jeudi 18 décembre 2008

Auf Wiedersehen , Herr Brendel


Dans quelques heures à peine, au mythique Musikverein de Vienne, Alfred Brendel tirera sa révérence, dans le « Jeune homme » de Mozart. Après une carrière éblouissante, la légende descend de son pied d'estale et retrouve son home anglais, ses masques africains, ses objets kitsch et, semble-t-il, l'écriture (c'est du moins ce qu'on peut lire sur son site officiel).

Je suis privilégiée de l'avoir entendu en concert à plus d'une reprise mais aussi, d'avoir pu l'interviewer en 2001. Cette entrevue restera certainement l'une des plus marquantes de ma vie, pour plusieures raisons. Tout d'abord, il était la première légende à qui je parlais et j'avais l'impression en composant le numéro d'une chambre d'hôtel d'Europe de téléphoner à Dieu, ou du moins à un dieu du piano. J'étais fébrile à plus d'un niveau: peur de rater le contact (pas toujours évident, l'entrevue téléphonique, pour susciter la confiance), peur de lui poser les mêmes questions entendues des milliers de fois, peur qu'il me glisse entre les doigts. Comme si ce n'était pas assez, ce jour-là, j'étais fiévreuse... littéralement. Pendant l'entrevue d'une vingtaine de minutes, je sentais la sueur perler à mon visage, les frissons me secouer et j'essayais désespérément de reprendre le dessus. Brendel lui-même n'était pas dans une grande forme, toussait un peu, semblait épuisé par ses concerts. Malgré tout, j'ai été séduite par sa générosité mais surtout par sa simplicité. Il n'avait aucunement l'impression d'avoir accompli quoi que ce soit de grand et m'avait glissé que n'importe qui pourrait faire de même en s'y appliquant! Je me souviens aussi qu'il avait été question de littérature, de ses collections, d'humour, de Mozart, de Beethoven, de musique contemporaine.

Quelques semaines plus tard, il avait donné un récital magistral, salle Claude-Champagne, auquel j'avais bien sûr assisté. Après le concert, je lui avais fait suivre une carte du Far Side de Gary Larson, dessins que nous apprécions tous les deux, le remerciant pour cette entrevue. Je n'avais pas beaucoup d'espoir de le voir se pointer à la réception, les conditions météo exécrables (il était arrivé à Montréal quelques heures à peine avant le concert, tempête de neige oblige) l'ayant certes épuisé. Il est tout de même venu, voûté, drainé, échangeant quelques poignées de main ici et là. J'ai fini par oser l'aborder, mon numéro de La Scena Musicale sous le bras, espérant qu'il accepte de le signer. Il a rapidement réalisé que j'étais celle qui lui avait fait parvenir cette carte quelques minutes auparavant et a tenu à m'en remercier. «Thank you so much, you really made my day! » Encore sous le choc du concert, j'en avais été soufflée. Il a ensuite accepté mon crayon et a signé, « Cordially, Alfred Brendel ». Plus de sept ans après, je m'en souviens encore avec une précision étonnante. On peut lire cet article ici...

Je l'ai réentendu deux autres fois en récital et j'ai toujours été éblouie par la façon dont il détaille chaque phrase, la cisèle, ne la transmet que si elle est parfaite. J'étais bien sûr dans la salle, en février dernier, lors de son ultime passage montréalais, dans le Troisième de Beethoven. Une grande leçon de musique parce que, pour une rare fois peut-être, il s'est laissé aller et nous a laissé voir, sentir, l'homme derrière l'immense pianiste. J'en avais parlé là...

Alors, oui, bien sûr, aujourd'hui, j'écouterai Mozart et Brendel... comme si j'y étais ou presque. Thank you, Mr. Brendel, for the inspiration!

4 commentaires:

Claudio Pinto a dit…

Lucie,

Je ne savais pas que ta rencontre avec Brendel avait été aussi intense !

Je n'étais pas là à son dernier concert, mais je n'oublierai certes jamais son concert précédent à Montréal, plus précisément le rappel du Mozart, le 2e mouvement de la Sonate en la mineur. Je sais que tu t'en souviens très bien.

Lucie a dit…

Claudio: Ce concert de mars 2001, c'était la première fois que nous nous sommes rencontrés « live » en plus! (Même si nous allions attendre celui de Marc-André Hamelin deux mois plus tard pour vraiment « connecter » and « the rest is history ».)

Je me rappelle très bien de ce mouvement lent et, hier, quand je l'ai joué, j'ai pensé à ce concert précisément.

Philippe a dit…

Lucie. Superbe souvenir en effet et merci de le partager avec vos lecteurs. Le contraste entre la simplicité, l'humour, cette sorte de second degré du personnage, que vous confirmez bien avec un jeu, certes d'une technique prodigieuse mais si cérébral et retenu, m'a toujours intrigué. C'est quand même par lui (notamment via les concertos pour piano de Mozart avec Neville Marriner) que j'ai fait mon initiation à la musique classique. Philippe. Je suis aussi un grand admirateur de Gary Larson :-).

Lucie a dit…

Philippe: oui, cette intégrale des concertos figure en bonne place dans ma discothèque et j'y reviens assez régulièrement.

J'adore le fait que vous adoriez aussi Gary Larson! :-)