samedi 30 mars 2013

Faire naître la musique

« L’art naissait avec le son; la beauté naissait avec le chant ou le jeu : vouloir posséder les notes écrites sur le papier, donner plus de valeur à un papier parce qu’il portait la signature du compositeur lui paraissait un désir impur. Elle se rappelait comment, au catéchisme, on lui avait parlé de l’adoration des « images gravées ». Ou peut-être pensait-elle au trafic des indulgences. Ou peut-être encore ne pensait-elle à rien de spécial, et n’avait-elle pas besoin d’une comparaison : il y avait quelque chose de scabreux et d’aberrant à prendre la musique écrite pour la vraie musique. »

Donna Leon, Les joyaux du paradis

Le chant des ondes... bis

J'ai vu le film lors de sa première, en novembre dernier, et en garde d'excellents souvenirs. Fort de l'accueil chaleureux qu'il a reçu récemment, vous avez jusqu'au jeudi 11 avril pour voir Le Chant des Ondes à l'Excentris. J'aurais presque envie de le revoir, tiens...

vendredi 29 mars 2013

Les joyaux du paradis

Notre club de lecture se retrouvait la semaine dernière autour de Donna Leon, à la suggestion du Papou, qui considère l'auteure comme une « lecture doudou ». Je me faisais une joie de découvrir le commissaire Brunetti (personnage central des romans de Leon), mais surtout de retrouver Venise. J'y ai passé quatre jours, il y a quelques années déjà, mais ces instants restent encore très frais dans ma mémoire. Je reste convaincue que si un directeur de conservatoire m'avait proposé par hasard un poste, je l'aurais accepté sans hésiter. C'est dire l'effet que cette ville a eu sur moi (même si je réalise bien que la semaine de la Mostra est sans doute plus propice aux déclarations d'amour passionnées que l'alta acqua).

J'ai choisi de consulter le catalogue Nelligan pour m'inspirer et, qui sait, trouver une enquête de Brunetti liée au moins de loin à la musique. Meurtre à la Fenice avait déjà retenu mon attention, quand j'ai découvert que Les joyaux du paradis mettait en vedette une musicologue, à la recherche d'information sur un compositeur baroque. Ne faisant ni d'une ni deux, j'ai cliqué sur le bouton « réserver ce titre », en espérant que le tout me parviendrait à temps (ce livre étant le dernier titre de Donna Leon). Dès sa réception, je m'y suis plongée, heureuse de retrouver Venise, perplexe par rapport à ce compositeur (avait-il existé vraiment?), mais aussi par rapport à l'entrée en scène qui me semblait fort tardive du commissaire et l'absence de meurtre (même si les découvertes musicologiques de Caterina nous plongeaient dans un univers assez trouble). Eh bien, incroyable mais vrai, j'avais réussi à choisir le seul livre de l'auteure qui ne mette pas en vedette son héros, roman qui s'avère en fait une commande de la diva Cecilia Bartoli, qui s'apprêtait à enregistrer un disque consacré à Agostino Steffani (que l'on peut écouter en ligne ici) et souhaitait un « produit dérivé » d'un niveau disons un peu plus relevé.

On a donc droit ici à une enquête musicologique un peu biaisée (l'héroïne s'extasiant ici et là sur l'incroyable maestria du compositeur, tombé dans l'oubli depuis un certain nombre d'années), vaguement bon enfant, assaisonnée de quelques touches du Code da Vinci pour faire bonne contenance (le bel avocat en charge du dossier a  étudié - tiens donc! - dans une université associée à l'Opus Dei). Préoccupée ai-je appris des enjeux sociaux de sa ville d'adoption, l'auteure y glisse quand même quelques allusions à la corruption qui ronge la ville (nul n'est à l'abri semble-t-il), ainsi que quelques piques contre la religion catholique (la sœur de Catarina, chercheure universitaire mais qui a pris le voile, vit une sérieuse crise de foi), autre constante chez elle. Néanmoins, malgré ces réserves, j'ai aimé retrouvé Venise, le Florian, les petits bars sympa, les dédales, les canaux, les assiettes de pasta, accompagnées d'un (ou quelques) verres de vin. Et, oui, je lirai un Brunetti, histoire de me faire une vraie idée de l'auteure.

Vous pouvez lire ce que Kikine a pensé de « son » Donna Leon, dans ma PAL justement, ici...
Le Papou nous parle d'un autre titre là...

mercredi 27 mars 2013

Dance me ton the end on/off love

Les membres de Granhøj Dans ont sans doute ressenti quelques papillons dans l’estomac juste avant de présenter ce spectacle inclassable, articulé autour des mots et chansons de Leonard Cohen, à deux kilomètres tout au plus de sa résidence montréalaise. Comment néanmoins qualifier ce que nous avons vu de danse, quand chaque geste est bloqué, suspendu, concentré, grâce à ce que le chorégraphe Palle Granhøj désigne sous le nom de « technique d’obstruction »? En même temps, existe-t-il façon plus adéquate de représenter le désir réprimé, les amours déchues, le déchirement inhérent aux ruptures, magnifiquement exprimés par la poésie de Cohen, qu’à travers une série de mouvements contraints? Comment oublier cette danseuse, blottie dans une boîte, carcan et cocon à la fois, qui tente de transcender sa douleur, prolongement du sens premier des paroles de Light as a Breeze? Comment ne pas être troublé par la relecture de You Have Loved Enough dans laquelle la chanteuse et danseuse essaie de se défaire de l’emprise de son amant, qui l’emprisonne de son corps nu? Comment ne pas percevoir la nostalgie de Palle Granjøj, vêtu tout au plus d’une paire de jeans, reprenant un solo conçu originalement pour son ami disparu sur Dance me to the End of Love?

Vous pouvez lire le reste de ma critique sur le site de la revue Jeu.

 

mardi 26 mars 2013

FIFA: le palmarès

Je suis ravie de découvrir que je n'ai pas « échappé » trop de perles. Voici donc le palmarès de la 31e édition du Festival international du film sur l'art. Je vais essayer néanmoins de voir le lauréat du Grand Prix et Glauser (tous deux sur sur ma liste). Notons ici que j'ai tellement aimé Hard Light qu'hier, en librairie, je me suis procuré le recueil dont le film est inspiré.

Grand Prix
HELSINKI MUSIC CENTRE – PRELUDE
Matti Reinikka, Miisa Latikka (Finlande)

Prix du Jury
HARD LIGHT / LUMIÈRE CRUE
Justin Simms (Canada)

Prix du meilleur film éducatif
JOHN CAGE – JOURNEYS IN SOUND
Paul Smaczny, Allan Miller (Allemagne)

Prix de la création
GLAUSER
Christoph Kühn (Suisse)

Prix du meilleur film canadien
DANS UN OCÉAN D’IMAGES
Helen Doyle (Canada)

Prix du meilleur essai
BRANCUSI
Alain Fleischer (France)

Prix du meilleur portrait
SOL LEWITT
Chris Teerink (Pays-Bas)

Prix de la meilleure biographie
HUGUETTE OLIGNY, LE GOÛT DE VIVRE
Pascal Gélinas (Canada)

Prix du meilleur film pour la télévision
THE DREAMS OF WILLIAM GOLDING
Adam Low (Royaume-Uni)

Prix Liliane Stewart pour les Arts du design
THE SUCCESSOR OF KAKIEMON
Suzanne Raes (Pays-Bas)

Mention spéciale
THE MAN WHO INVENTED HIMSELF – DUANE MICHALS
Camille Guichard (France)

Prix Tremplin pour le monde ARTV
LA LONGUEUR DE L’ALPHABET / THE LENGTH OF THE ALPHABET
Joe Balass (Canada)

Prix du public ARTV
CORNO
Guy Edoin (Canada)

lundi 25 mars 2013

La tague du Papou

Ça faisait un sacré moment que j'avais été taguée, mais parfois, c'est amusant... sauf que, après avoir répondu aux 11 questions, il faut en pondre 11 autres pour les suivants. Bon, allez, pourquoi pas... C'est bien parce que c'est le si charmant Papou. :)

1) Pourquoi lisez-vous, par amour ou manque d'amour, par distraction ou par ennui ?

