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dimanche 9 août 2015

Simplicité volontaire

Tiens, un rescapé des vieux cartons...


Le premier million avait été le plus difficile à amasser. Après, je suis devenu simple témoin des tableaux de progression qu’on me faisait suivre sur mon téléphone intelligent, entre deux réunions avec mes vice-présidents. Légèrement désabusé par la routine, j’avais accepté la suggestion de mon coach de vie de m’inscrire à cet atelier de croissance personnelle donné par un des bonzes du mouvement. « Simplicité volontaire » : trois jours hors du temps, d’exercices destinés à briser les égos, de pistes pour apprendre le dépouillement.

Quand Robert est arrivé avec la limousine, je savais ce qu’il me restait à faire. En trente minutes, j’avais revendu la majorité de mes actions, transféré mes avoirs au nom de ma femme et de mes enfants, mis mes deux résidences secondaires en vente, cédé mes toiles de valeur au musée. Quand Élisa est rentrée de Monte-Carlo le lendemain et que je lui ai expliqué que nous partirions à l’aventure sur notre voilier, elle m’a ri au nez.

Quinze minutes après, elle me jetait dehors, avec le contenu d’un sac Vuitton pour tout bagage. Une nuit dans la rue et on m’avait battu, tout volé : rêves, argent, identité.


Dites, vous auriez pas un peu de monnaie?


vendredi 8 mai 2015

Des gens et des choses

Il y a de ces projets fous, qui changent une vie, celle de celle qui les lance (Heidi Miller, étudiante à la maîtrise en média-expérimental), mais aussi de ceux qui ont osé lui dire oui: dix auteurs (onze si l'on compte Heidi), un slammeur (Ivy), quatre comédiens, cinq musiciens, six illustrateurs.

Nous avons vécu pendant un mois avec un objet ayant appartenu à quelqu'un d'autre, certains trouvés dans les brocantes, d'autres donnés. Interdiction de parler de ce qui se trouvait dans la boîte blanche, de mentionner la chose dans notre texte. J'ai d'abord commencé par plus ou moins nier la présence du dit objet, que je trouvais d'une banalité affligeante. Je ne voyais pas comment je pourrais extraire une fiction de tout cela, puis j'ai compris comment lui donner une nouvelle - faussement ancienne? - vie, rêvée...

Parce qu'ici, au fond, il est question de vendre du rêve ici, quelque chose d'un peu fou dans le monde dans lequel nous évoluons ces jours-ci. Les chanceux qui assisteront aux représentations (il reste encore quelques places pour la répétition générale du 15 mai, dépêchez-vous) pourront en effet miser sur ces objets-mystères, fantômes, grâce à de magnifiques lampes interactives. S'ils remportent la mise, ils pourront non seulement repartir avec l'objet lui-même, mais aussi une copie du texte et de l'illustration l'accompagnant.

Le projet souhaite explorer nos relations avec les choses qui nous entourent. Nous concentrons-nous uniquement sur leur fonction? Ne sont-ils bons qu'à être jetés quand on s'en lasse? Je ne prétendrai pas vivre dans un environnement aseptisé ou minimaliste. (Difficile d'affirmer une telle chose quand on héberge deux pianos et une multitude de livres et de partitions.) Au contraire. Ici et là, j'ai déposé des objets, ceux que je considère importants: un coffre aux trésors, le bouchon de la mini-bouteille de champagne que j'ai bue avec une amie quand j'ai emménagé dans ce lieu, une reproduction dénichée à Kamouraska, une oeuvre réalisée par une amie que je ne vois pas assez souvent, un nez de clown, des cartes... autant de petites pierres blanches qui me rappellent où j'ai mis les pieds et combien je suis privilégiée d'être entourée d'amour...

Dans cette vidéo, vous pouvez découvrir les dix auteurs (Heidi se cache derrière la caméra, mais vous l'entendrez). Il y a quelque chose d'émouvant dans tout cela, qu'on l'admette ou non. Une chose est certaine: j'ai très hâte d'entendre les comédiens s'approprier nos mots, les musiciens les envelopper d'une autre couche de sens.


Pour en apprendre plus sur le projet...


mardi 5 mars 2013

Pieds nus dans l'aube

La mise en page du numéro 5 de la revue de textes courts Lu si est déjà bien avancée, me souffle à l'oreille la rédactrice en chef. C'est pourquoi je me permets de glisser ici en partage le texte que j'ai commis pour le numéro précédent, paru en novembre, articulé autour du thème « orange ». (Cliquez sur l'image pour pouvoir lire ou faites-moi signe si vous préférez le lire sous un autre format ou que vous êtes curieux de découvrir le reste du numéro...)


mercredi 11 avril 2012

Un autre écho

Le texte signé de ma main, publié dans le numéro courant du fanzine de nouvelles courtes Lu-Si (vous pouvez obtenir le numéro entier, sans frais, ici...), sur le thème de la promesse, prend lui aussi une toute autre résonance, même s'il a été commis il y a quelques mois de cela déjà.

mardi 17 janvier 2012

Für Anna Magdalena

Quand il est venu accorder mon piano, Allan m'a demandé en quittant si j'avais dans mes tiroirs un conte musical ou un texte hybride, qu'il hébergerait avec plaisir sur son site. J'ai hésité une seconde, puis me suis rappelée d'une lettre fictive (mais dont les fondements musicologiques sont fondés, puisque j'ai fait des recherches autour de la date probablement de la création de l’œuvre) que Johann Sebastian aurait pu adresser à Anna Magdalena, sa complice au quotidien.

