samedi 31 mai 2008

Magnificat de John Rutter

Ce soir, je revêtirai un autre de mes nombreux chapeaux (celui de conférencière pré-concert et animatrice) et retrouverai avec grand plaisir les choristes de Sympholies vocales, un groupe de fervents mélomanes qui ont le chœur sur la main. Au programme: des œuvres variées en première partie, dont un arrangement inusité du Canon de Pachelbel, qui sera enrichi d'un texte d'une choriste, Claudine Christin, décédée il y a quelques mois après un combat contre le cancer, testament poétique sur page éternelle du répertoire. J'avoue ne pas être la plus grande fan du dit Canon, mais avec un sous-texte aussi émouvant, je revois sans hésiter mes positions.
« Oh vie, ma joie, chantons, dansons, célébrons la vie!
Le vent du large caresse ma peau, le sang circule.
Mes pensées reprennent leur vol. Alléluia. Célébrons la vie.
Mon âme a repris sa place près de mon cœur,
Qui bat la mesure de la vie; rester pour aimer. Rester pour aimer. »

En deuxième partie, une œuvre que je ne connaissais pas, pourtant fort attrayante: le Magnificat de John Rutter, compositeur anglais contemporain des plus prolifiques, fruit de l'enseignement choral britannique et collègue de classe de John Tavener, l'un des ténors de la scène britannique contemporaine.

Le Magnificat de Rutter a été créé au Carnegie Hall de New York par le Manhattan Chamber Orchestra, des chœurs et la soprano Patricia Forbes, le 26 mai 1990, sous la direction du compositeur. Le Magnificat, le cantique de la Vierge Marie, faisait traditionnellement partie de l’antique rite des Vêpres dans l’église romaine médiévale. Après la Réforme, il devait être intégré aux services en soirée des églises luthériennes et anglicanes. Ce texte a été mis en musique plus souvent que tout autre texte liturgique (exception faite de l’ordinaire de la messe), notamment par Giovanni Pierluigi da Palestrina, Claudio Monteverdi, Wolfgang Amadeus Mozart (dans ses Vêpres solennelles d’un confesseur, interprétées par Sympholies vocales l’année dernière) et Johann Sebastian Bach, source d’inspiration pour John Rutter.

Ainsi, les deux œuvres proposent une reprise de matériau musical dans leurs premiers mouvements, utilisent des chants grégoriens, confient à la soliste les vers plus introspectifs, le chœur s’affirmant dans les sections les plus éclatantes du texte. Tout comme Bach avait choisi d’intercaler quelques numéros supplémentaires dans le texte original du Magnificat, Rutter y glisse un Sanctus (de l’ordinaire de la messe), un Sancta Maria et une page musicale d’une grande beauté, « Of a Rose, a Lovely Rose », qui reprend l’image de la rose comme métaphore de la Vierge Marie. Rutter a noté dans ses notes de l’œuvre qu’il souhaitait recréer dans son Magnificat l’atmosphère des nombreux festivals méditerranéens dédiés à Marie.

Je vous propose d'écouter ici l'ouverture de cette œuvre chorale:



vendredi 30 mai 2008

Faire son marché

Les circonstances ont fait que j'ai été très « musique » ces derniers temps et moins « littérature ». Ce n'est pas que je n'ai pas lu, pourtant. Pour la rédaction des notes de la pochette du prochain disque Messiaen de Louise Bessette, je me suis replongée dans cet univers si particulier d'un compositeur que j'apprécie. J'ai relu avec plaisir de larges pans de ses Entretiens avec Claude Samuel, certaines pages du Olivier Messiaen d'Halbreich, dévoré il y a quelques années, ai découvert le regard légèrement suranné de Pierrette Mari (un livre daté de 1965 alors que Messiaen était dans la force de son génie créateur). Et puis, si Messiaen se qualifiait de compositeur, « rythmicien » et ornithologue, il possédait une belle maîtrise des mots, héritage potentiel de ses parents, une poétesse reconnue (Cécile Sauvage) et d'un professeur de littérature, traducteur de Shakespeare.
« La musique est un perpétuel dialogue entre l’espace et le temps, entre le son et la couleur, dialogue qui aboutit à une unification : le temps est un espace, le son est une couleur, l’espace est un complexe de temps superposés, les complexes de sons existent simultanément comme complexes de couleurs. Le musicien qui pense, voit, entend, parle au moyen de ces notions fondamentales, peut dans une certaine mesure s’approcher de l’au-delà. »


Dans un registre tout aussi poétique, j'ai aussi lu Ceci est mon corps de Jean-François Beauchemin, un livre dont les prémices sont des plus intéressantes. Jésus (qui ne sera jamais nommé mais dont on reconnaît facilement l'histoire) n'est pas mort sur la croix et n'a pas eu besoin de ressusciter. Placé au tombeau encore vivant, il réussit à s'enfuir, les gardes ayant été soudoyés. Plus de cinquante ans plus tard, au soir de sa vie, face au décès de sa bien-aimée Marthe, il se raconte. Il évoque quelques pans troublants de sa jeunesse: certains « miracles », la folie de Jean-Baptiste, son amitié avec Lazare, l'amour qu'il porte à son père Joseph, sa révolte face à ce père spirituel aussi, qu'il questionne férocement, comme tout autre humain. Il parle aussi avec tendresse de sa mère Marie, de l'émotion ressentie quand il est revenu à la demeure familiale, a retrouvé ses frères et sœurs, lors du décès de celle-ci. Dans sa postface, l'auteur justifie sa démarche: « Et pourtant, je rôde autour de Jésus, non pas comme le ferait un disciple, mais poussé par une curiosité qui ne veut plus me quitter. Qui est-il donc, lui qui m'est si étrangement familier et qui m'échappe tout à la fois? J'ai compris justement que ce qui se dérobait à moi était la divinité dont l'avaient revêtu l'Histoire et sa toujours fâcheuse habitude de glorification. »

Là où Éric-Emmanuel Schmitt tentait de jeter un regard neuf sur l'histoire de Jésus en la racontant d'un autre point de vue (avec un succès mitigé), Beauchemin choisit plutôt la voie de l'introspection, de la réflexion philosophique. La plupart du temps, le pari est tenu et on se fond dans les pensées de ce vieil homme revenu de tout mais qui a changé la face du monde, bien malgré lui. À certains autres, par contre, Beauchemin devient plus historien pointu que philosophe de l'humain et certaines pages deviennent alors plus lourdes à la lecture, nous emmêlant un peu dans les références à des événements très lointains (pas nécessairement inintéressants cependant). Le livre se déguste en petites sections, pour laisser les phrases se sédimenter dans l'esprit. Si on n'est pas dans le registre attractif de Garage Molinari, fable magique sur l'amitié, l'amour, la vie, on rejoint d'autres profondeurs, qui nous plongent en nous-même, nous forçant à revoir certaines « vérités » acceptées.