Je lis pour le boulot, pour le plaisir, par amour de la lecture, parce qu'un livre nous apprend toujours quelque chose, parce que... Depuis quand a-t-on besoin d'une raison pour lire!


2) Quel auteur n'avez-vous jamais pu terminer en dépit d'essais multiples ? et pourquoi avez-vous essayé plusieurs fois ?

Essais multiples? Il n'y en a pas. J'ai lu deux Proust et me suis dit que je m'y remettrais éventuellement. Ce n'est pas encore arrivé. Par contre, j'aime bien l'entendre, parce que Proust, ça sonne quand même! Sinon, la première fois que j'ai essayé de lire Paul Auster, Moon Palace plus précisément, ça n'a pas du tout mais pas du tout fonctionné. Je suis revenu à l'auteur quelques années après, avec Le livre des illusions. J'ai été tellement séduite que, depuis, j'ai lu tout Paul Auster, même le presque imbuvable Dans le scriptoriumJe serais férocement intimidée si je devais l'interviewer.



3) Quel est le personnage de roman qui vous a fait vomir ? Ou que vous vouliez tuer ?

Dans la catégorie mauvais souvenir, le héros/narrateur des Bienveillantes. Ses fantasmes fort particuliers (hum...) me sont restés en travers de la gorge. Je ne peux pas croire que j'ai investi autant d'heures de ma vie dans ce livre jadis!


4) Avez-vous un mot qui vous horripile? À contrario, qui vous fait rêver?
Amour n'est pas une réponse acceptable.

Un mot qui m'horripile? Imbécillité, parce que l'on ne sait jamais s'il faut mettre un l ou deux, et pour ce qu'il représente. Il y a tant de mots qui font rêver... voyage, par exemple.


5) Que buvez-vous en lisant ? Faites-vous un choix différent en fonction du type de lecture ?

Je bois rarement en lisant et le breuvage varie plutôt en fonction de l'heure que du livre.


6) Lisez-vous à table, dans un fauteuil, sur le lit, en marchant* ?
* Ne riez pas ! J'en connais qui dévale les escaliers du métro sur les fesses et sans  s'arrêter de lire.


Rarement à table, sauf le journal. Parfois dans le fauteuil dans mon bureau, mais presque jamais dans le canapé du salon. Dans mon lit, dans le métro et oui, en marchant quand il « faut » terminer un chapitre avant de ranger le livre dans le sac (mais pas sous la pluie).

7) Mangez-vous en lisant ? Et quoi ?

Uniquement au p'tit dej, avec le journal... Pas pratique pour celui qui voudrait le lire après, quand la section « arts » est maculée de miel ou de sirop d'érable. Aucun danger que ça arrive avec la section « sports » ou « affaires ».

8) Où souhaiteriez-vous vivre ? Chez vous, n'est pas une réponse acceptable.


Tout dépend des jours. Certains jours, j'ai des envies de déménager dans une ville européenne, pour me gaver de culture. D'autres, de me réfugier dans une grotte quelque part, pour n'avoir rien d'autre à faire que... lire! Et puis je rêve aussi de cette maison en bord de mer qui deviendrait maison d'artistes. Un jour peut-être.


9) Quelle est votre fleur préférée ? Et celle que vous détestez ?

Ne m'offrez pas de roses. Trop banal. Celle que je déteste par-dessus tout? Cet espèce de truc en faux plastique rouge, avec cet énorme pistil, presque vulgaire. Ma fleur préférée? L'orchidée sans doute, mais demain, ce pourrait être autre chose.

10) Et votre série télé ? Pourquoi ?


Il y en a quand même plusieurs. Je suis depuis la toute première saison CSI (celui à Las Vegas, pas les autres déclinaisons). Je me suis attachée aux personnages (même s'ils ont changé) et je trouve le travail de CSI très cool. Mais il y a aussi Glee, Smash (pour la musique, bien sûr!) et maintenant, Downton Abbey parce que, quand même, finalement, peut-être bien que j'aimerais y vivre (voir question 8).


11) (Puisqu'il le faut) Quelle est la phrase que les ados utilisent quand la bière est finie et qui a un rapport avec ce chiffre?

Je ne bois pas de bière et n'ai aucune espèce d'idée de la réponse à cette question. « Dépêche, le dépanneur ferme à 11 heures »?

Alors, bon... 11 nouvelles questions maintenant. J'interpelle en priorité les collaborateurs de La Recrue avec un blogue (il n'y en a pas tant que cela) et ceux du club de lecture non atteints encore par les flèches du Papou ;). Pour les autres, si elles vous interpellent, n'hésitez pas à prendre le relais!

1- Les séries en plusieurs tomes. Vous les lisez ou non ?
2- La chicklit: un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout?
3- Quel personnage de roman auriez-vous aimé être et pourquoi?
4- Quel livre auriez-vous voulu avoir écrit? (Il n'est pas question ici de droits d'auteur, on s'entend.)
5- Vous avez aimé un livre passionnément, mais il a horripilé votre ami(e). Essayez-vous de le (la) convaincre que c'est vous qui avez raison et qu'il (elle) n'a rien compris?
6- Vous croisez un ami d'enfance dans un transport en commun. Il ne vous a pas encore vu. Il tient un livre à la main. Si le livre ne vous plaît pas, allez-vous quand même l'aborder?
7- Quel titre de livre résumerait bien votre vie?
8-  Un livre est porté à l'écran. Courez-vous au cinéma?
9- Quel(s) livre(s) avez-vous relu(s)?
10- Quel(s) livre(s) a(ont) changé votre vie?
11- Lisez-vous les quatrièmes de couverture?

samedi 23 mars 2013

FIFA: le temps qui passe

Deux très beaux films, en compétition officielle (croisons les doigts, même si les jeux sont déjà faits), réalisés ici, qui s'attardent, avec une tendresse certaine, au temps qui passe et ne revient plus.

Huguette Oligny, le goût de vivre

La comédienne vient de célébrer son 91e anniversaire, mais elle possède encore une beauté intérieure qui transcende tous les affronts du temps (si légers sur son magnifique visage). Elle le dit d'ailleurs d'emblée: « Je suis la femme la plus heureuse du monde ! » Sous l’œil attentif et attendri de son beau-fils, Daniel Gélinas, elle se révèle, à petits pans: en tant qu'artiste, femme, mère aussi... une mère qui a vécu avec grande douleur la séparation d'avec ses petits (neuf ans!) après son divorce d'avec son premier mari.

À travers les témoignages de son amie Margot Lescop (une bombe d'énergie à 96 ans!), de ses partenaires au théâtre et au petit écran, Françoise Faucher, Françoise Graton, Gilles Pelletier, Gérard Poirier, on la découvre multiple, muse, femme forte, attachante, qui a toujours mordu dans la vie, devenue profondément croyante, mais surtout parfaitement consciente du temps qui passe et ne reviendra plus. « Je te remercie de me consacrer du temps, car ça compte, le temps! » On sent que le réalisateur (qui a précédemment consacré un film à son père, Gratien Gélinas) aime profondément son sujet et cet amour se lit comme un contrepoint au récit, duquel la musique n'est pas absent, puisque Huguette Oligny a inspiré à André Mathieu quelques pages, dont une, découverte tout récemment, que lui offre en cadeau Alain Lefèvre.

