’œil à la première pièce), plus discret peut-être, se révèle néanmoins très efficace, tout comme l'utilisation du tableau lumineux qui sert de soutien pour la - difficile - leçon d'arithmétique.
Il nous reste à souhaiter que le Théâtre des fonds de tiroirs revisite dans un avenir prévisible Ionesco.
Jusqu'au 28 février au Théâtre Denise-Pelletier.
Photo: Frédérique Ménard-Aubin |
À plusieurs moments, je les ai senti décrocher - sans s'agiter ou chahuter cependant -, entendu marmonner quelques mots vaguement excédés à leur voisin. À l'entracte, certains mentionnaient s'être endormis. La question de la préparation au spectacle reste entière. Si La leçon a une portée presque intemporelle de par sa nature même - difficile de faire plus classique que la relation professeur-élève - et peut être présentée sans références à la démarche du dramaturge, difficile d'en dire auant de La cantatrice chauve. N'aurait-on pas avantage comme première incursion dans cet univers à jumeler La leçon à Délire à deux ou même aux Chaises? (La mise en scène de La leçon fait d'ailleurs un beau clin d’œil à cette pièce.)
L'amateur de théâtre sera néanmoins comblé par le doublé. Plutôt que d'opter pour un appartement des « environs de Londres » démodé et terne, Frédéric Dubois choisit un habillage vitaminé, le plancher bleu rappelant les parquets de certains espaces publics, maximisant l'impression de décalage entre les mots et le rendu. L'idée d'avoir transformé la bonne en infirmière coquine (Catherine Larochelle, parfaite dans le rôle) et la chorégraphie explosive intégrée à sa déclamation du poème « Le feu » se révèle juste assez décalée pour être convaincante. Le capitaine des pompiers devient un clown presque vulgaire, portant pyjama et robe de chambre soufflant des ballons de baudruche, bien défendu par Éliot Laprise (qui fera une bonne juste assez bougonne dans La leçon, après un tirage au sort à l'entracte qui ajoute du piquant à la donne).
Photo: Frédérique Ménard-Aubin |
La mise en scène de La leçon se veut plus classique, les costumes rappelant nombre de productions de pièces de Molière, mais la soutane noire renvoyant fatalement à l'habit des religieux (et rappelant certains « excès » associés aux ordres). Simon Dépôt et Monelle Guertin (M. et Mme Martin dans la première pièce) ont offert une belle complémentarité, une complicité même qui fait que l'on croit sur le champ à la proposition. L'habillage musical (qui comprend quelques clins d’œil à la première pièce), plus discret peut-être, se révèle néanmoins très efficace, tout comme l'utilisation du tableau lumineux qui sert de soutien pour la - difficile - leçon d'arithmétique.
Il nous reste à souhaiter que le Théâtre des fonds de tiroirs revisite dans un avenir prévisible Ionesco.
Jusqu'au 28 février au Théâtre Denise-Pelletier.
lundi 9 février 2015
Le chemin des passes dangereuses: dire et danser sa mort
Peut-on intégrer la gigue contemporaine à un classique de la dramaturgie québécoise sans en travestir le propos? La proposition de la metteure en scène et chorégraphe Menka Nagrani peut sembler déroutante sur papier, mais quelques instants suffisent pour réaliser comment le geste peut se révéler le moteur idéal pour transmettre les tensions entre ces trois frères et favoriser une nouvelle lecture du Chemin des passes dangereuses de Michel-Marc Bouchard.
Pour lire ma critique, passez chez Jeu...
samedi 7 février 2015
Forever Plaid: quarte juste
Après l’immense succès remporté par Belles-sœurs : The Musical à l’automne (qui sera présenté à Toronto la saison prochaine, a-t-on appris hier), le Centre Segal frappe de nouveau très fort avec Forever Plaid, un hommage délicieux aux groupes d’harmonies des années 50, dans la lignée de Jersey Boys.
Pour lire ma critique, passez chez Jeu...
Pour lire ma critique, passez chez Jeu...
jeudi 5 février 2015
Pastorale américaine
Un ami qui est en train de lire le roman de Philip Roth m'a fait parvenir cette citation qui ne peut que porter à réflexion...
