Le Noshow avait fait parler de lui lors de son passage au FTA, certes, mais rien ne nous prépare exactement à l'expérience unique qui sera vécue. Le concept de base est simple: permettre au spectateur de réaliser ce qui se cache derrière le prix d'un billet de spectacle et réfléchir à la condition d'artiste. Première étape: cocher sur un feuillet (dans l'isoloir) le montant que l'on est prêt à débourser. (Impossible de proposer un chiffre entre deux.) Après avoir payé à un guichet dont la vitre a été couverte d'un drap noir (histoire de ne pouvoir identifier les plus radins), on reçoit un billet anonyme.
Quand on entre dans la salle de l'Espace libre, on constate que la scénographie se résumera à une longue table de conférence (un praticable couvert de tissu noir), sur laquelle sont disposés des micros. Sept chaises pour les sept acteurs qui espèrent participer à la représentation car, oui, les recettes décideront de combien resteront. Mercredi soir, 1908 $ avaient été recueillis (une moyenne de 18,71 $ par spectateur), montant duquel il fallait retirer les frais de service de la billetterie (280,50 $), les salaires des régisseurs (500 $), les frais réguliers (300 $). Recette à verser aux acteurs au final: 615,52 $, donc de quoi donc payer trois acteurs (à 200 $ chacun). Une nouvelle collecte est organisée dans la salle, qui permettra l'ajout d'un quatrième participant. Les sept comparses se rendent ensuite dans une des loges et chacun disposera d'une minute pour vendre sa salade et attirer sympathie, intérêt ou fou rire (parfois les trois en même temps) du public. Un vote impitoyable suit (chaque spectateur textera ses quatre numéros « gagnants ») et trois acteurs retrouveront la tente installée dans le petit parc non loin du théâtre. Un léger malaise s'installe (on voudrait tous pouvoir les sauver), mais l'art ne naît-il pas nécessairement de la contrainte? À l'heure où les gouvernements sabrent allègrement dans les subventions aux arts (mais continuent de disperser leurs largesses dans d'autres domaines), est-il encore possible de compter sur le soutien de quiconque à part soi?
La production adopte la formule de l'assemblée générale, avec points à l'ordre du jour se voyant rayés d'un large trait rouge sur l'écran de projection quand l'acteur qui devait aborder le sujet n'a pas été retenu. Parfois, un autre prendra la relève et improvisera un résumé. À d'autres moments, on accepte que le portrait ne pourra jamais entièrement être présenté. À travers une série de numéros hautement performatifs, livrés de façon impeccable, le spectateur est invité à passer de l'autre côté du miroir (ou les artistes présents dans la salle, à se rappeler que, non, ils ne sont pas seuls à ramer dans la tempête). François Bernier répétera par exemple l'une des scènes de L'affiche de Philippe Ducros avec une spectatrice choisie au hasard dans la salle (plutôt convaincante, d'ailleurs), une dame dans la rangée derrière moi recevra un appel des trois « oubliés » (que l'on suit de temps en temps grâce à une caméra) qui, même s'ils n'ont pas le droit d'être sur scène, aimeraient être certains que leur geste de grève tournante n'a pas été vain. Florence Longpré livrera un discours de remerciement d'anthologie, qui égratignera au passage parents n'ayant pas compris la nécessité de soutenir leur fille et professeurs ayant décidé de profiter de son innocence. Hubert Lemire nous racontera comment il a dû se prendre un petit boulot de transcription légale et accepté un jour de remplacer son frère avocat lors d'une comparution. Quand on choisit de pratiquer un tel métier, malgré les écueils rencontrés, doit-on continuer de s'acharner?
Le Noshow pose les vraies questions, refuse les réponses toutes faites, mais surtout d'adopter un ton misérabiliste ou moralisateur. On réfléchit, certes. On s'arrête un instant et on se dit que, non, cela n'a aucun sens. On rit beaucoup aussi, grâce à un dosage particulièrement bien calibré de comédie et de drame. Aucun cynisme ici. Une volonté plutôt de rappeler au public ce qui fait la beauté - la nécessité surtout - du théâtre. À ne pas rater!
Jusqu'au 13 septembre à Espace libre
2 commentaires:
Concept grandiose !
Petite question : est-ce qu'après la représentation les 4 élus et les 3 oubliés se partagent les recettes, le fameux 615,52$ ? Ou bien, c'est chacun pour soi ? Ce qui prime ici, est-ce l'individu ou la troupe ?
Ce serait intéressant de le savoir. ;-)
Merci Lucie !
Je suis pas mal certaine que, effectivement, ils se séparent la cagnotte à sept, car les 3 "rejetés" participent quand même, mais dehors.
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