Au fil des séquences, le film devient aussi une réflexion sur la vieillesse, sur le traitement que l'on réserve à nos aînés. (Il y a quelque chose d'assez troublant à entendre Gilles Pelletier, 88 ans depuis hier, se questionner avant d'aller voir son amie, par peur d'être témoin de son déclin.) Un film dont on ne sort pas indemne.

Il reste une représentation supplémentaire du film demain après-midi, 16 h.

Hard Light / Lumière crue

Justin Simms nous propose avec Hard Light un documentaire qui refuse la linéarité, préférant intercaler des séquences en noir et blanc inspirées des récits de Michael Crummey, lus en voix off par l'auteur terre-neuvien, et ses réflexions alors qu'il revient sur certains souvenirs, mais s'interroge surtout sur le rôle de la mémoire collective, du danger de perdre son identité si l'on oublie ses racines, les modes de vie d'alors.

Dès les premières séquences du film, on est envouté par cette voix si particulière, qui raconte avec une rare poésie les instants volés au quotidien de ses parents, de ses grands-parents. On sort du visionnement avec une furieuse envie de lire l'auteur, mais aussi d'arrêter le temps (Menons-nous réellement une vie meilleure que celle de nos grands-parents? Serons-nous un jour satisfait de ce que nous possédons?) et de prévoir des vacances à Terre-Neuve... Le film en est un de guérison pour le réalisateur qui se révèle à la toute fin, expliquant à l'auteur que Hard Light, découvert dans une bibliothèque amie, lui a permis de reprendre pied dans une réalité qui semblait le fuir, goût à la vie. Certains livres peuvent changer une vie. Parfois, nous avons besoin d'un rappel...

Le film sera bientôt disponible sur le site de l'Office national du film.


vendredi 22 mars 2013

FIFA: photo


Vendredi dernier, j'ai replongé avec délice dans l'univers de l'artiste un peu iconoclaste, qui travaille aussi bien la photo que la vidéo ou les installations, avec Sophie Calle, sans titre. Le personnage lui-même, qui se met presque constamment en scène dans ses projets - se met en abime, devrais-je plutôt dire - reste fascinant. On pourrait la croire torturée, volontiers déconnectée de la réalité; on découvre plutôt une femme qui aime rigoler, même - surtout? - de la mort, qui se sert de ses projets à large connotation autofictive pour désamorcer les douleurs qui pourraient la ronger, freiner son élan créateur. On la découvre ici dans son quotidien et à travers certains projets-clés, qui se raconte elle-même, quitte son appartement pendant un certain temps pour que la réalisatrice puisse  piocher comme bon lui semble dans ses archives, refusant le dialogue attendu intervieweuse/interviewée. La vie est bien trop courte pour s'embêter de ce genre de conventions, semble-t-elle nous dire, par exemple quand elle n'hésite pas à nous convier à devenir témoin de l'achat du lot de son dernier repos, lieu où elle a réalisé ses toutes premières photos, en Californie. Savoureux.

De facture très classique, presque clinique, La nouvelle objectivité allemande propose un regard sur l'École de Düsseldorf, fondée dans les années 1960 par Bernd et Hilla Becher, qui avaient alors choisi d'entreprendre un inventaire photographique de bâtiments industriels voués à la destruction. Ici, peu importe la fonction de la structure photographiée (château d'eau, silos, hauts fourneaux), le regard doit apprendre à reconnaître l'assemblage des formes, les lignes horizontales et verticales se trouvant parfaitement définies, les jeux d'ombres proscrits, le sujet se révélant de façon géométrique, en tant que matière première, sculpture en deux dimensions. Le film s'attarde aussi bien aux travaux des Becher que de certains de leurs étudiants les plus influents: Candida Höfer, Petra Wünderlich, Thomas Struth, Thomas Ruff et Andréas Gursky dont la photographie 99 cent a été vendue en 2007 plus de 3 millions de dollars et Rhein II plus de 4 millions quelques années plus tard.


Le film est présenté ce soir 21 h au Musée d'art contemporain et dimanche 18 h 30 au Centre Phi.


Le siècle de Cartier-Bresson nous invite dans un univers tout autre, les prises de vue du célèbre photographe français, reconnaissables entre mille, misant avant toute chose sur un point de vue subjectif, sur l'instant arraché au sujet - que le photographe n'hésite pas à qualifier de « viol » - qui doit néanmoins être traité avec le plus grand respect. Pour lui, il est essentiel d'unir œil, tête et cœur en une même ligne de mire. Refusant les traitements ou correctifs apportés aux photos, fidèle à son Leica dont il apprécie les proportions, Cartier-Bresson croit foncièrement en l'intuition du moment, quand le doigt fige l'instant. Comme chez les Becher peut-être, le noir et blanc permet une certaine abstraction, de raconter l'histoire autrement, sans transposition, mais avec une force certaine. « Il y a l'instant, puis l'éternité. Entre les deux: le vide. » Un très beau portrait.

La photographie devient inspiration, complément littéraire dans l'envoutant film Dans les pas de Joseph Conrad. Ici, une collection de photos prises au Congo dans les années 1890, propriété d'un antiquaire, devient contrepoint visuel aux mots de Conrad, fil narratif subjectif, qui permet la naissance d'un étonnant carnet imaginaire qui s'appuie pourtant uniquement sur les textes de l'auteur. Les images sont traitées de façon fort habile, donnant parfois l'impression de surgir d'un rêve, avant de se reconstruire sous nos yeux. Une fois magnifié par la caméra, le grain des photos devient texture, coup de pinceau, permettant au spectateur de s'approprier ce récit de voyage impressionniste.

Le film est encore présenté demain soir, mais affiche déjà complet.

Même s'il a été présenté le week-end dernier, je m'en voudrais de ne pas revenir sur le magnifique Dans un océan d'images (j'ai entendu le tumulte du monde), qui continue de me hanter à plusieurs niveaux depuis. Ce film sur le photojournalisme, pratiqué notamment en zones de guerre, se veut un véritable questionnement sur notre compréhension des images. Comme le fait remarquer un des intervenants, si nous apprenons à lire à l'école primaire, nous apprend-on jamais à lire les images? Comment peut-on encore extraire un sens d'un cliché quand, chaque jour, des milliers d'images assaillent notre rétine? Peut-on encore se laisser émouvoir par une image prise en zone de conflits, par le regard d'une enfant qui ne comprend pas le monde dans lequel elle vit à des milliers de kilomètres de chez nous? Si on traverse de l'autre côté de l'objectif, le photojournaliste peut-il vivre avec le souvenir de ces instants d'une violence souvent insupportables ?