« On lutte contre sa propre superficialité, son manque de profondeur, pour essayer d’arriver devant autrui sans attente irréaliste, sans cargaison de préjugés, d’espoirs, d’arrogance; on ne veut pas faire le tank, on laisse son canon, ses mitrailleuses et son blindage; on arrive devant autrui sans le menacer, on marche pieds nus sur ses dix orteils au lieu d’écraser la pelouse sous ses chenilles; on arrive l’esprit ouvert, pour l’aborder d’égal à égal, d’homme à homme comme on disait jadis. Et, avec tout ça, on se trompe à tous les coups. Comme si on n’avait pas plus de cervelle qu’un tank. On se trompe avant même de rencontrer les gens, quand on imagine la rencontre avec eux; on se trompe quand on est avec eux; et puis quand on rentre chez soi, et qu’on raconte la rencontre à quelqu'un d’autre, on se trompe de nouveau. Or, comme la réciproque est généralement vraie, personne n’y voit que du feu, ce n’est qu’illusion, malentendu qui confine à la farce. Pourtant, comment s’y prendre dans cette affaire si importante - les autres- qui se vide de toute la signification que nous lui supposons et sombre dans le ridicule, tant nous sommes mal équipés pour nous représenter le fonctionnement intérieur d’autrui et ses mobiles cachés? Est-ce qu’il faut pour autant que chacun s’en aille de son côté, s’enferme dans sa tour d’ivoire, isolée de tout bruit, comme les écrivains solitaires, et fasse naître les gens à partir de mots, pour postuler ensuite que ces êtres de mots sont plus vrais que les vrais, que nous massacrons tous les jours par notre ignorance? Le fait est que comprendre les autres n’est pas la règle, dans la vie. L’histoire de la vie, c’est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C’est même comme ça qu’on sait qu’on est vivant: on se trompe. Peut être que le mieux serait de renoncer à avoir tort ou raison sur autrui, et continuer, rien que pour la balade. Mais si vous y arrivez, vous.. alors vous avez de la chance. »
Marc-Antoine Mathieu, extrait de S.E.N.S.
mercredi 4 février 2015
Opéra de chambre
Quelle belle idée que cette association entre les artistes de l'Atelier lyrique et l'Orchestre de chambre McGill qui offrait hier soir seulement un doublé des plus inspirés: La voix humaine de Poulenc et Trouble in Tahiti de Bernstein. Deux facettes complémentaires de l'amour qui s'enlise, qui déçoit. L'opéra de Bernstein peut se lire comme un arrêt sur image juste avant que l'inévitable se produise, le tragédie lyrique de Poulenc comme l'après-fissure, alors que l'un des deux protagonistes a déjà refait sa vie et l'autre se complaît dans les souvenirs heureux et le déni.
La voix humaine reste l'une de ces pages particulièrement exigeantes du répertoire. Poulenc y a travaillé en maître les textures, l'orchestre soutenant et dialoguant avec la soprano, l'alternance des récitatifs et des passages plus lyriques se révélant difficile à gérer pour toute chanteuse, même chevronnée. Quelle surprise de réaliser dès les premiers instants que France Bellemare se révélait une interprète idéale: voix puissante sans jamais être forcée, présence scénique indéniable et maîtrise totale des subtilités de la partition.
La question du mensonge joue un rôle essentiel dans cette relecture de la pièce de Cocteau, la femme mentant sur sa tenue vestimentaire ou affectant un détachement qu'elle ne ressent pas. La soprano a su, grâce à un habile jeu d'intonations qui, parfois, vont à l'encontre du texte chanté, démontrer une compréhension toute en subtilité du personnage. Boris Brott et l'Orchestre de chambre McGill la suivaient pas à pas, respiraient avec elle, se glissaient dans les interstices du texte, devenaient personnages, transmettaient l'atmosphère si particulière de cette oeuvre.