Ma mi, ma son de vivre,

Quand tu trouveras ces feuillets déposés sur ton instrument, j’arpenterai les corridors de Saint Thomas entre deux répétitions. Je sais combien, ces jours-ci, tu te sens alourdie par ce nouvel être que tu portes et que j’aime déjà de tout mon être. Même si tu penses que j’y suis aveugle, je collectionne les petits gestes d’amour que tu poses au quotidien : la préparation des repas et la tenue de la maison, la tendresse que tu témoignes à nos enfants, la façon dont tu leur transmets les rudiments de la théorie musicale, ton rire qui s’unit aux leurs lors des séances de jeux. Je reconnais aussi l’étincelle qui passe dans ton regard lorsque tu réussis à voler quelques instants pour t’asseoir à l’instrument, seule face à ta musique, que ta voix s’élève sotto voce, dans la nuit largement entamée.

 Pour lire le reste du texte, c'est par ici...

On peut écouter au même moment l'Adagio du Concerto italien, qui a inspiré ce texte aux contours flous...

mardi 11 mars 2008

Ce qu'a vu le vent d'Ouest


Révolté, révulsé, le vent racle la surface agitée du fleuve, en un long gémissement halluciné. Les vagues se liguent contre les récifs, grugeant quelques millimètres de roc à chaque assaut. Les oiseaux ont fui au large de l’estuaire, loin du lancinant chœur des damnés qui s’élève des flots. Sur le sentier, on distingue à peine une frêle silhouette, balayée de temps en temps par la force brute du vent. Elle progresse lentement vers la jetée, les mains serrées sur son torse, dans un futile effort de protection, les pieds glissés dans des bottes de caoutchouc qui avalent presque entièrement ses cuisses.

Parvenue à quelques mètres du quai, elle se déchausse précautionneusement. Elle aime sentir les cailloux effilés lui lacérer la plante des pieds, l’eau glaciale lui mordre les chevilles, le vent fouetter son visage. Comme tous les soirs, elle a revêtu son vieux chandail de marin, dont les manches trop longues lui donnent l’impression d’enfiler une camisole de force. Prudemment, elle en a humé le lainage, imprégné de l’air salin du large et de l’odeur légèrement musquée de sa peau. Les premières semaines, elle le tenait contre elle en talisman quand, fourbue de fatigue et de douleur, elle s’abandonnait à la puissance de ses cauchemars en hurlant son nom ou, si rarement, le rejoignait en rêve dans une crique à l’eau cristalline, désertée. Les nuits s’étaient muées douloureusement en mois et, maintenant, elle ne l’enfilait plus que lors de cette promenade vespérale quotidienne.

Malgré la houle qui gronde furieusement, elle s’assoit au bout de la jetée, les jambes repliées sous elle. En sortant la boîte de fer-blanc soigneusement conservée sur sa poitrine, elle sent le vent s’engouffrer malicieusement sous la maille tricotée serrée. Ses mamelons se hérissent sous sa langue râpeuse et elle étouffe un petit gémissement.
Combien de nuits dilapidées depuis son départ, dans l’attente, l’absence, l’anéantissement? Combien de caresses, de baisers, qui n’atteindront jamais leur but? Combien de mots criés face au vent? Combien d’heures passées à écouter le souffle du large, recroquevillée sur elle-même, dans l’espoir de capter sa réponse?

Elle extrait de son ciré une paire de ciseaux élimés, la dépose délicatement à côté d’elle. De la poche de son jean usé, elle retire une lettre dont le papier est presque devenu translucide à fort d’être manipulé. Même si elle peut en réciter le contenu par cœur, elle la déplie quand même et effleure du doigt le tracé d’un mot, le dessin d’une ligne.

Ma folle, mon océan,

J’ai pensé à toi il y a une seconde, une minute, une heure. Planant au-dessus du fracas étourdissant du bruit des moteurs, j’ai entendu ta voix, tentatrice, me chuchoter des mots tendres. J’ai goûté un instant le parfum de ta peau le matin après l’amour, ai senti tes boucles folles danser sur mon ventre. J’ai pensé alors que je t’avais séduite à coups de mots mais surtout de silences, que je t’avais abordée comme un flibustier, que j’avais dû te saborder sans m’en rendre compte, en noyant mon regard dans le tien, avec déraison.

Loin de toi, je suis en rade, égaré dans un lieu dont le paysage ne m’est plus familier. J’aimerais passer au travers de toi comme un bateau de pêche traverse le brouillard, cornant pour éloigner le danger. J’aimerais pouvoir déployer les voiles de notre amour comme on hisse pavillon. J’aimerais accoster en ton corps comme on s’approprie une île inconnue. J’aimerais m’amarrer en toi, maintenant et pour toujours.

Ton marin d’eau douce, ton pirate

En tremblant un peu, elle prend les ciseaux dans sa main. Une seule boucle folle s’échappe encore de sa chevelure sacrifiée. Elle la coupe, d’un geste sec. Le frottement des lames se marie un instant au mugissement du vent. Elle ouvre la boîte et couche la mèche à côté des autres, implacable rappel des jours passés loin de lui. Avec dévotion, elle la referme et dépose un baiser à sa surface. Une ultime fois, elle lui chuchote son amour. Une ultime fois, elle attend sa réponse.
Les flots viennent réclamer leur dû. Elle leur remet sans hésiter le cercueil métallique, les ciseaux défraîchis. Elle se relève lentement. Une douleur lancinante vient marteler son flanc. Elle grimace un sourire, mêle son souffle à celui du vent. Elle pose une main sur l’arrondi de son ventre et entreprend sa laborieuse remontée. Dans quelques heures, il sera là…


À écouter avec le Prélude de Debussy du même titre...

La toile, Miranda - The Tempest, est de John William Waterhouse.