On y découvre notamment le travail poétique de Lana Šlezić en Afghanistan (qui travaille avec un appareil-photo qu'elle insère dans une boîte, ce qui permet aux visages de rayonner tels des icônes), les transpositions de photos en objets de Philip Blenkinsop (qui couvre les conflits en Asie), l’engagement politique d’Alfredo Jaar (qui lors d'une exposition sur le Rwanda, n'a pas hésité à cacher les photos pour n'en extraire que les légendes, frustré sans doute que les gens ne « voient » plus), les mises en scène miniatures de guerre de Paolo Ventura (qui peuvent à première vue sembler presque inoffensives, mais qui possèdent une réelle charge), le travail narratif de Stanley Greene, la lecture de Geert van Kesteren de la guerre en Irak, la lutte en images contre la mafia en Sicile de Letizia Battaglia ou les troublantes installations de Bertrand Carrière en Normandie, véritable travail de mémoire, comme le sont les romans graphiques de Sera Phousera Ing qui relatent les années sombres du Cambodge. Souhaitons que le film soit présenté en salle ultérieurement et que le jury y ait été sensible. (Le palmarès sera révélé demain soir et le prix du public lundi.)

jeudi 21 mars 2013

FIFA: en avant, musique (2e segment)

Je vous propose aujourd'hui un quatuor de documentaires biographiques, d'approches et d'esthétiques plutôt différentes, deux laissant toute la place ou presque à l'artiste mis en lumière, les deux autres proposant un portrait composite, grâce à une multiplicité des analyses.

In Search of Haydn se décline comme un documentaire de facture très classique, la vie du compositeur étant présentée de façon essentiellement chronologique, le parcours historique (doublé de documents d'époques et de visites des lieux habités ou visités) se trouvant toujours magnifié par des extraits d’œuvres ciblées, qui nous permettent de connaître aussi bien le Haydn des quatuors ou des symphonies que celui des sonates pour piano (magnifiques démonstrations par l'exemple d'Emanuel Ax et Marc-André Hamelin notamment) ou des airs. On oublie trop souvent que Haydn a amorcé sa carrière musicale en tant que petit chanteur et qu'il sait magnifiquement écrire pour la voix, en proposant des pages en apparence accessibles d'un point de vue technique, mais qui demande une maturité réelle au niveau de l'interprétation. (On pourrait en dire autant de ses sonates pour piano sans doute, martyrisées par les jeunes pianistes, mais dont la grande subtilité devient apparente sous les doigts des vrais maîtres.) On découvre un Haydn moins sage qu'on ne le pensait, entretenant quelques amours parallèles, bon vivant, conscient aussi de l'image qu'il projetait à son époque (et, de façon fort intéressante, de la nécessité jusqu'à un certain point de contrôler celle-ci, un geste somme toute assez avant-gardiste).

John Cage: Journeys in Sound brosse un portrait large du compositeur américain iconoclaste, dont on célébrait en 2012 le centenaire de naissance. On le découvre lui aussi à travers des extraits d'œuvres-clés (notamment pour piano préparé), mais aussi en studio, alors qu'il monte un film en se servant d'une feuille de probabilités obtenue grâce au I-Ching (il aurait été intéressant de voir le résultat final, au moins quelques séquences d'ailleurs), ou encore lorsqu'il cueille des champignons dans la forêt environnant sa résidence, qu'il travaille pour son partenaire de vie, le chorégraphe Merce Cunningham, ou qu'il dialogue avec John Lennon et Yoko Ono (rencontre au sommet assez troublante il faut l'admettre). Profondément moderne parce que hors du temps, son œuvre continue d'intriguer, mais aussi d'influencer, aussi bien autres compositeurs (dont Wolfgang Rihm ici) qu'interprètes (Irvine Arditti par exemple).

Road Movie: un portrait de John Adams cède la parole au compositeur américain qui a toujours possédé une réelle facilité à s'exprimer, tant oralement que par écrit (dans son livre Hallelujah Junction par exemple). Si le documentaire nous propose une narration linéaire, volontiers chronologique (Adams évoquera d'ailleurs son admiration pour le travail de Cage), assez sage, les propos du compositeur sont entrecoupés de segments musicaux souvent magnifiques, parfois même magiques. (Je pense ici notamment aux images accompagnant les extraits de The Dharma at Big Sur ou Phrygian Gates.) On y voit aussi des extraits de Shaker Loops, de Road Movies, de ses opéras Doctor Atomic et Nixon in China, d'Eldorado, d'Hallelujah Junction (agrémenté de photos prises par sa femme dans la Sierra Valley), de son Gospel According to the Other Mary (segment qui nous rappelle qu'Adams n'est pas à classer dans la catégorie des compositeurs misogynes, loin de là) ou du troublant Transmigration of Souls, écrit en souvenir des victimes des attentats du 11-Septembre. Un parcours presque sans faute, que l'on continuera bien sûr à suivre. 

Ces deux films seront présentés en duo vendredi le 22 mars à 18 h 30 au Musée d'art contemporain.

En hommage au baryton allemand Fischer-Dieskau, décédé en mai 2012, le FIFA a eu l'excellente idée de nous présenter Dietrich Fischer-Dieskau: la voix de l'âme de Bruno Monsaigeon. Là aussi, on laisse essentiellement la parole au sujet, qui se révèle avec candeur et chaleur, qu'il évoque certains moments de sa carrière (notamment le choix conscient de cesser de chanter le 31 décembre 1992 pour se consacrer à la direction d'orchestre et à la peinture) ou partage ses réflexions sur la musique en général ou le plaisir de changer d'accompagnateurs, révélant que chacun de ses pianistes lui a révélé quelque chose de différent sur lui-même. Monsaingeon propose d'ailleurs un habile montage d'un même lied, certains des plus grands pianistes se succédant dans le rôle de l'accompagnateur. Il y avait quelque chose d'assez troublant à retrouver le jeune Brendel, le caustique Gerald Moore, le toujours précis Wolfgang Sawallisch (lui aussi décédé dans les derniers mois), l'effervescent Daniel Barenboïm, le complice Christoph Eschenbach ou le magnifique Svatislav Richter (que l'on n'attendait pourtant pas dans un rôle de collaboration, bien à tort). Qu'il soit sur scène, en récital, en train de travailler avec sa femme Julia Varady, qu'il transmette sa passion du lied à de jeunes chanteurs, qu'il dirige dans la fosse, les moments retenus par Monsaingeon nous rappellent combien Fischer-Dieskau demeure un géant, pourtant toujours d'une grande humilité. « L'important est de découvrir la musique à travers les musiciens, et non les musiciens à travers la musique », dit-il lui-même dans le film. J'ai ressenti avec encore plus de cruauté son absence en quittant la salle. Heureusement qu'il nous a laissé un immense legs discographique.

mercredi 20 mars 2013

The Spontaneous Sonata Project

Je connais Tim Brady surtout à travers ses enregistrements (j'ai d'ailleurs très hâte de découvrir son dernier album Atacama: Symphonie no 3, qui lui a valu le Prix Opus de la création de l'année en janvier dernier) et comme interprète, mais n'avais entendu sa musique en concert qu'une fois jusqu'ici, il y a deux ans et demi de cela. Le compositeur possédant un réel talent pour peindre en musique des moments, des émotions, je ne pouvais qu'être intriguée par sa dernière proposition, présentée samedi dernier à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, The Spontaneous Sonata Project, une œuvre ambitieuse en 12 mouvements (qui dure un peu plus d'une heure), pour guitare électrique et deux pianistes. Si ces deux derniers possèdent une formation classique, ils représentaient chacun une facette complémentaire - et non antagoniste, comme certains pourraient le croire - entre musique écrite et improvisée, entre musique contemporaine « pure et dure » (faction représentée ce soir-là par Brigitte Poulin) et jazz (François Bourassa), entre la tête et le cœur parfois aussi, certaines pages se révélant volontiers plus exigeantes pour le cerveau, alors que d'autres favorisaient une expérience essentiellement sensorielle du son.