La mise en scène sobre, mais efficace de Martine Beaulne ne surchargeait pas inutilement le propos, le téléphone lui-même ne s’immisçant jamais dans la fluidité de la transmission, tout comme l'utilisation des quelques accessoires et des différents lieux de la chambre.
De par sa forme même, proche de Broadway et de la pop radiophonique des années 50, Trouble in Tahiti est l'une de ces pages qui plaisent instantanément. On y retrouve les talents de mélodiste de Bernstein, les transitions serrées. Le trio de jazz tout droit sorti d'un jeu télévisé remplace le chœur grec, commente l'action et sert d’accessoiristes. On reconnaît d'entrée de jeu la signature Oriol Thomas, cette effervescence dans les textures et les propositions qui favorisent les lectures multiples (fortement chargées d'humour ici). Le décor monochrome de Laurence Mongeau (qui signe aussi les très beaux costumes) et Simon Lefebvre qui se déconstruit au fur et à mesure des sept scènes est particulièrement réussi, les élément de cette installation que certaines galeries d'art auraient volontiers accueillie redevenant table, chaises, objets du quotidien.
On peut s'interroger ici sur la nécessité d'amplifier les chanteurs. Cherchait-on à transmettre une vision plus « pop » de l'opéra? Je crois que tous auraient eu avantage à pouvoir projeter un peu plus et révéler le véritable grain de leur voix. Un évident problème de calibrage des micros a ainsi fait entièrement disparaître Magali Simard-Galdès de la première apparition du trio jazz et le vibrato dans les passages plus classiques du premier duo Dinah/Sam devenait grossièrement exagéré. Les problèmes se sont résolus par la suite, Alexandra Beley nous livrant notamment un très beau « I was standing in a garden » (page magique s'il en est une) et Josh Whelan se révélant un acteur consommé.
Dommage que la production n'ait pas été présentée deux ou trois soirs...
La voix humaine reste l'une de ces pages particulièrement exigeantes du répertoire. Poulenc y a travaillé en maître les textures, l'orchestre soutenant et dialoguant avec la soprano, l'alternance des récitatifs et des passages plus lyriques se révélant difficile à gérer pour toute chanteuse, même chevronnée. Quelle surprise de réaliser dès les premiers instants que France Bellemare se révélait une interprète idéale: voix puissante sans jamais être forcée, présence scénique indéniable et maîtrise totale des subtilités de la partition.
La question du mensonge joue un rôle essentiel dans cette relecture de la pièce de Cocteau, la femme mentant sur sa tenue vestimentaire ou affectant un détachement qu'elle ne ressent pas. La soprano a su, grâce à un habile jeu d'intonations qui, parfois, vont à l'encontre du texte chanté, démontrer une compréhension toute en subtilité du personnage. Boris Brott et l'Orchestre de chambre McGill la suivaient pas à pas, respiraient avec elle, se glissaient dans les interstices du texte, devenaient personnages, transmettaient l'atmosphère si particulière de cette oeuvre.
La mise en scène sobre, mais efficace de Martine Beaulne ne surchargeait pas inutilement le propos, le téléphone lui-même ne s’immisçant jamais dans la fluidité de la transmission, tout comme l'utilisation des quelques accessoires et des différents lieux de la chambre.
De par sa forme même, proche de Broadway et de la pop radiophonique des années 50, Trouble in Tahiti est l'une de ces pages qui plaisent instantanément. On y retrouve les talents de mélodiste de Bernstein, les transitions serrées. Le trio de jazz tout droit sorti d'un jeu télévisé remplace le chœur grec, commente l'action et sert d’accessoiristes. On reconnaît d'entrée de jeu la signature Oriol Thomas, cette effervescence dans les textures et les propositions qui favorisent les lectures multiples (fortement chargées d'humour ici). Le décor monochrome de Laurence Mongeau (qui signe aussi les très beaux costumes) et Simon Lefebvre qui se déconstruit au fur et à mesure des sept scènes est particulièrement réussi, les élément de cette installation que certaines galeries d'art auraient volontiers accueillie redevenant table, chaises, objets du quotidien.