« Nous ne savons rien du vide où se termine la terre et où les astres commencent de se suspendre. Nous ne connaissons du temps que la caravane qu'il allonge et dont nous sommes les passagers contraints: le mécanisme de ses tyrannies ou de ses indulgences ne nous est presque jamais intelligible. Tout au plus ne bénficions-nous que de son enseignement, qui n'est déjà plus le temps lui-même, mais sa résonance. Nous repoussons cet horizon trop près par l'éclairage que jettent sur le monde nos raisonnements et notre faculté d'abstraction. Cela nous a donné quelques-uns de nos arts les plus admirables, et surtout les sciences, dont le langage mathématique n'a cessé de me fasciner, peut-être parce qu'il semble si près de celui dans lequel le monde est écrit. » (p. 65)

Si la poésie vous interpelle ou que vous sentiez curieux face à ses multiples visages, je vous invite en terminant au Marché de la poésie de Montréal 2008 qui se tient ce week-end: 170 éditeurs et poètes au rendez-vous sous le chapiteau de la place Gérald-Godin (métro Mont-Royal), des spectacles, des lectures, des visites commentées du quartier qu'ont habité plusieurs poètes québécois, un concert musicolittéraire, l'exposition « Sculpture sur prose »... La programmation complète est disponible ici.

mercredi 28 mai 2008

CMIM: une grande gagnante


Deuxième et dernier soir de finale hier, Théâtre Maisonneuve. La salle est bondée et, même avant le début des prestations, les supputations vont bon train. Restée sur ma faim la veille, je misais sur Nareh Arghamanyan, dont la sensibilité m'avait émue dans sa Deuxième Ballade de Liszt en quart de finale (je l'ai réécoutée deux fois en boucle!) et dont son sens de l'architecture m'avait séduite dans son opus 110 de Beethoven. Je n'aurai pas été déçue même si, au moment où elle s'est avancée sur scène, je commençais à croire que les membres du jury possédaient certainement des oreilles (ou du moins une grille analytique) différentes des miennes.

L'Américaine Elizabeth Schumann, que tout le monde semblait a-do-rer mais dont les Scènes d'enfants manquaient selon moi totalement de poésie en demi-finale et qui s'était perdue de façon assez remarquable (et surprenante dans un concours de ce niveau) dans son Wigmund de Schumann-Liszt (elle avait fini par se fâcher et jouer toute une section fff!) nous a offert un Premier Concerto de Chopin absolument inutile, dénué du bel canto le plus élémentaire. (Chopin devait pleurer hier soir dans sa tombe, moi, en tout cas, j'ai souffert.) Privilégiant des articulations démesurées plutôt que de phraser grand, laissant défiler des double-croches de façon purement mécanique, manquant de subtilité (le troisième mouvement n'aura jamais été aussi peu dansant), Schumann a démontré qu'elle était peut-être une machine à notes remarquable dans les œuvres complexes techniquement (son Etude Fantasy de Corigliano par exemple) mais qu'il lui manquait la poésie nécessaire à un tel travail d'orfèvre. À un moment, j'étais suffisamment dépitée pour laisser mon esprit dériver et là, bang, encore une fois, elle s'est perdue de façon spectaculaire. L'orchestre a mis les freins en catastrophe, le chef Jean-Marie Zeitouni a jeté un regard interrogateur mais compatissant et tout le monde a fini par terminer en même temps.

Le Russe Alexandre Moutouzkine n'avait pas beaucoup à faire pour renverser le public. Il a démontré une spectaculaire maîtrise technique dans les passages de virtuosité brute (nombreux) du Troisième Concerto de Rachmaninov et a plongé dans l'œil du cyclone sans férir. Le premier thème a semblé un peu fade, les fff manquaient d'une rondeur évidente, le phrasé était à l'avenant mais il a su transmettre une belle intensité dans le deuxième mouvement et emporter le public dans le fiévreux troisième mouvement. Une interprétation digne d'un athlète olympique: plus vite, plus fort, plus pyrotechnique. Pour moi, il était devenu « le meilleur des pires » et sa présence en finale démontrait que le jury avait choisi de privilégier une grosse technique à une subtile musicalité.

Nareh Arghamanyan, la toute jeune candidate arménienne (19 ans), s'est enfin avancée et dès les premiers accords gigantesques du Concerto de Tchaïkovski, elle a su démontrer qu'elle n'était pas que technicienne mais aussi musicienne. Oui, c'est vrai, il y a eu quelques flottements mineurs dans le premier mouvement (que Daneshpour avait mené plus rondement peut-être) mais en quelques phrases à peine, le lyrisme, l'intensité et la poésie ne faisaient plus qu'un, esclaves de la partition romantique de Tchaïkovski. Suffisamment éblouie par la musicalité de la pianiste, mes oreilles ont moins accroché au manque de précision flagrant des musiciens de l'orchestre, décidément pas dans leur meilleure forme. (Ils ne seront certes pas les premiers ni les derniers musiciens d'orchestre à tenter de nuire aux candidats en finale d'un concours important.) Happée par l'expressivité du visage d'Arghamanyan quand elle joue (chez elle, on sent l'émotion plutôt que de devoir subir les grimaces d'un Takada ou les marmonnements incessants d'une Dorel Goran), j'ai oublié un instant toutes les notes mitraillées, tous les phrasés avalés, tout l'esbroufe des autres candidats et me suis dit que, enfin, on écoutait une vraie musicienne.

À mon grand soulagement, le jury m'a donné raison et l'a couronnée lauréate du Premier Grand Prix, les deux pyrotechniciens (Takada et Moutouzhkine) se méritant le deuxième prix ex-aequo. En entrevue radiophonique avec Mario Paquet quelques minutes après l'annonce des résultats, on la sentait dépassée par les événements, profondément émue par l'accueil chaleureux du public, un peu comme l'avait été le jeune violoniste Yossif Ivanov (16 ans alors) en 2003. On lui souhaite une longue carrière.

Christophe Huss était cette fois plutôt d'accord avec moi (lire ici) tandis que Claude Gingras a produit un papier minimal là.

mardi 27 mai 2008

CMIM: pas encore de premier prix

Contrairement à il y a quatre ans où j'avais avalé le concours comme on dévore un repas fastueux, presque jusqu'à l'indigestion, je suis restée relativement en retrait des premières épreuves, préférant la flexibilité de la technologie à l'écoute en salle, sauf à deux reprises. Pourtant, je me suis dit qu'en finale, je serais dans la salle, histoire de ne pas laisser mon esprit dériver lors d'une écoute radiophonique. (Difficile dans une maison dans laquelle on ne vit pas seule de s'isoler entièrement...)

La première soirée s'amorçait hier avec le candidat canadien Sergei Saratovsky (né en Russie, il étudie depuis quelques années dans l'Ouest canadien), qui avait offert en demi-finale un assez réussi Gaspard de la nuit et un rafraîchissant Butterflies and Bobcats de David McIntyre. Dans son « Empereur » de Beethoven (qui, clin d'œil du hasard, était joué presque simultanément dans la Salle Wilfrid-Pelletier par Till Fellner et l'OSM), Saratovsky a connu quelques flottements rythmiques et des imprécisions suffisamment fâcheuses pour que la lecture du premier mouvement en soit vaguement entachée. Les gestes amples, un peu caricaturaux, avec lesquels il arrachait ses accords, n'ajoutaient pas non plus quoi que ce soit à la qualité du son ou même au plaisir du spectacle. S'il a démontré le moelleux de son toucher et une belle fluidité des double-croches dans le deuxième mouvement, il n'a pas su porter le souffle suffisamment loin pour en extraire le lyrisme sublime de ces pages. On cherchait une direction, un sens, une profondeur, à tout ça. Le troisième mouvement a été lancé avec une belle énergie mais à laquelle manquait le caractère dansant inhérent à la partition. Là aussi, on aurait souhaité un peu plus de liberté dans le geste musical et dans l'attitude.