Tim Brady explique dans sa note qu'un achat de l'intégrale des sonates pour piano de Beethoven à prix ridicule (je serais curieuse de savoir qui était l'interprète), histoire de se faire l'oreille avant l'enregistrement d'un album solo de Brigitte Poulin a servi d'élément déclencher à cette œuvre qui s'articule un peu comme une arche, les mouvements 5 et 6 se trouvant isolées de deux groupes de mouvement enchaînés. J'admets qu'à la première écoute, je n'ai pas beaucoup senti planer l'ombre de ce cher Ludwig sur l'objet final, sauf peut-être dans le 9e mouvement, fugue à trois voix pour deux musiciens, qui pourrait évoquer les deux fugues jumelles de l'opus 110. J'y ai certes entendu Prokofiev (1er mouvement, la guitare et le piano se poursuivant à l'unisson, geste habilement repris d'ailleurs dans le dernier mouvement, histoire de boucler la boucle), Debussy (le 7e mouvement, franchement impressionniste à la guitare, donnant une impression de temps suspendu), Ravel (certains gestes mélodiques et harmonique du dernier mouvement m'ont rappelé la Valse), Gary Burton (les sonorités choisies pour le clavier par exemple), le jazz fusion à la UZEB... et bien sûr, Brady.

Devrait-on même considérer cette série de tableaux une sonate? Peut-être si l'on se réfère au sens premier du terme: « une musique qui sonne », parce que, oui, à plusieurs reprises, cela sonnait vraiment très bien. J'admets avoir préféré les segments improvisés ou semi-improvisés, François Bourassa y démontrant une fois de plus sa grande culture musicale (ce qui m'a fait regretter d'avoir négligé son travail de la dernière décennie - j'y remédierai) et sa maîtrise totale des idiomes. Je retiendrai aussi le blues presque fantomatique du 10e mouvement, Tim Brady y démontrant une remarquable imagination dans le traitement des sonorités de son instrument (qui m'ont même rappelé par moments des bruissements d'ailes), le rythme latin chaloupant du 5e mouvement (particulièrement bien servi par Brigitte Poulin), la délicatesse du premier mouvement lent et l'évidence que les frontières entre les genres sont faites pour être abolies.

Mon ami No était à mes côtés. Voici sa perception de la soirée.
Le compositeur parle de l’œuvre entendue dans Le Devoir de samedi dernier.

mardi 19 mars 2013

FIFA: en avant musique! (1er segment)

Bien sûr, je n'ai pas noté uniquement des films musicaux à mon agenda FIFA, mais quand même, ce serait dommage de se priver quand l'offre est si intéressante. Voici un tour d'horizon des six films musicaux vus au cours des derniers jours.


Les Quatre Saisons d'Antoine

Peut-on encore réinventer les Quatre Saisons de Vivaldi, de façon pédagogique en plus? Il semblerait que oui. Un grand-père luthier (Pierre Richard) offre un livre blanc magique à son petit-fils pour son anniversaire. Dans ce dernier, il peut dessiner ce qu'il veut, y coller fleurs ou feuilles, autant d'éléments qui s'animent sous nos yeux et servent fort habilement de toile de fond aux musiciens du Concerto italiano dirigés par Rinaldo Alessandrini. Ici, l'encre devient eau, les rognures de bois flocons de neige, un point à point révèle de monstre du givre, un œuf s'ouvre à coups de marteau au printemps... Surtout, on voit les musiciens, brillants interprètes, et sent le plaisir manifeste qu'ils ont de participer à ce dialogue entre musique et images. Poétique.

Music in the Air: A History of Classical Music on Television 


Le film débute par une interprétation des plus pompiers de la célébrissime Marche Radetzky, scandée à qui mieux-mieux par un public visiblement ravi lors d'un concert viennois du Nouvel An. Une seconde, on craint le pire et puis non, travelling arrière, le film nous plonge dans des documents d'archive, notamment le premier concert télévisé, de New York, avec Toscanini au pupitre. Aucun doute, le genre du concert filmé a beaucoup évolué au fil des ans. Dommage que, de ce côté-ci de l'Atlantique, notre télévision d'état ne considère plus la cohabitation avec les grandes œuvres du répertoire chose essentielle. N'empêche. On apprend par exemple avec fascination que Karajan était un maniaque de l'image, que les concerts filmés du Philharmonique de Berlin ont pris des heures à être montés, histoire de proposer la prise de vue idéale à tout moment, que chaque geste musical soit magnifié. On est loin ici du gros plan sur les mains du pianiste ou sur les cheveux qui s'ébouriffent lors d'un mouvement intempestif. Et que dire de ces foules qui se massent maintenant au cinéma pour voir les émissions retransmises du Met ou cette Traviata suisse, tournée comme un flashmob dans une gare ferroviaire? Réconfortant.

Set the Piano Stool on Fire

Celui-là, je l'attendais avec une impatience presque fervente. Ceux qui me connaissent savent combien je vénère Alfred Brendel, ayant même considéré faire le voyage à Berlin exprès pour assister aux célébrations entourant son 80e anniversaire de naissance il y a deux ans. On le découvre ici dans un nouveau rôle, celui de pédagogue, de mentor du jeune pianiste américain Kit Armstrong, véritable génie qui, à cinq ans avait déjà terminé l'étude des programmes de mathématiques du secondaire et à neuf ans, suivait des cours à l'université dans le domaine! 

Sa mère, troublée par ses habilités mathématiques, a décidé de lui offrir une « distraction » en lui proposant des leçons de piano. Quelques cours d'initiation dans une école « pour tous » ont réussi à convaincre tout le monde que, là aussi, on avait affaire à un potentiel exceptionnel. Des heures durant (sa mère lui donnait même à manger pendant qu'il continuait à jouer!), il a travaillé son instrument, s'est mis à composer. Avec lui, tout va dix fois plus vite que chez tout le monde (comme pour Mozart et Mendelssohn, sans doute), sauf peut-être la maturité émotive. Difficile sans doute de se lier avec des amis, un ou une petit(e) ami(e) quand on passe sa vie devant un instrument, à programmer un jeu vidéo ou à résoudre des équations mathématiques de haut niveau. (Le jeune homme a complété une maîtrise en mathématiques à l'âge de 17 ans.) 

Brendel ici se révèle d'une chaleur extraordinaire, ouvrant avec une visible joie sa demeure (et son cœur) au jeune homme, ravi quand il lui apporte un gâteau à déguster avec le thé. On le sent fasciné par le phénomène, mais il ne baissera pas la garde, s'attardant à décortiquer tel motif, telle intention, à vouloir porter la musique toujours plus loin. Quand il met la main sur le piano pour démontrer, on entend tout de suite le maître, celui qui a réfléchi aux œuvres depuis si longtemps, celui qui comprend les pièges qu'elles comportent. Filmé l'année où Brendel faisait ses adieux à la scène, le documentaire nous offre en prime un Lac de Wallendstadt poétique, troublant de fragilité (on croit même un instant que le pianiste s'effondrera en larmes avant la fin de la pièce), joué au Plush Festival, dans le Dorset. Inspirant.

Le  mystère musical coréen

Depuis quelques années, on retrouve musiciens et chanteurs coréens dans les grands concours internationaux, dont ils dominent souvent les palmarès. Comment et pourquoi sont-ils devenus une force? Ce documentaire belge décortique le phénomène dès les premières leçons. Par exemple, depuis 2008, la KNIGA permet aux enfants doués de suivre des leçons, de jouer dans des ensembles, d'être encadrés par les meilleurs professeurs. Certains feront ensuite tout naturellement le saut vers la K-ARTS, une université multi-arts de plus de 3000 étudiants, dans laquelle enseignent 130 professeurs, qui offrent aux musiciens 92 studios occupés jusqu'aux petites heures du matin, souvent par plus d'un musicien à la fois! D'autres préféreront un programme plus large et s'inscriront à l'Université nationale de Séoul (28 000 étudiants). 

