Il est très (trop?) rare qu'une pièce de théâtre ait pour sujet la musique, surtout classique, alors je n'ai pas résisté très longtemps à la tentation de découvrir
Une musique inquiétante, à l'affiche au Théâtre du Rideau Vert ces jours-ci. Finaliste en 1996 du Prix Pulitzer et lauréate du L.A. Drama Logue Award, cette pièce de l’auteur américain Jon Marans a été reprise dans une douzaine de pays depuis sa création.
Stephen Hoffmann, prodige qui ne joue plus depuis un an, débarque à Vienne en 1986 pour étudier avec le grand Schiller, mais il se retrouve plutôt dans la classe du déclinant Mashkan, professeur de chant sentimental et ambigu. Ce dernier lui donne à travailler les
Dichterliebe (L'amour du poète) de Schumann, ce qui révolte d’abord le jeune pianiste, qui ne comprend pas comment un travail vocal pourra ranimer la flamme éteinte en lui. Ces deux hommes que tout semble opposer (âge, race, culture, façon d’aborder la vie) finiront pourtant par aller à la rencontre l’un de l’autre, non pas seulement à travers leur dialogue mais aussi à travers la musique de Schumann.
Pour transmettre ce texte entre huis clos, duel et récit initiatique, il était essentiel de trouver deux comédiens plus grands que nature. Émile Proulx-Cloutier est convaincant dans la peau du jeune pianiste, en révolte contre son passé (aussi bien celui de musicien que celui de sa famille, juive) et qui espère qu'on lui proposera une recette miracle pour sortir de son marasme. Il faut le voir d'abord contempler le piano avec une violence presque féroce pour comprendre que la route sera forcément parsemée d'embuches. Lors de la première partie de la
prima, il s'est peut-être un peu laisser écraser par le jeu totalement habité de Jean Marchand, qui se glisse dans le rôle de Mashkan aussi facilement qu'on endosse un costard de concert, habitué depuis plusieurs années à louvoyer entre scènes théâtrale et musicale. Dans la deuxième partie du spectacle, on a pu assister à un véritable dialogue et non plus à un jumelage plus traditionnel soliste/accompagnateur.
Il m'est très difficile de porter un regard objectif sur le texte lui-même de la pièce, le propos m'ayant touchée profondément à plus d'un égard, que ce soit à travers certaines réflexions sur le geste musical, sur les évocations détaillées de l'un ou l'autre des lieder du cycle de Schumann (qui reste l'une de mes œuvres préférées, toutes catégories confondues) ou sur les questionnements face à l'oubli apparent de l'Autriche de son passé nazi. D'un point de vue musical, j'aurais aimé que la voix du jeune chanteur apprenti projette un peu plus et nous transmette un peu mieux la densité musicale, mais je réalise qu'il est utopique de pouvoir exiger d'un comédien qu'il chante autrement que de façon plus « scolaire » ces pages et que, si l'on souhaite être en accord avec la prémisse même du texte, il ne pourrait atteindre un tel niveau en quelques leçons. (Il est déjà remarquable qu'il ait pu chanter de telles pages et jouer en plus, de façon plus qu'honnête, certains extraits du répertoire pianistique.)
Une chose reste certaine: j'ai été si transportée par les pages du
Dichterliebe à mon retour et pendant la nuit qui a suivi que j'ai dû écouter Fischer-Diskau le lendemain matin dans l'œuvre et me réapproprier certains des lieder au piano. Ce n'est certes pas tous les jours qu'une pièce nous mène aussi loin au cœur même de soi...
La pièce est présentée en français en février et sera reprise en mars, par les mêmes acteurs, en version originale (
Old Wicked Songs) au Segal Centre.