lundi 6 octobre 2014

Andromaque 10-43: ancrer dans le 21e siècle

Photo: Nicolas Descôteaux
L'idée était séduisante: non pas transposer, mais ancrer Andromaque de Racine, dans notre 21e siècle envahi - assailli plutôt - par les technologies, dans un Moyen-Orient que l'on sait sujet aux tensions de toutes sortes. Privilégier donc un regard politique, mais aussi sociologique, plutôt que de se concentrer froidement sur ce quadrilatère amoureux condamné dès le départ, qui lie Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque (mais tentera néanmoins de mettre la main sur Hermione) qui aime son défunt mari Hector. Après tout, ces amours ne se sont-elles pas révélées impossibles, car ébauchées sur fond de guerre de Troie? Le 10 puissance - 43 du titre fait référence au temps de Planck, temps qu'il faudrait à un photon dans le vide pour parcourir une distance égale à la longueur de Planck, la plus petite mesurable, un infime instant après le Big Bang. histoire de nous rappeler que dans une si infime période, tout peut basculer. Un destin, un pays.

Le metteur en scène Kristian Frédric a donc opté pour un traitement moderne - postmoderne même - du propos, les communications entre personnages se faisant ici aussi bien en personne qu'à travers des conversations Skype, sur les réseaux sociaux ou par messagerie. Six écrans sont disposés en fond de scène, sur lesquels évolueront certains personnages, mais qui servent aussi d'écrans de télévision (une guerre se doit d'être couverte dans ses moindres soubresauts) ou de surveillance (idée particulièrement intéressante de suivre - et entendre - les conversations en principe cachées de cette façon). Aux alexandrins de Racine se juxtaposent des passages en arabe classique, langue du cœur, de l'intime quand Pyrrhus et Andromaque discutent ensemble. Denis Lavant campe ici un Pyrrhus particulièrement saisissant, jamais unilatéral, surveillant le monde extérieur du sous-sol de son palais avec une satisfaction presque vile, mais néanmoins constamment troublé par Andromaque (Monica Budde, dont le maintien presque royal rappelle par moments Irene Papas), conscient que, quoi qu'il fasse, tout n'est que politique.


Photo: Nicolas Descôteaux
La proposition, si intéressante soit-elle, ne remplit pas entièrement ses promesses néanmoins. Si on apprécie d'emblée de jeu l'utilisation du numérique, elle engourdit par moments le texte. À d'autres, on finit par l'ignorer pour se concentrer sur ces pages toujours aussi puissantes, que l'on aurait peut-être aimé voir transmettre de façon un peu moins « classique » justement. Aurait-il fallu aller encore plus loin dans la modernisation du texte? Aurait-il fallu le transmettre avec un accent un peu moins pointu? (Tout au long de la représentation, je n'ai pu m'empêcher d'imaginer le même texte transmis par des acteurs d'ici. La relecture qu'avait fait Omnibus d'Andromaque, pourtant pas dépourvue de tics, m'avait paru plus convaincante à maintes égards.)

Remarquablement discrets, les jeunes dans la salle se sont-ils retrouvés dans tout cela? Je me le suis demandée, en les voyant bondir sur leur téléphone à l'entracte pour continuer à communiquer avec « leur » monde. Peut-être est-ce cela au fond, un classique: un texte qui se laisse appréhender de tant de façons différentes et pourtant, n'a pas fini de révéler ses richesses.

Jusqu'au 24 octobre au Théâtre Denise-Pelletier.




   

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