Pièce mythique, Le Sacre du printemps continue d'inspirer les chorégraphes depuis sa création il y a un peu plus de 100 ans. Plutôt que de nous proposer une énième relecture, Akram Khan ne garde que l'essentiel du ballet de Stravinski: l'idée du sacrifice, l'éternel féminin et la pulsion de la mort. iTMOi (In The Mind of Igor) s'attarde plutôt au processus créatif ayant mené à la naissance du Sacre. Après tout, on sait déjà que Stravinski avait rêvé cette pièce qui allait faire basculer irrévocablement la musique classique dans une nouvelle ère. N'écrit-il pas dans Chroniques de ma vie: « En finissant à Saint-Pétersbourg les dernières pages de L’Oiseau
de feu, j’entrevis un jour, de façon absolument inattendue, car mon esprit
était alors occupé par des choses tout à fait différentes, j’entrevis dans mon
imagination le spectacle d’un grand rite païen : les vieux sages, assis en
cercle et observant la danse à la mort d’une jeune fille, qu’ils sacrifient
pour leur rendre propice le dieu du printemps »?
La partition de Stravinski n'est plus ici que suggérée: par le rythme des voix, par les pas des danseurs qui ici et là reprennent la séquence asymétrique qui sert de sceau au ballet, séquence que l'on retrouve aussi quand la trame sonore devient extrêmement minimaliste, évoquant un disque qui « saute ». Ceux qui connaissent le Sacre de l'intérieur, l'ont laissé vivre en eux pendant un certain nombre d'années, retrouveront ces repères, intégrés à la trame sonore par Nitin Sawhney, Jocelyn Pook et Ben Frost. Quand, enfin, le thème du basson du début s'élève, on ressent une impression de catharsis, d'avoir compris parfaitement la période d'incubation, la nécessité d'aborder un tel sujet, aussi pertinent en 2014 qu'en 1913.
En misant sur une scénographie épurée, des magnifiques costumes aux couleurs tranchées de Kimie Nakano, des éclairages particulièrement soignés de Fabiana Piccioli, la production plonge le spectateur d'entrée de jeu dans un univers onirique, qui permet la multiplicité des lectures. Si on reconnaît aisément le personnage de la jeune vierge fragile, tout de blanc vêtue, une créature cornue qui évoque autant l'univers de Stravinski que le faune du ballet de Debussy, le célébrant vêtu de noir (le chorégraphe lui-même), on peut décliner selon son envie l'identité réelle de cette reine intransigeante en crinoline blanche (l'inspiration peut-être?), du jeune homme souhaitant sauver la vierge et de ce fascinant derviche tourneur dont la jupe devient corolle, les pieds tiges, mains.
On reconnaîtra aisément la signature d'Akram Khan et son intégration du kathak, danse indienne aux figures complexes, mais aussi quelques clins d’œil au hip-hop et à la chorégraphie inoubliable de Pina Bausch, en un tout toujours parfaitement calibré, le mouvement ne perdant jamais de sa grâce et de sa pureté, même dans les moments plus violents. Un spectacle qui séduira sans réserve amateurs aussi bien que néophytes.
Vous pouvez encore vous glisser en salle ce soir et demain. N'hésitez pas!
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