L'Américaine Sarah Daneshpour s'est ensuite avancée avec confiance, sous les bravos déjà conquis du public, qui attendait goulûment le célébrissime Concerto de Tchaïkovski. L'Orchestre métropolitain du Grand Montréal a clairement démontré ici quelques lacunes. Si les cordes étaient le plus souvent somptueuses dans les fortissimo, le synchronisme des pizzicati était déficient. Les vents n'ont certes pas ébloui, une trompette rentrant faux une mesure avant le temps (on ne parle quand même pas de musique contemporaine, ici!), la justesse d'intonation en général laissant grandement à désirer. Malgré les embûches semées sur son parcours par l'orchestre, la candidate s'est avérée d'une solidité exemplaire mais dénuée d'une certaine poésie. Les accents étaient le plus souvent percussifs (je l'aurais mieux imaginé dans Prokofiev), elle travaille très fort pour extraire le matériau de la masse, pousse le son dans les accords. Son deuxième mouvement était bien éloignée de la rêverie proposée par Tchaïkovski le mélodiste. Dans le dernier mouvement, les phrases manquaient de direction et on sentait, là aussi, un souci de s'arrêter à chaque incise du discours musical plutôt que de transmettre les subtilités inhérentes à la longue phrase.

Le Japonais Masataka Takada m'avait horripilée en demi-finale, jouant deux Scarlatti presque kitsch de contorsions et des Estampes de Debussy suffisamment incohérentes pour que je considère quitter son récital en plein milieu, avant la Sonate en si mineur de Liszt (mieux réussie). Je cherche encore ce que le jury a cru déceler dans son jeu. Il avait décidé de jouer le tout pour le tout en finale, proposant le particulièrement casse-cou Deuxième Concerto de Prokofiev. Malgré ses airs et grimaces franchement exagérés et ses cheveux dignes d'un Ken asiatique, il a su nous énoncer les thèmes du premier mouvement avec un certain lyrisme et a démontré une solidité exceptionnelle dans la cadence foudroyante. J'aurais souhaité un deuxième mouvement plus sardonique, presque machiavélique, moins propre et parfait. Les traits du troisième mouvement, si parfois un peu aseptisés, ont été présentés avec une remarquable fluidité et une belle précision de l'articulation. Sera-ce assez pour convaincre le jury? Souhaitons que non. De grandes choses pourraient être accomplies par la jeune candidate arménienne ce soir, Nareh Arghamanyan, dont le sens de l'architecture et la poésie ont ébloui jusqu'ici.

Pour vous démontrer que toute écoute est question de perception, vous pouvez lire ici les critiques de Claude Gingras de La Presse et Christophe Huss du Devoir qui, tous deux, encensent Sarah Daneshpour.

On peut suivre le dernier segment de finale ce soir à 19 h 30 (heure de Montréal) sur Espace musique et CBC Radio Two ou sur le site Internet de Radio-Canada.

lundi 26 mai 2008

C'est la faute à la chick-lit

Hier dans La Presse, comme un écho à La Recrue « 100 % pour filles » du mois de mai, Chantal Guy s'épanche sur ce buzz word qui semble se trouver maintenant sur toutes les lèvres. Et si, au fond, la chick lit (que certains nomment maintenant la wit-lit pour women et humour) avait toujours existé? À lire ici...

vendredi 23 mai 2008

Concours de circonstances

Trois jours de concours international et j'ai déjà le cœur brisé. Non, je vous rassure, je n'ai pas cédé au charme ravageur d'un jeune pianiste venu d'une lointaine steppe quoi que... J'ai suivi une bonne partie des récitals sur Internet (et, grâce à la magie de la technologie, on peut les réécouter en différé dès le lendemain, et ce, pour un an!), ai frémi d'ennui à l'écoute de certains. Oui, bien sûr, ils possèdent tous une technique impeccable (sinon, forcément, on les aurait recalés avant) mais combien savent toucher le public, de façon presque viscérale? Bien peu au fond...

Hier après-midi, je me suis glissée en salle parce que ce récital-là, je ne pouvais pas l'écouter uniquement sur la toile, il fallait que je le vive. Quatre ans plus tard, une émotion me saisit encore quand j'évoque devant un ami le deuxième mouvement du Concerto K. 488 interprété par Gintaras Janusevicius alors qu'il n'avait que 19 ans. Il fallait donc que je sache, une fois pour toutes, si j'avais rêvé ces instants suspendus. Il a mis la main sur le piano et les premières notes du prélude en fa mineur du premier volume du Clavier bien tempéré a doucement pris possession de la salle, presque bondée. Déjà, j'étais envoûtée: le jeu avait une belle profondeur, l'architecture du tout se dégageait de façon magnifique, comme si le pianiste nous dévoilait au fur et à mesure d'une improbable visite les pans d'une cathédrale. Il s'est ensuite jeté dans l'Intermezzo opus 118 no 2 de Brahms, le magique, celui qui permet de reconnaître hors de tout doute l'intériorité d'un pianiste. Après une douzaine de mesures un peu en surface, il a plongé de nouveau, s'est exposé, est venu nous chercher, un par un, par la tendresse, la fragilité aussi. L'opus 25 no 10 de Chopin, la terrible étude en double octaves, n'aura jamais été jouée avec une telle facilité. On y sentait un souffle de vent plutôt qu'une tornade, la sonorité restant toujours parfaitement calibrée. Une étude de Debussy, la pièce imposée d'Alexina Louie (un « boogie » plutôt sympathique, je crois bien que je me procurerai la partition) et c'est le temps d'une dernière toile musicale, le Quatrième Scherzo de Chopin, une œuvre dont la complexité n'est jamais apparente, dans un registre plutôt intime, joué avec plus de poésie que de brio. Déjà, après le Bach, j'étais troublée. Quarante minutes plus tard, j'étais profondément touchée. Par moments, dans les ppp, je retrouvais la pâte sonore de Lupu et je me disais que j'avais affaire à un vrai musicien. Peut-être pas un pianiste étincelant, dont les arpèges miroitent en cascades, dont les accords font trembler les lustres, mais un artiste, sans aucun doute.