On peut s'interroger ici sur la nécessité d'amplifier les chanteurs. Cherchait-on à transmettre une vision plus « pop » de l'opéra? Je crois que tous auraient eu avantage à pouvoir projeter un peu plus et révéler le véritable grain de leur voix. Un évident problème de calibrage des micros a ainsi fait entièrement disparaître Magali Simard-Galdès de la première apparition du trio jazz et le vibrato dans les passages plus classiques du premier duo Dinah/Sam devenait grossièrement exagéré. Les problèmes se sont résolus par la suite, Alexandra Beley nous livrant notamment un très beau « I was standing in a garden » (page magique s'il en est une) et Josh Whelan se révélant un acteur consommé.
Dommage que la production n'ait pas été présentée deux ou trois soirs...
mardi 3 février 2015
Flou
Considérée par certains la « Sylvia Plath de la photographie », Francesca Woodman a laissé environ 800 clichés avant de s'enlever la vie à 23 ans en se défenestrant.
Il n'est pas question à propre parler de biographie romancée. Certes, certains éléments de la vie de l'artiste surgissent au détour d'un paragraphe, mais de façon tellement évanescente que l'on a parfois l'impression d'avoir été le jouet d'une illusion ou d'un télescopage d'images. Jamais clairement identifiée, la narratrice établit un lien de complicité autant avec le lecteur qu'avec son sujet, à travers des trajectoires complémentaires presque désincarnées.
On a souvent l'impression de découvrir un recueil de poèmes en prose, ce qui suspend naturellement le rythme de lecture, chaque photographie évoquée se matérialisant dans l'esprit, le résultat s'avérant souvent bien différent des intentions - ou plutôt du rendu, car comment pouvons-nous vraiment connaître les secrets d'une composition? - de Woodman.
« La vitre est comme le long ruban qu’on traverse en le brisant, à bout de souffle, à la fin de la course, la vitre est comme une large bande de papier diaphane sur lequel on écrit notre nom en grosses lettres et qu’on déchire après, la vitre est une photographie, un espace pour la représentation. Francesca décide de s’en échapper, convaincue peut-être qu’elle pouvait exister en dehors. »Marie Lefebvre nous propose avec Flou un portrait qui n'en est pas vraiment un, qui joue avec les faux-semblants, les jeux de miroirs (élément que l'on retrouve dans plusieurs des photographies de Woodman), qui se joue d'une certaine façon du regard que le lecteur peut jeter sur cette existence, mais aussi sur la précarité de la sienne.
Il n'est pas question à propre parler de biographie romancée. Certes, certains éléments de la vie de l'artiste surgissent au détour d'un paragraphe, mais de façon tellement évanescente que l'on a parfois l'impression d'avoir été le jouet d'une illusion ou d'un télescopage d'images. Jamais clairement identifiée, la narratrice établit un lien de complicité autant avec le lecteur qu'avec son sujet, à travers des trajectoires complémentaires presque désincarnées.
On a souvent l'impression de découvrir un recueil de poèmes en prose, ce qui suspend naturellement le rythme de lecture, chaque photographie évoquée se matérialisant dans l'esprit, le résultat s'avérant souvent bien différent des intentions - ou plutôt du rendu, car comment pouvons-nous vraiment connaître les secrets d'une composition? - de Woodman.
« Francesca a choisi la photographie parce que la photographie est un échec, parce qu’elle n’a rien à voir avec la réalité, même quand elle veut la dépasser. La photographie réduit l’espace, arrête le temps, tue le sujet en le figeant. »
On se sent frustré parfois de ne pas avoir d'images à laquelle se raccrocher (la proposition se serait révélée tout autre si elle avait été illustrée), mais de façon paradoxale, c'est aussi ce qui fait la force indéniable de cet objet littéraire insolite, à savourer dans un espace-temps suspendu, au cœur duquel on pourra entendre la musique si particulière de la photographe autant que de l'auteure.
« L’image et l’écriture sont nos enfants handicapés, débiles, limités à presque tous égards, sauf par leur faculté de donner de l’amour, du réconfort. »En complément, une très belle présentation de Woodman...
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