Peu importe le parcours, il est clair que les Coréens ont développé un véritable culte de l'excellence. Ici, on n'exporte pas vraiment de ressources naturelles (présentes en trop petites quantités), mais le talent et l'intelligence. Le pays compte pas moins de 170 000 musiciens professionnels et 88 % de la population possède un diplôme universitaire. Bien sûr, ces choix de société deviennent synonymes de compétition. Dès l'enfance, les jeunes artistes doivent se battre pour être solistes, être choisis pour représenter leur pays sur la scène nationale ou internationale. Plus vieux, plusieurs étudieront en Europe, histoire d'obtenir un diplôme qui vaudra plus et leur permettra d'accéder aux meilleurs postes de pédagogues, mais surtout d'assimiler la culture occidentale. Il devient aussi plus facile pour eux de se déplacer d'un concours à l'autre, de devenir des « touristes de concours » comme un jeune chanteur l'explique en rigolant, heureux de retrouver « la mafia coréenne » en finale! Plus expansifs de nature que d'autres musiciens asiatiques (conséquence de leur choix de s'inspirer du modèle américain probablement), les Coréens semblent maintenant au sommet et pourraient bien y rester. Éclairant.

Il reste une représentation, le 20 mars à 18 h 30, au Musée McCord.





lundi 18 mars 2013

Tout ce que j'aurais voulu te dire

Éléna Cohen a fait des choix, qu’elle regrette parfois, ayant préféré la stabilité à la passion, Maxime à Julien, menant une vie rangée de mère qui glisse des poèmes dans les boîtes à lunch de ses deux filles, mais ne réussit pas à compléter un roman. « Les années passent trop lentement pour que je m’arrête à tout raconter. C’est un long fleuve tranquille que je traverse sans embarras, la tête sur les épaules et le cœur à la dérive, toujours, comme si cette vie n’était pas la mienne. »  Elle n’ose pas tourner le dos à cette lassitude, choisit d’ignorer ces questionnements qui sinon la hanteraient trop, jusqu’au jour où tout basculera, qu’elle apprendra qu’elle perdra dans un avenir rapproché son combat contre le cancer. Elle boucle alors ses valises, s’enferme quelques semaines au chalet, lieu de calme apparent, mais surtout témoin des derniers instants de sa passion pour Julien. « J’ai rayé son nom de mon corps comme on se débarrasse d’une tumeur, avec cette rage sourde qui fait craindre le pire, et même si la vie a été plutôt douce avec moi par la suite, je garde une amertume singulière de ce départ qui aurait pu, aurait dû, se faire autrement. » Elle le retrouve par hasard, pour le perdre encore une fois, coup bas du sort. Elle écrit, pour vider l’abcès avant qu’il ne soit trop tard, soucieuse de laisser un legs, que mari, filles, mère, pourront s’approprier selon leur grille de repères, mais le temps joue contre elle. Voilà pourquoi en deuxième partie du roman (à partir du 11e de 25 chapitres), la parole est léguée aux autres, à ceux qui restent, qui l’ont aimée même quand elle en doutait.

Annie Loiselle se révèle particulièrement habile, dans sa façon de nous faire basculer de plain-pied dans l’univers de son héroïne (quelques pages suffisent pour être entièrement envoûté), le ton employé, qui refuse le misérabilisme, le choix de protagonistes aux personnalités complémentaires. Quelques éléments de la structure narrative pourront sembler un peu plaqués, Jane et Isabella reproduisant à l’inverse le schéma amoureux leur mère, les deux sœurs s’entichant d’un même homme par exemple. L’écriture demeure néanmoins suffisamment fluide, les personnages assez attachants pour que l’on referme le livre avec un sourire mélancolique aux lèvres, dans l’attente d’un deuxième opus.  « À douze ans, je pensais que c’était facile, écrire, que c’était passer d’une histoire à l’autre, sans vraiment prendre le temps de tout bien terminer. Je voulais devenir romancière, célèbre, être lue par des millions de gens. Avec l’âge et les expériences troubles, j’ai révisé ma position. Écrire est une expérience douloureuse qui transforme ce que nous sommes en belles histoires que les gens liront. »




dimanche 17 mars 2013

Créer au féminin

Peut-on créer et procréer? Une femme peut-elle s'extraire suffisamment du quotidien, des mille petits gestes d'attention portés à un enfant, pour retrouver un espace mental de solitude qui lui permettra de retrouver sa voix intérieure, son égo qui crie pour sortir, ira jusqu'à avancer la danseuse et chorégraphe Mylène Roy? La comédienne québécoise Geneviève Rioux, elle même mère, tente avec Crée-moi, crée-moi pas (coscénarisé avec Marie-Pascale Laurencelle et Halima Elkhatabi), d'offrir un portrait le plus nuancé possible de la situation. Si le parcours de deux femmes qu'elle admire (Nancy Huston et Agnès Jaoui) a servi de catalyseur à l'entreprise, elle ratisse ici très large, mais jamais ne se disperse.

On la retrouve par exemple avec la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette, qui a tourné son film Inch'Allah dans des conditions difficiles, un premier bébé à ses côtés. La dramaturge Évelyne de la Chenelière, qui a installé son bureau d'écriture dans le couloir d'une maison dans laquelle courent quatre enfants, compare l'effondrement presque quotidien des certitudes quand on élève un enfant à la création et n'hésite pas à affirmer: « Ce n'est pas les enfants, le lavage, qui fond des œuvres trop pauvres! » La cinéaste d'animation Marie-Josée Saint-Pierre, mère de trois filles, qui a accepté, presque à contrecœur, mais en réalisant que l'occasion ne se représenterait jamais, une résidence de trois mois à Sapporo alors que sa deuxième fille n'avait que six mois, représente bien la dualité des attentes envers les créateurs hommes ou femmes. L'entourage d'un homme aurait-il même froncé les sourcils dans de telles circonstances? Brigitte Haentjens, sans enfant, parle quant à elle de la nécessité d'« assumer l'égoïsme de la création », alors que Robert Lepage et René-Richard Cyr confirment qu'ils n'auraient jamais pu faire une carrière aussi saluée avec des enfants. Troublant... La sculptrice Valérie Blass (exposée dans les galeries et musées les plus prestigieux, mère de deux enfants) avance qu'une bonne exposition suffit souvent à lancer la carrière d'un artiste de sexe masculin, mais que la femme, elle, doit faire ses preuves encore et encore avant qu'on y croit.

Nancy Huston qui a réfléchi à la question dans nombre de ses essais, rappelle que la création exige silence, solitude et que la plupart des femmes ressentent une grande culpabilité à les demander. « Si elles sont dans la maison, elles ne réussiront pas à ne pas être là. » Pascale Navarro avance quant à elle que « la création part de la faille, de la vulnérabilité ». Au fond, cela ne rendrait-il pas les femmes les candidates idéales à la création?

Un très beau film, qui sera présenté le 23 mars à 18 h 30. Détails ici... Après un tel visionnement, je n'ai pas eu le choix de glisser Une chambre à soi de Virginia Woolf dans mon sac...