Après le récital, je suis descendue l'attendre, le retrouver pour la première fois en quatre ans (le courriel, c'est sympa, mais un câlin en personne, c'est mieux!). Visiblement inquiet, il voulait savoir ce que j'en pensais. Moi qui, habituellement, suis parfaitement bilingue, avais de la difficulté à trouver certains termes, tellement je pensais en images poétiques plutôt qu'en phrases sensées, complètes. Je l'ai rassuré, l'ai embrassé puis me suis sauvée vers le collège. Un peu plus tard, j'ai repensé au récital de façon objective et j'ai su où les juges pourraient trouver la faille. Il manquait une pièce brillante, un numéro d'esbroufe, quelque chose qui clamait haut et fort: « Je sais jouer aussi vite et aussi fort que les autres! » Il aurait peut-être dû jouer le Deuxième ou le Troisième Scherzo, un Rachmaninov, du Liszt.

Le jury m'a malheureusement donnée raison et ne l'a pas retenu pour la prochaine épreuve. Oui, pour lui, j'ai le cœur brisé mais je sais que, quoi qu'ait pu en penser cette impressionnante brochette de pianistes, pendant 45 minutes, j'ai vibré et j'étais heureuse d'avoir les acquis musicaux nécessaires pour m'en rendre compte.

Vous n'êtes pas obligés de me croire sur parole. Jugez par vous-même en écoutant son récital ici.

mardi 20 mai 2008

Courir les concours

Mes oreilles sont quasi saturées de musique mais je dois encore faire de la place. Pas le choix, car je pourrais bien tomber en Concours » comme on « tombe en amour », d’une façon épidermique, quasi viscérale, me laisser emporter par les sommets du répertoire pianistique, échanger, avancer des pronostics. Cette année, le public sera encore mieux servi par la nouvelle formule du Concours Musical International de Montréal, une étape supplémentaire ayant été intégrée au déroulement des épreuves. Vingt-quatre pianistes – incluant trois Canadiens et deux participants à l’édition 2004 du CMIM dont Gintaras Janusevicius, mon préféré, je l'avoue d'emblée – présenteront un premier récital en quart de finale du 20 au 22 mai. De ceux-ci, douze offriront un tout nouveau programme les 23 et 24 mai. Six finalistes auront ensuite le plaisir d’être accompagnés par l’Orchestre Métropolitain du Grand Montréal sous la direction de Jean-Marie Zeitouni lors des deux soirées de finale qui se tiendront les 26 et 27 mai au Théâtre Maisonneuve.

Mais, si comme moi, vous êtes trop débordés cette semaine pour vous rendre en salle (je pense y faire un unique saut, jeudi en début d'après-midi, histoire d'entendre Gintaras « live »), vous pouvez suivre les épreuves en direct sur Internet ici . Vive la technologie!


dimanche 18 mai 2008

Madame la juge

Je sors, relativement vidée, de deux journées intensives en tant que juge du concours de l'Association des professeurs éducateurs en musique du Québec. Cette année, je savais un peu mieux à quoi m'en tenir (ayant participé au Festival l'année dernière à pareille date) et l'organisatrice aussi(la toujours sympathique Judy). De plus, j'ai eu le plaisir de pouvoir écouter les jeunes pianistes en ordre croissant d'âge (5 à 13 ans), ce qui m'a beaucoup aidé côté ajustement des barêmes, puisque je pouvais devenir un tout petit plus sévère à chaque début de catégorie.

La matinée de vendredi a débuté de façon un peu particulière, la première jeune candidate (de 5 ans) refusant expressément de jouer et pleurant comme une madeleine. Sa mère l'a portée au piano mais la petite refusait toujours obstinément de s'exécuter (le mot prend ici tout son sens, sans aucun doute). Je me suis donc approchée de l'enfant, l'ai cajolée un petit peu, ai passé ma main dans son dos et ai fait un marché avec elle. Le deuxième candidat jouerait d'abord et elle pourrait le faire ensuite. Marché conclu, j'ai donc cédé la place au suivant, visiblement très heureux de jouer puisque ses grands-parents étaient venus expressément du Chili (j'imagine qu'ils resteront une semaine ou deux en ville) pour entendre le jeune garçon (et son frère aîné, un peu plus tard en après-midi). La puce se hisse enfin sur le banc du piano d'elle-même et interprète (plutôt bien) sa première pièce. Une seconde après, elle se propulse dans les bras de sa mère, refusant de jouer la deuxième. J'attends quelques instants, renversée par la violence de ses émotions. En général, les tout-petits n'ont aucune conscience du stress d'un concours et n'y voient qu'un jeu. En tout début de journée comme ça, forcément, ça venait très fortement questionner la pertinence de l'avoir inscrite à un tel événement. (En même temps, comment pouvait-on prévoir une telle réaction, puisque c'était sa première expérience?) Je quitte de nouveau l'arrière de la salle, lui explique qu'elle pourra jouer sa deuxième pièce quand bon lui semblera (elle finira par le faire cinq minutes plus tard) et je reste attentive. Ouf! une façon assez extrême de plonger dans le feu de l'action.

Encore une fois, le degré de préparation des élèves était excellent (je n'ai noté qu'une seule fois en bas de 80 %) et, plus d'une fois, je me suis dit que la maîtrise du chinois écrit (et de quelques autres langues asiatiques) aurait été utile pour remplir mes feuilles de commentaires. Là comme dans bien d'autres domaines, nous assistons à l'éclosion d'une quantité impressionnante de techniciens et de bien peu de musiciens. La maîtrise technique était généralement exceptionnelle mais la compréhension du langage musicale le plus souvent totalement inadéquate. J'ai été un peu atterrée quand j'ai demandé à une jeune élève (7 ou 8 ans), lors de ma période de commentaires (j'ai décidé d'humaniser le trop aride processus) si elle savait ce qu'était un menuet (elle en jouait un) et qu'elle m'a regardé avec de grands yeux avant de répondre franchement non. Comment peut-on assimiler état d'esprit et tempo quand on on ne joue que les notes? (Bien sûr, ici, ce n'était pas l'élève qui était à blâmer mais bien le professeur.) J'ai questionné cet autre qui jouait deux pièces descriptives, à savoir s'il s'imaginait une histoire ou un paysage pendant qu'il jouait. Il s'est peut-être demandé sur le coup de quelle planète je venais (surtout que je devais sérieusement me pencher pour pouvoir parler aux jeunes musiciens à leur niveau) mais, quelque part, j'espère que la graine germera éventuellement et que dans une semaine, un mois, un an, il y repensera et en fera peut-être quelque chose.

J'ai aussi été soufflée par la différence qu'une seule petite année pouvait faire. À six ans, le jeu était encore enthousiaste (même si pas parfait), on y sentait la musique perler en surface. À sept ans (c'est si jeune!), le jeu était déjà poli, aseptisé, remarquablement en place mais désespérément dépourvu d'émotion. Une seule petite année d'étude qui peut annihiler l'ardeur qui devrait animer tout (jeune) pianiste...

J'ai retrouvé avec plaisir certains des élèves que j'avais entendus l'année dernière. Oui, certains des pianistes particulièrement brillants étaient encore renversants. Mais il y aussi celle pour qui un an (de 12 à 13 ans, période peut-être un peu trouble côté psychologique) avait gommé une partie de la personnalité et y avait instillé une relative et nouvelle arrogance. Quand je lui ai fait part de certaines réserves minimes (elle jouait deux pièces extrêmement difficiles techniquement) que je pouvais avoir sur l'un ou l'autre aspect de son jeu, je l'ai sentie sur la défensive, comme si elle se rebellait d'un seul tenant. Je n'ai pas insisté, préférant abandonner la partie pour ne pas la braquer inutilement. À l'opposé, dans la même catégorie, un jeune homme avait progressé de façon spectaculaire. Je me souvenais d'un enfant de 12 ans (les non-Asiatiques sont d'autant plus faciles à reconnaître) intéressant mais non exceptionnel (ce qu'on pourrait considérer un élève moyen) et, là, tout à coup, j'avais affaire à une vraie personnalité musicale. Je l'ai noté sur sa feuille, l'ai mentionné quand je l'y ai remis ses notes et lui en ai reparlé à la toute fin de la journée, après que ses parents m'aient remerciée pour les commentaires pertinents que j'avais pris le temps d'offrir de vive voix (ça fait toujours plaisir de savoir qu'on ne se décarcasse pas totalement pour rien). Il y a eu de légers blancs de mémoire, l'égalité de ses doubles n'était pas parfaite (il jouait Gradus ad Parnassum de Debussy, terriblement glissant de ce côté-là) mais, derrière tout ça, j'ai entendu un musicien, enfin. Il y a des moments magiques, comme celui-là, qu'il faut savoir saisir...

vendredi 16 mai 2008

Plonger plus profondément


Oui, je sais, après ma critique positive du livre d'Annie L'Italien, certains songent à me renier. Mais, voyons, ce n'était qu'une broutille, une intarcade, je suis depuis revenue à moi-même... en étapes, d'une certaine façon. Après avoir privilégié un ton semi-léger avec Foenkinos et Bruckner, j'ai abordé un univers entièrement différent: celui de la poésie. Je réalise que, comme plusieurs lecteurs sans doute, je lis trop peu de poésie ou que je choisis souvent de retrouver mes classiques: Éluard, Nelligan, Baudelaire, Prévert... Pourtant, j'aime le langage poétique, parce que, forcément, il nous déstabilise. La voix d'un poète est toujours extrêmement personnelle mais c'est souvent par là qu'elle nous rejoint le plus. En peignant avec une précision méticuleuse leur univers propre, les poètes nous interpellent, nous secouent, nous questionnent, nous transforment.

Dans La route du sabre, Nicole Blouin nous invite au voyage: voyage dans des contrées éloignées (Europe, Chine, Australie) mais surtout au bout, au bord d'elle-même. En plongeant dans des souvenirs amoureux devenus douloureux, elle cherche à contrer la blessure, à nommer les sentiments qui l'habitent, par ellipses, par métaphores, par juxtaposition, souvent par pure suggestivité des termes. Les textes sont courts mais puissants et valent la peine d'être lus à haute voix (ne serait-ce que dans sa tête), de s'y attarder, de les laisser nous toucher. Quelques exemples (mais j'aurais pu citer une bonne partie du recueil):

Ne me restent que quelques pas avant la fun du monde. Tes énigmes résonnent en moi. J'ai peur. Je ne suis pas entraînée à vivre, à rêver.

Tes paroles n'ont plus d'effet. Ma pensée est un cocon et je tire sur le fil de soie pour le nouer autour de cette violence qui nécrose le coeur. (p. 30)

ou encore

Roman d'éther, échappée d'épiderme. Holocauste de l'amour, terrorisme de ta vérité. Tu entailles mon coeur épinglé en étoile. D'or et de noir tes lettres prophétisent ma mort. (p. 20)

On ne sort peut-être pas totalement indemne de cette lecture, presque déchirure ou morsure, mais on ne pourra que saluer le talent de l'auteure (qui, semble-t-il travaille à un roman). On peut lire ici une présentation de l'oeuvre par Nicole Blouin elle-même.

C'est donc l'âme à fleur de peau que j'ai abordé Son frère de Philippe Besson, un roman qui relate les derniers instants de Thomas, atteint d'une mortelle maladie du sang. Lucas, son frère, le narrateur, décide de l'accompagner dans ce dernier périple. Au fil de pages de journal de Lucas, présentées plus ou moins pêle-mêle, on ressent la douleur physique du malade, ses déchirements psychologiques, alors que Lucas lui sert d'une certaine façon de caisse de résonnance. Au fil des pages, Besson dévoile des pans de l'histoire de frères presque jumeaux mais qui pourtant, au fil des pages, se différencient de plus en plus l'un de l'autre. Dans une langue d'une grande pudeur, particulièrement évocatrice, Besson lui aussi pousse le lecteur dans ses derniers retranchements. On s'interroge sur l'acharnement thérapeutique, la dignité des mourants, le soutien que les familles peuvent recevoir, l'empathie (plus que relative) du personnel de santé, le poids des secrets, la force des sentiments amoureux, les liens du sang. Je songe à Thomas et Manuel, l'un avec une infection dans son sang, l'autre avec une bestiole sur ses boyaux. Ils sont des enfants égarés, boitant de concert dans un monde bancal, des infirmes flamboyants, les impossibles rescapés de maladies mortelles, des soldats défaits, des condamnés. Dans quelques temps, aucun des deux ne sera plus là. Je leur survivrai. Une lecture par moments très dure mais d'une grande puissance, dont j'ai su apprécier le timbre unique.

Besson évoque son livre ici. Le livre a également été transposé au cinéma par Patrice Chéreau (les critiques semblent dithyrambiques).

En prolongement, Hallelujah de Leonard Cohen, repris ici avec une belle sobriété par Rufus Wainwright.

jeudi 15 mai 2008

Petit guide le l'orgueilleuse (légèrement) repentante

Je l’avoue d’emblée : j’étais très réticente à lire ce titre, n’étant pas particulièrement portée sur la chick lit. Pourtant, j’assume entièrement mon côté fleur bleue côté vidéo. Oui, j’ai vu Bridget Jones. Oui, j’ai aimé The Devil Wears Prada et j’ai adoré My Best Friend’s Wedding (et l’ai vu plus d’une fois). Je l’avoue, tout film dans lequel un quinquagénaire sexy (Richard Gere pour ne pas le nommer) danse (Shall we Dance?) ou conte fleurette à une mère célibataire (Maid in Manhattan) me semble plein de potentiel (mais en vidéo, on s’entend!). J’avoue en rougissant que, jadis autrefois (pardonnez-moi, Seigneur, car j’ai péché), j’ai même lu du Danielle Steel (mais je me suis débarrassée de tous mes exemplaires, ainsi que de plusieurs livres d’Amélie Nothomb, pour des raisons un peu semblables). Il n’était donc pas question que je lise le Petit guide de l’orgueilleuse (légèrement) repentante d’Annie L’Italien autrement que grâce à la bibliothèque. Plus facile à dire qu’à faire, le livre étant très populaire auprès de ces dames (avec sa couverture rose, je me doute bien que ce soit la clientèle cible). Après des recherches poussées dans le réseau des bibliothèques et m’être mise sur la liste d’attente de la Bibliothèque nationale, je commençais à désespérer de pouvoir un jour mettre la main sur un exemplaire gratuit. Au détour d’une nième recherche, je l’ai trouvé, pas trop loin de chez moi. (La bibliothécaire a dû m’aider à le repérer parce qu’il était mal « coté » dans l’ordinateur et donc rangé à la mauvaise place.)