On peut voir le film le samedi 23 mars 18 h 30 à la Cinquième Salle.

trailer cmcmp H264 from BazzoBazzo on Vimeo.

samedi 16 mars 2013

L'augmentation: des engrenages impeccablement huilés

« Des rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir » : voilà en quels termes les membres de l’OuLiPo se définissaient. Il faut admettre que L’Art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation de Georges Perec reprend admirablement les prémices mêmes du mouvement. S’inspirant d’un organigramme fourni par un ami, dont certains éléments sont reproduits sur le sol du studio du Segal Centre (et l’intégralité dans le programme de soirée), Perec se révèle un guide fabuleusement doué. Il nous conduit, presque d’un seul souffle, de la mise en situation initiale à une conclusion qui ne saurait en être une, à travers une étude de probabilités statistiques qui, même si très exhaustive, réussit à ne pas lasser le spectateur dans la mouture proposée ici, qui passera du fou rire à une réelle réflexion sur la déshumanisation des structures de travail. (Il faut malheureusement admettre que la pièce n’a pas pris une ride depuis sa création en 1970.)

Vous pouvez lire la suite de ma critique sur le site de la revue Jeu...

vendredi 15 mars 2013

Yellow Moon : une reprise particulièrement convaincante

On se méfie toujours un peu des critiques dithyrambiques récoltées par une production qui nous avait échappé lors de sa création (dans ce cas-ci, à l’Espace Go, à l’automne 2010). Pourtant, on ne résiste pas à l’envie de s’y frotter, avec un regard autre, comme si la pièce n’avait pas été portée par une onde de reconnaissance. Auteur écossais particulièrement prolifique, dont le corpus comprend des titres à forte connotation politique, du théâtre musical, des productions jeune public ainsi que des traductions (notamment le Caligula de Camus et Les bacchantes d’Euripide), Greig puise son inspiration aussi bien dans la littérature ou la bande dessinée (on lui doit par exemple une relecture des aventures de Tintin) que dans l’histoire. Avec Yellow Moon : La ballade de Leila and Lee, il récupère fort adroitement le récit du chauffeur de taxi et proxénète Stagger Lee qui, en 1895, a assassiné froidement son ami, simplement parce que ce dernier avait refusé de lui redonner son chapeau. Il transpose le propos dans l’Écosse d’aujourd’hui, alors que Lee, un adolescent qui considère vendre les services sexuels de ses « biches », tue l’amant de sa mère et part ensuite en cavale avec Silent Leila pour retrouver son père (qui lui a offert jadis la casquette ornée d’un chevreuil qui lui a valu son surnom, dont il ne saurait se défaire).

Lire la suite sur le site de la revue Jeu...

Lire en région



Peut-on différencier un lecteur de la métropole de celui habitant en région? Mission impossible sans doute, car comment dresser un portrait-robot de celui-ci quand, selon le moment de la journée, l’état d’esprit, les saisons, son parcours de vie, la juxtaposition d’univers peut se révéler contradictoire. Pourtant, après avoir passé quelques heures au Salon du livre de l’Outaouais début mars – mon premier hors Montréal –, j’ai été totalement séduite par l’atmosphère qui y régnait. À taille humaine, lumineux, intégrant des lieux de rassemblement intimes, propices aux lectures et aux échanges (on y proposait même des concerts), le Salon met les auteurs de l’avant. Pas besoin de feuilleter avec frénésie son guide de l’événement pour repérer une séance de signature; on se laisse happer par une couverture, un sourire, une conversation établie spontanément entre auteur et lecteur. Pas de décorum inutile, une simple volonté de partager un même amour de l’écrit. 

Vous pouvez lire le reste de mon éditorial et le numéro courant de La Recrue ici...

jeudi 14 mars 2013

Le 31e FIFA commence aujourd'hui

Dès aujourd'hui et jusqu'au 24 mars, je me laisserai happer par les films proposés lors de cette 31e édition du Festival international du film sur l'art. La presse dispose de certains privilèges, dont des projections en matinée, ce qui me permettra à l'occasion de vous parler de mes impressions, même avant que le film ne soit présenté pour le public. Je ne pourrai évidemment pas voir les 248 films (28 pays représentés), mais déjà voici certains titres qui retiennent mon attention.

Films canadiens: Dans un océan d’images d’Helen Doyle, film qui explore le travail de plusieurs photojournalistes, notamment en Algérie, en Afghanistan, en Irak et au Cambodge, et Crée-moi, crée-moi pas de Marie-Pascale Laurencelle (compétition officielle), une réflexion sur la place des femmes comme créatrices dans l’espace public.

Architecture:  Bolchoï, une renaissance, Diller Scofidio + Renfro: Reimagining Lincoln Center and the High Line,  Fallingwater: Frank Lloyd Wright’s Masterwork, Helsinki Music Centre — Prelude et Sagrada : Le mystère de la création.
Art contemporain: Art 21 — Art in the Twenty-First Century: History et Sophie Calle, sans titre.

Danse: The Ballet Masters, Joffrey: Mavericks of American Dance, Merce Cunningham, la danse en héritage, Rain et Virtuosi.

Littérature: The Fatwa — Salman’s Story, Gao Xingjian, celui qui marche seul, Michel Butor, l’écrivain migrateur et Water Marked.


Musique: John Cage — Journeys in Sound, Le Mystère musical coréen, Punkt: A Revolution in Live Composing, Road movie, un portrait de John Adams, Dietrich Fischer-Dieskau: la voix de l'âme (film de Bruno Monsaingeon) et Set the Piano Stool on Fire (qui relate la passation de savoir entre Kit Amstrong, jeune musicien surdoué, et son mentor, Alfred Brendel).


Peinture, sculpture et photographie: Léger au front, La Toile blanche d’Edward Hopper, The Man Who Invented Himself — Duane Michals, Brancusi, La Nouvelle objectivité allemande et Le Siècle de Cartier-Bresson.

Théâtre: Jonathan Miller et Within a Tempest. The Island.

La programmation complète ici...

mercredi 13 mars 2013

The Mahalia Jackson Musical: un écrin pour la voix de Ranee Lee

Mahalia Jackson a mené une carrière exceptionnelle. Propulsée par des enregistrements qui se vendront à plus d’un million d’exemplaires, elle a mené le gospel de l’intimité des églises baptistes au faste des grandes salles internationales. Elle chantera au prestigieux Carnegie Hall, connaîtra un triomphe sans précédent lors de sa première tournée européenne, animera une émission de télévision, collaborera avec l’orchestre de Duke Ellington, participera à l’intronisation du président John F. Kennedy, défendra les droits civiques des Noirs auprès de son ami Martin Luther King. On peut sans difficulté comprendre pourquoi l’auteur et metteur en scène Roger Peace, qui signe ici sa 106e production et avait déjà offert un autre musical taillé sur mesure à Ranee Lee, The New Billie Holiday Musical, a décidé de plonger dans l’univers de la « reine du gospel ».

Le spectacle se révèle certes satisfaisant d’un point de vue musical. Ranee Lee, reine des nuits jazz des années 1980 et 1990, possède encore et toujours une voix impeccable (que l’on ne pourrait sous aucune considération associer à une femme de 70 ans!), juste, au vibrato naturel, à la puissance remarquable, à l’intensité unique. Actrice consommée, elle a su intégrer la gestuelle de Mahalia Jackson à son jeu, nous dupant à l’occasion, mais n’hésitant pas à proposer une lecture plus personnelle de certains succès.

Vous pouvez lire le reste de ma critique sur le site de Jeu...