Le livre était à peine arrivé chez moi que mon adolescente avait mis la main dessus avec un plaisir gourmand : « Ça a l’air vraiment bon! Dépêche-toi de le lire que j’aie le temps, moi aussi! » Alors, un peu en grinçant des dents, j’ai ouvert cet objet rose identifié, à la typo aérée qui m’a vaguement rappelé les Aurélie Laflamme dévorés par l’ado en question, justement. Et puis, là, je l’avoue, j’ai craqué.

Pour lire la suite de mon commentaire (et celui des autres blogueuses), c'est ici...

lundi 12 mai 2008

Le plaisir retrouvé de lire...

Ah! mes amis les livres, comme je vous aime et comme je vous avais négligés, faute de temps, d'énergie. Oui, bien sûr, je ne m'étais pas arrêtée de lire (comment y songer quand on possède le cadeau de la lecture?) mais c'était plutôt les mots musicologiques qui s'étaient entassés dans mon cerveau plus récemment ou encore ceux de mes élèves du cours de culture générale. (La lecture de leurs magazines a été particulièrement édifiante et je reprendrai certainement ce projet l'année prochaine, malgré le nombre élevé d'heures de correction que cela implique de ma part.) Alors, de pouvoir enfiler comme ça, la lecture de trois livres et quelque dans une même semaine, quelle jouissance...

Tout a commencé par la lecture de La recrue du mois (dont je vous parlerai jeudi, soyez patients!), Petit guide de l'orgueilleuse (légèrement) repentante. Peut-être parce que j'avais quelques trajets à faire en transport en commun cette semaine, dès que j'ai eu terminé la lecture de cette plaquette (24 heures tout au plus), je me suis aussitôt plongée dans un autre livre, Qui se souvient de David Foenkinos?, oui, oui, celui-là même qui est l'auteur chouchou de Caro[line]. Non, je n'en étais pas à ma première lecture de l'auteur, ayant gardé un excellent souvenir de En cas de bonheur et de sa phrase-choc: « Chaque couple possède son Genève », qui fait référence à ce lieu magique, béni, où les couples se réfugient pour retrouver une bribe de leur passé, de la communion ressentie, de la fièvre qui les animait alors. Et, oui, quand à la rentrée, j'avais lu en diagonale quelques critiques du livre, l'idée un peu déjantée de s'inscrire dans son propre roman, dans un genre de fausse auto-fiction, m'avait plutôt interpellée, moi qui ne porte pourtant pas le genre de l'auto-fiction en si haute estime.

Alors, de quoi s'agit-il enfin? David Foenkinos se projette dans le futur, à un moment précis de sa carrière où l'inspiration lui fait défaut mais aussi la reconnaissance du public. Son couple bat de l'aile, sa fille quitte la maison (dans la vraie vie, il est fier papa - selon son Myspace - d'un garçonnet), il doit se remettre à donner des leçons de guitare (métier qu'il a effectivement pratiqué). Dans un train Genève (!)-Paris, il croit enfin avoir saisi l'Idée, celle qui lui permettra de se reconstruire, d'écrire son prochain roman. Là où Emmanuel Carrière jetait un regard acerbe sur lui-même dans Un roman russe (avec une certaine névrose, mais magistralement assumée), David Foenkinos préfère d'abord adopter le ton de l'auto-dérision, avant que le texte plonge, à la mi-parcours, dans un registre tout autre, où la tendresse se mêle alors à une certaine poésie. Le narrateur cesse de contempler son petit nombril pour s'ouvrir aux autres, à ses voisins, à Alice, à son beau-père (ce qui donne lieu à un délirant mais délicieux portrait du monde de la haute finance). Grâce à un tour de passe-passe particulièrement rocambolesque, l'idée finira par ressurgir, intacte, pas nécessairement celle qu'on attendait. « Je m'assis en face d'elle. J'alternai les visions de son visage et du paysage. C'est un moment de bonheur. Enfin je renouais avec ce qui est le plus important: la vie romanesque. Je voulais créer des histoires, être dans la boulimie même, mais être quoi qu'il arrive dans le battement du cœur. » (p. 151) Foenkinos démontre encore ici qu'il possède un style unique, à la fois aussi léger que le souffle d'une femme aimée et aussi précis qu'un scalpel tranchant. Un voyage en train, en soi, pour retrouver l'idée, se retrouver, retrouver l'autre, bien agréable. On peut lire ici l'entrevue réalisée par Caro[line] avec l'auteur et sa critique.

Dans un registre de relative légèreté, j'ai aussi complété la lecture de Mon petit mari de Pascal Bruck
ner, un conte philosophique charmant et acerbe à la fois, sur le couple (prolongement naturel d'une certaine façon des couples légèrement blasés de Foenkinos), la paternité, la société. Léon épouse Solange. Ils filent le bonheur parfait, malgré le fait qu'elle le dépasse d'une tête et est plus Walkyrie que femme soumise. Avec la paternité, Léon doit faire face à une malédiction d'abord inexpliquée (on finira par comprendre ce qui se passe), qui le prive d'un bon 39 cm. Après quatre enfants (de la dernière grossesse, naîtront des jumeaux), il ne mesure plus qu'un minuscule 10 cm et, forcément, a beaucoup de difficulté à se faire respecter, à prendre part à la vie quotidienne, à assumer ses rôles de mari et de père. Le ton se fait de plus en plus grinçant au fil des pages. Le petit homme qu'on trouvait encore charmant (surtout quand il était toujours doté d'un appendice plus qu'appréciable) devient rapidement un paria, qu'on dissimule, qu'on tente d'oublier, qu'on souhaite détruire. À la manière des contes de Rabelais, Bruckner tisse une toile d'une redoutable solidité, dans laquelle se trouvera prisonnier Léon mais aussi, par association, son entourage. On se croit d'abord loin ici de Lunes de fiel (seul autre roman de Bruckner que j'aie lu) mais, même si le ton se veut volontairement léger, le sous-texte s'assombrit au fil des pages avant que ne se profile détresse puis rédemption.

(EDIT DU 14 MAI: L'homme de la maison est plongé dans Mon petit mari et adore sa lecture jusqu'ici. Après ça, dans un tout autre registre, je pense lui prêter Vandal Love... Il y a bien longtemps que nous avions lu les mêmes livres.)

samedi 10 mai 2008

Le plaisir du jeu

Hier, après avoir houspillé deux des trois élèves de l'après-midi (misère! le concert est dans deux semaines et ce n'est pas encore prêt! argh!), je me suis engouffrée subito presto dans le métro, direction terminus Longueuil (pardon, Longueuil-Université de Sherbrooke!). L'ami d'une amie m'y attendait pour que je puisse moi aussi assister au concert de l'Harmonie des jeunes patriotes, qui se tenait dans la salle polyvalente de l'École secondaire Ozias-Leduc à Mont St-Hilaire. M., une des toutes jeunes musiciennes de l'ensemble, (oui, celle-là même qui a offert un second souffle au saxophone qui dormait chez moi) m'avait expressément demandé d'y assister. J'avais dû décliner l'invitation au concert de Noël pour des raisons multiples (météo, transport, horaire débordant) alors, celui-là, je l'anticipais avec plaisir.

Arrivés pile-poil dans la salle de concert (après un ralentissement peu bienvenu sur la route et un petit détour dans les dédales des locaux de la concentration musique de l'école), nous franchissons le seuil aux premières notes de I want to hold your hand des Beatles, entonné avec un enthousiasme rafraichissant et une relative justesse des timbres. Je jette un coup d'œil plus attentif au groupe. Impossible de repérer M. (postée en dernière rangée, dans la section des saxos) pour le moment mais j'ai le temps de m'attarder sur nombre de visages fort concentrés. La direction du chef, Luc Bois, est dynamique, précise, mais surtout ludique. Même dans les dérapages (prévisibles, considérant que le tiers des jeunes musiciens ne jouaient pas une seule note en septembre), il garde le contrôle... et le sourire. Entre les pièces, il esquisse les grandes lignes de son programme pédagogique: ouvrir les jeunes à des répertoires multiples (nous entendrons des musiques de film, des chansons des Beatles, le thème des Simpson, du jazz mais aussi une pièce d'inspiration celtique), à des métriques diverses (dont le 5/4 grâce au mythique thème de Mission impossible, plutôt bien réussi), mais surtout au plaisir du jeu. Visiblement, ces jeunes de 4e, 5e et 6e années du primaire sont convaincus et surtout convaincants.

Oui, bien sûr, je ne vous cacherai pas que mes oreilles ont légèrement frisé quand j'ai entendu l'unisson plus qu'approximatif et le son légèrement poussif des flûtes dans la dite pièce celtique (où la section était « en vedette »), que parfois je cherchais mes repères rythmiques (et tonaux) dans le medley des chansons des Beatles mais l'énergie dégagée était tellement positive que je n'ai pu que me laisser entraîner par Summertime (tiré de Grease), le fameux thème de Mission impossible, la pièce jazzée. À la fin du concert, les jeunes musiciens se sont levés pour saluer, visiblement heureux de leur interprétation et le public (conquis d'avance, il est vrai, mais quand même) a fait de même, d'un bond, ravi de sa soirée. Enfin, j'ai pu apercevoir la belle M. clairement, radieuse en dernière rangée. J'ai suivi son regard qui fouillait dans la salle, pour y repérer son fan club personnel. Quand elle m'a vue, son regard s'est illuminé d'un coup et nous nous sommes envoyé la main, signe discret de deux musiciens qui se sont reconnus, savent qu'ils ont la musique en commun. Je n'aurais voulu rater cet instant pour rien au monde...

vendredi 9 mai 2008

La pince à linge

Il y a deux semaines, un prof du Collège me posait une question des plus embêtantes: toi, quels sont les films qui te font rire? J'ai figé un instant, incapable de lui indiquer un titre. J'ai fini par lui dire que j'aimais plutôt l'humour au deuxième degré, de type parodique (comme Scream qui se moque des films d'horreur, par exemple) mais surtout ceux qui manipulaient les mots et en tiraient de savoureux calembours. Il y a aussi ces clins d'oeil aux incontournables du répertoire classique, comme ce délire des Quatre barbus. À savourer sans modération!

mercredi 7 mai 2008

20 ans en 250 mots

On m'a demandé la semaine dernière d'écrire un très court texte (250 mots) sur la pédagogie musicale, qui se glisserait dans un article plus complet sur la pédagogie en général. Public cible: les parents du Collège où j'enseigne une semaine sur deux. Tâche impossible? J'y ai songé. Comment réussir à résumer en si peu de mots 20 ans de pratique quotidienne de la chose? Comment réussir à « faire simple » sans que ce soit trop b-a-ba, suffisamment « artistique » pour qu'on ait l'impression que la musique est un langage autre entièrement? Voici ce que cela a donné (en 281 mots, je plaide coupable pour le léger dépassement)...

Comment peut-on réussir à enseigner une matière en apparence aussi insaisissable que la musique, reposant presque entièrement sur le non-dit? Principalement en l’abordant comme une nouvelle langue dont on présentera les rudiments aux élèves, un à la fois, mais toujours de façon ludique. Il faudra tout d’abord porter une attention soutenue à l’apprentissage cohérent des bases : lecture des notes (essentielle si l’on veut éventuellement accéder à un niveau élevé), puis des signes (phrasés, articulations, nuances, tempi) avant de décrypter les intentions musicales. (Qu’a voulu exprimer le compositeur ici? Comment réussir à en transmettre les subtilités?) Plutôt que de se fier à un plan de cours rigide ou à une méthode éprouvée, il faut aussi oser croire en son intuition pédagogique puisque rien n’est jamais assuré, quand on considère que l’on travaille avec un matériau humain (l’élève mais aussi l’œuvre interprétée), forcément insaisissable.

Les heures de travail à l’instrument seront nombreuses et la route semée d’embûches, avant que le jeune musicien n’atteigne un niveau de maîtrise élevé. L’essentiel demeure de réussir à séduire suffisamment l’élève dès le tout début pour qu’il accepte ensuite d’accomplir la somme de travail exigée. Pas facile dans notre société de l’instantané de valoriser le travail de longue haleine!

Les plus grands pédagogues le répètent : au cœur de chaque cours devrait se retrouver un moment magique, que certains appellent « le moment ah! ah! », instant unique pendant lequel l’élève saisit enfin un nouveau concept, maîtrise une difficulté technique revêche, assimile parfaitement un détail d’interprétation. Quand cette fugace intimité, totale et inconditionnelle, se crée entre le professeur et le jeune musicien, les frontières s’abolissent et ils se retrouvent, unis, à partager l’essence même de la musique.

lundi 5 mai 2008

La Muse est en ligne!

Le dernier numéro de l'année de La Muse affiliée est en ligne. Vous pouvez y lire des articles sur les Études de Chopin, un essai sur la musique de Takemitsu, répondre à un quizz, découvrir de nouvelles partitions... C'est par ici...

dimanche 4 mai 2008

Montréal, entre McDo et Bilbao

Une entrevue fascinante de Rima Elkouri avec Daniel Gill, urbaniste, aujourd'hui dans La Presse (à lire ici absolument), qui s'interroge sur les choix culturels et architecturaux que Montréal a faits en tant que ville. M. Gill en est arrivé à la conclusion qu'une ville de festivals n'attire en rien les touristes mais que ceux-ci recherchent plutôt une plus-value culturelle, par exemple un musée magnifiquement dessiné, comme le célèbre musée Guggenheim de Bilbao (réalisation de Frank O. Gehry) ou celui de New York (réalisation de Frank Llyod Wright, un musée qui se visite en colimaçon, en suivant l'architecture du lieu). La visite que j'ai fait de celui de Venise (ancien palais de Peggy Guggenheim, rempli d'oeuvres d'artistes importants du 20e siècle) reste l'une des plus marquantes de mes voyages. Les Européens se pressent maintenant à Pittsburg (côté ville sexy, on repassera, vous admettrez), pour visiter leur (semble-t-il) magnifique musée. Bilbao quant à elle a repris vie grâce à son musée. (On peut faire une visite virtuelle des lieux ici.)