Mahalia dans Summertime et Motherless Child.

mardi 12 mars 2013

Grains de sable

Le Canada a déployé ses premiers soldats en Afghanistan à l’automne 2001, malgré les réserves de plusieurs analystes et l’opprobre de l’opinion publique. Des dizaines de morts canadiennes ont ponctué le conflit, autant de rappels de la nature létale de l’opération. Et puis, dans les énumérations statistiques, on oublie trop souvent les blessés, lourds ou légers, ainsi que les séquelles que tous porteront, autant de cicatrices non apparentes, mais présentes. Peut-on revenir indemne de l’Afghanistan? Warwick il y a quelques semaines posait la question de façon assez frontale. Grains de sable de Milena Buziak propose  cette fois une approche peut-être plus indirecte, un cadre plus dépouillé, en apparence plus clinique (ne parle-t-on pas de théâtre documentaire?), mais qui néanmoins fait mouche.

Vous pouvez lire le reste de ma critique ici...

lundi 11 mars 2013

Dead Man Walking: à voir absolument!

Photo: Yves Renaud
Vous avez lu le livre de Sister Helen Prejent paru en 1993, vu le film mettant en vedette Susan Sarandon et William Penn en 1995 et croyez avoir fait le tour de la question? Il n'en est rien. Dead Man Walking, l'opéra de Jake Heggie, créé en 2000 par le San Francisco Opera, va encore plus loin.

Après trois productions qui ne passeront sans doute pas à l'histoire, l'Opéra de Montréal frappe ici un grand coup, qui pourrait même devenir onde de choc, selon la façon dont le public réagira et les leçons qu'en tirera la direction artistique. Oui, certains hésiteront peut-être à franchir le seuil de la Salle Wilfrid-Pelletier parce que le sujet leur paraîtra trop lourd ou qu'ils auront peur d'entendre une œuvre créée il y a moins de 15 ans. Ils auront tort.

Le livret refuse de s'engluer dans le pathos et n'hésite pas à faire quelques détours humoristiques (la confrontation entre Sister Helen et le père aumônier, le dialogue entre le policier qui arrête Sister Helen pour excès de vitesse et cette dernière, le collage Elvis, doux-amer, alors que Sister Helen devient rock n' nonne). Défendue admirablement par les deux chanteurs principaux. la partition post-moderne (dans laquelle cohabitent sans problème negro spirituals, relents de Bernstein, Gershwin ou Britten et utilisation de leitmotive) reste des plus accessibles. Étienne Dupuis semble complètement traversé par son personnage (comment peut-on reprendre pied dans la réalité après une telle performance?) et Allison McHardy dépasse les limites de sa voix et offre un portrait nuancé de Sister Helen. Dans les rôles secondaires, on retiendra Thomas Goerz en père de la victime refusant de pardonner, Kimberley Barber en mère du meurtrier livrant un poignant plaidoyer afin que son fils soit gracié, Alain Coulombe en directeur de prison caustique mais humain et John McMaster en père aumônier revenu de tout. Dans la fosse, le chef britannique Wayne Marshall (également organiste et pianiste, souvent associé à Gershwin et Bernstein) tire de l'Orchestre Métropolitain subtilité et cohésion.

La mise en scène d'Alain Gauthier, qui multiplie les mouvements de groupe habilement chorégraphiés, les glissements de barreaux et de grillages qui permettent à l'espace scénique de se redécouper au fil des scènes (dont la grande majorité, évidemment, se déroule en prison), les niveaux de lecture, frise la perfection. Le tableau final restera gravé dans les mémoires, par son côté implacable, son silence à la limite de l'intolérable (mais comment peut-on mourir autrement qu'en silence?), à peine ponctué par les larmes silencieuses et les respirations obstruées du public. Et que dire des éclairages absolument spectaculaires d'Éric W. Champoux, qui sculpte la lumière avec une maîtrise remarquable, mais surtout refuse tous les poncifs associés habituellement au langage...

Vous pouvez encore vous glisser en salle mardi, jeudi et samedi. Ne ratez pas votre chance! Info et billets...


dimanche 10 mars 2013

Alameda, le boulevard où marche l’homme libre : en quête d’identité

Après un stage en parfumerie de dix mois, Patricio prend l’avion pour rentrer à la maison, ou du moins à Montréal, terre d’accueil, port d’attache, point d’ancrage. Ayant fui le coup d’état de Pinochet avec sa famille quand il était enfant, est-il d’ici ou de là-bas? Alors que ses parents, maintenant à la retraite, s’apprêtent à retrouver un Chili autre, pourra-t-il accepter de reprendre l’entreprise familiale, service de messagerie qui permet aux immigrés d’envoyer denrées et argent à leurs proches restés au pays, mais surtout se veut un pont entre l’autrefois et le maintenant?

Marcelo Arroyo signe avec Alameda, le boulevard où l’homme marche libre, une première pièce dans laquelle l’autofiction joue un rôle déterminant et devient catharsis. « L’exil, ça déchire. » À travers les odeurs, celles des fleurs poussant dans le jardin de sa grand-mère, des lys qui évoquent aussi bien l’amour, la mort que le passage des saisons, de la valise de cuir de son père dans laquelle il se blottissait enfant, il cherche sa voie. « Si je tue la nostalgie, je tue une partie de moi-même. » À travers les trois langues devenues siennes, il peine parfois à trouver sa voix. Le français lui permet d’articuler sa pensée et de se fondre dans son environnement d’accueil, l’anglais de rire et de râler, mais l’espagnol reste privé, « pour la famille ». 

Retrouvez le reste de ma critique sur le site de Jeu...

samedi 9 mars 2013

Les hivers de grâce d'Henry David Thoreau

Photo: Robert Etcheverry
En hommage au 150e anniversaire du décès du philosophe américain Henry David Thoreau, Denis Lavalou a plongé dans l’univers de l’auteur en articulant une série de lectures théâtralisées autour des saisons. Dans Les hivers de grâce, il nous fait découvrir le transcendantaliste à Walden Pound, lieu d’un calme exceptionnel, en marge aujourd’hui encore de cette civilisation échevelée devenue la nôtre. Le penseur s’y est installé dans une modeste cabane pendant deux ans, y réfléchissant aussi bien à l’écologie, au développement durable, qu’à la nécessité de choisir la désobéissance civile pour faire évoluer les choses, autant de sujets brûlants d’actualité, un an après le Printemps érable, alors que notre société refuse toujours de voir plus loin que les manifestations.

Vous pouvez lire la suite de ma critique sur le site Internet de la revue Jeu...

vendredi 8 mars 2013

Le point B

Je m'en voudrais de ne pas revenir sur Le point B, ce charmant album de BD de Zviane, qui avait remporté en 2006 le prix au Premier concours québécois de bande dessinée. Émile est compositeur, aux études à l'Université de Montréal. Il se questionne sur son esthétique, sur l'avenir de la profession, sur la pertinence de s'exprimer en musique « contemporaine » à une époque où plus personne ne semble y comprend quoi que ce soit. Dans un atelier de composition, il rencontre Blanche, pianiste, son interprète, qui deviendra sa muse, sa complice.

Le trait de crayon de Zviane (qui fait depuis une très belle carrière) se révélait déjà très habile, mais j'ai surtout été charmée par la façon dont elle articule cette histoire d'amour possible (qui ressemble sans doute un peu à celle qu'elle vit depuis avec son amoureux compositeur) de façon musicale, en mouvements qui peuvent vivre de façon indépendante, néanmoins liés, auxquels elle greffe prologue et épilogue et courtes partitions (pour piano seul, pour piano quatre-mains) à la fin de chaque chapitre.

En partage, deux planches qui évoquent à merveille les eaux troubles dans lesquelles doivent patauger les jeunes compositeurs (et sans doute leurs aînés également) qui ne doivent surtout pas céder à l'appel de l'accord consonant, franchement rétrograde. Mieux vaut en rire...