Pour avoir passé quatre jours à Philadelphie et New York (et de nombreuses heures dans des musées), je peux vous dire que j'y retournerais sans hésiter. Bien sûr, vous me direz, c'est chiqué, puisque j'ai habité à Philadelphie et que j'ai donc conservé un petit béguin pour la ville. Oui, d'accord, mais pas seulement pour ça. Ce que je préfère de la ville, ce n'est plus tant les souvenirs qui y sont associés (20 ans après, ils sont moins vifs et c'est tout à fait souhaitable) mais la façon dont l'histoire et l'art y cohabitent de façon quasi symbiotique et ce, jamais aux dépends d'un certain « modernisme ». Plusieurs édifices historiques importants se retrouvent à Philadelphie (berceau de l'indépendance, rappelons-le) et on les visite avec un plaisir certain. Mais il y a aussi cette parfaite intégration de l'art contemporain (particulièrement au niveau de la sculpture) dans le paysage de la ville. Au centre-ville, on découvre une statue (historique ou contemporaine) à presque tous les coins de rue. Certaines sont devenues des icônes de style (la Clothes Pin ou le célèbre Love, par exemple), d'autres de kitsch (la statue de Rocky Balboa, à quelques pas du Philadelphia Museum of Art), d'autres de pure beauté (Philadelphie possède le deuxième plus grand Musée Rodin au monde, après celui de Paris!). Pouvons-nous en dire autant du centre-ville montréalais? Oui, c'est vrai, Lachine possède son jardin de sculptures (que j'irai visiter sous peu) en bordure du canal mais, pour attirer les touristes, c'est un peu loin du centre, tout de même (même pour attirer les Montréalais). Sommes-nous prêts en tant que société à privilégier l'art qui dure aux plaisirs éphémères d'une place des festivals bondée? Il est temps de se poser la question...

vendredi 2 mai 2008

À méditer...

« Aucun journaliste ne sait plus ce qu'est une bonne nouvelle. »

(Dalaï Lama)

jeudi 1 mai 2008

Les Études de Chopin: un trésor inépuisable

Si plusieurs commentateurs considèrent Le Clavier bien tempéré de Bach comme l’Ancien Testament et les 32 Sonates de Beethoven le Nouveau Testament du piano, on ne peut nier la place essentielle qu’occupe les 27 Études de Chopin (opus 10, opus 25 et ses Trois Nouvelles Études) dans la littérature pianistique. Comme ce sera le cas avec le scherzo, le nocturne ou même le prélude, Chopin transforme un genre aux repères bien ancrés en une somme colossale considérée, aujourd’hui encore, comme un passage obligé pour tout jeune pianiste qui cherche à maîtriser les écueils techniques et tout interprète sérieux qui souhaite travailler d’un même souffle langages pianistique et poétique.


Les Études de Chopin font irrévocablement basculer la technique du piano dans l’ère moderne. Les compositeurs du XVIIIe et même du début du XIXe siècle dédiaient essentiellement à l’instrument des traits de gammes ou d’arpèges, évitaient toute utilisation du pouce sur les touches noires, privilégiaient une écriture regroupée pour les cinq doigts et rejetaient presque systématiquement les sauts de plus d’une octave. Néanmoins, au fil des ans, les possibilités mécaniques de l’instrument s’étaient déployées (puissance accrue, arrivée du double échappement) et l’instrument était prêt à prendre sa place de « roi des instruments ».


Particulièrement perspicace face aux possibilités renouvelées de l’instrument, Chopin a choisi de se concentrer sur ses forces, saisissant qu’il faudrait adapter la technique au nouvel instrument et non le contraire. « Et quelle qu’ait été la rigueur réfléchie des “exercices” dont il s’était imposé l’obligation et qui ont donné naissance aux deux cahiers d’Études (les premières d’entre elles ayant au reste vu le jour sous cette domination résolument utilitaire), il faut admettre qu’une immortelle collection de chef-d’œuvres consacrés à l’ennoblissement poétique de la virtuosité instrumentale n’aurait pas été conçue, la main de Chopin n’eût-elle pas été celle dont la nature lui avait fait le royal présent », explique Alfred Cortot dans Aspects de Chopin. Cette main, dont le moulage émeut quand on le contemple, avait nombre de particularités étonnantes, dont une grande agilité qui avait porté un contemporain de Chopin à s’exclamer : « Mais il a des mains de serpent! »

Résumer les Études à une série de prouesses techniques à maîtriser ou à une nouvelle technique pianistique à s’approprier serait mal saisir l’essence même du cycle. Pour Chopin, la musique demeure un langage, capable de tout exprimer : pensées, sentiments, sensations. Plutôt que de traiter le piano comme un instrument de percussion, il lui octroie le rôle de confident, transforme sa mécanique en chant. « Sous ses doigts, chaque phrase musicale sonnait comme du chant, et avec une clarté telle que chaque note prenait la signification d’une syllabe, chaque mesure celle d’un mot, chaque phrase celle d’une pensée », précise Carl Mikuli dans Chopin vu par ses élèves de Jean-Jacques Eigeldinger. « Caressez la touche, ne la heurtez jamais! » disait d’ailleurs Chopin. « De quelle souplesse caressante, de quelle agilité miraculeuse, ces doigts nettement détachés à leur base et dotés d’une manifeste indépendance individuelle ne se sont-ils pas témoignés dans leurs instinctifs recours aux enchantements de cette virtuosité ravissante et profuse dont ils paraient les élans d’une inspiration aussi prompte à les accueillir que l’est la branche inclinée au souffle du vent, des capricieux enroulement du chèvrefeuille et des volubilis. “doigts de velours” aimait à dire George Sand… », poursuit Cortot.

Si chaque Étude est ouvertement consacrée à la maîtrise de l’une ou l’autre des difficultés techniques qui peuvent handicaper la fluidité du jeu pianistique, Chopin réussit à y insuffler, avec une maestria extraordinaire, un sens musical qui transcende la difficulté pour élever l’exercice en une véritable œuvre d’art. Pour le compositeur, intellect et émotion ne font qu’un et tenter de les dissocier serait pure futilité. « Et le moyen mécanique ici, pour demeurer secondaire à l’intention créatrice qui l’ordonne et l’anime, ne se doit pas moins de prendre sa place, et d’importance, dans l’analyse des éléments constitutifs du génie de Chopin, qui n’a pas été seulement le plus musicien des pianistes, mais également – à mon gré du moins, et à ne s’en tenir qu’aux exemples dont son œuvre nous donne témoignage – le plus miraculeusement pianiste d’entre les musiciens », conclut Cortot.


La portée de ces études fut immédiate et le cycle s'avérera essentiel au développement du genre, comme en témoigneront les essais subséquents de Liszt, Schumann, Debussy, Rachmaninov, Debussy ou, plus récemment, Ligeti.


Quelques études, interprétées par Horowitz.