mercredi 14 octobre 2015

Suivez-moi sur Tumbler et Soundcloud

Bon, ça y est, je suis enfin installée dans mes nouveaux quartiers... Vous pouvez maintenant me suivre sur Tumbler (multimédia) et les balados sont archivées sur Soundcloud (audio).

Clavier bien tempéré - En mode aléatoire sur Tumbler
Lucie Renaud sur Soundcloud

Merci de mettre à jour vos marque-pages!


mardi 29 septembre 2015

Changer de vie

Ma vie a basculé le 4 septembre dernier, jour de l’anniversaire de naissance d’Artaud – il aurait sans doute apprécié le clin d’oeil, surtout en cette année marquée  par le Tout Artaud, de Christian Lapointe.

En effet, après moins d’un mois de flashes oculaires et de violents maux de tête, on me diagnostiquait une tumeur au cerveau. Celle-ci a été retirée et commence maintenant un processus féroce de radiothérapie et autres.

Dommage collatéral : une vision en trois segments à droite, alors que je souffrais déjà d’une rare forme de dégénérensce maculaire à gauche. Plus de plan B donc de ce côté, ce qui rend la lecture cohérente presque impossible. Il me restera maintenant à apprivoiser différents logiciels de reconnaissance de textes, mais cela empêche bien évidemment la critique écrite.

Je reste disponible le cas échéant pour des propositions de médiation. Le savoir et la culture sont faits pour être partagés avec le plus grand nombre. 

Si j'avais à me définir en un seul terme, ce serait: transmission - et ce, depuis l'école primaire. Je continuerai donc de transmettre, oralement tout d'abord et à l'aide de logiciels de traitement de texte ou de reconnaissance vocale. Un autre blogue, audio, naîtra fort probablement. D'ici là, les archives de ce blogue restent en consultation libre.

En attendant, le Clavier bien tempéré de Bach continuera de jouer un rôle essentiel dans ma vie. La première pièce que j'ai tenté de rejouer est son si simple premier prélude. Les réflexes n'étaient d'abord pas au rendez-vous, mais en travaillant la profondeur du jeu, j'ai fini par le rejouer en moins d'une heure, confirmant ce que je soupçonnais déjà: la musique classique élève l'âme, mais est souvent si peu ancrée dans le corps. Depuis, je m'assois régulièrement au piano et retravaille autrement. Chaque jour comprend sa part de réapprentissages, mais aussi de petites victoires.

vendredi 28 août 2015

La terreur et le ravissement: Hubert Aquin

Hubert Aquin reste l'un de nos géants. Intellectuel, cinéaste, écrivain, penseur, au-delà des époques et de la mort, l'homme continue de troubler. René Gingras revient pour la seconde fois au créateur, particulièrement à travers ses premiers et derniers romans (Prochain épisode et Neige noire). À la lecture de ce texte hier, qui n'avait de pièce de théâtre que le nom, on ne peut que saisir toute la révérence que Gingras porte à son aîné, citant des passages ciblés (tant des romans que de certains essais), intégrant le fil narratif des deux romans à sa proposition, reprenant et se jouant de certains des thèmes chers de l'auteur. On ne peut qu'être fasciné par ce voyage au cœur même de l'univers d'Aquin, par une volonté d'aller plus loin dans la découverte de son oeuvre. Cela ne fait malheureusement pas une pièce de théâtre - du moins dans sa forme actuelle. On imaginerait plutôt une lecture théâtralisée, présentée peut-être dans le cadre du FIL

Étrangement, j'ai redécouvert l'univers d'Hubert Aquin à travers un film, Nuit no 1, dans lequel l'héroïne (Catherine de Léan) cite des passages de Prochain épisode à son amant d'un soir. Par effet d'entraînement - ou par fascination -, j'ai plongé dans le roman, dans l'édition originale de 1965 qui fait partie de ma bibliothèque depuis des années, livre annoté à la mine par une femme que je n'ai jamais connue, qui restera - comme Aquin au fond - un mythe entier. En sortant du Centre du Théâtre d'aujourd'hui hier soir, troublée une fois encore par ces mots aux résonances si particulière, je me suis dit qu'il me faudrait lire Neige noire et puis peut-être bien certains essais. Il faut parfois accepter les détours improbables de la vie...

jeudi 27 août 2015

10e édition du World Press Photo à Montréal

Dans un monde où nous sommes envahis d'images, relayées par diverses plateformes numériques de surcroît, le World Press Photo a-t-il encore sa place d'être? Sans aucun doute, car il faut bien admettre qu'il y a une énorme différence entre contempler en vitesse un cliché (ou dans certains cas détourner le regard, car certaines photos prises en zones de conflits sont insupportables) et prendre le temps d'examiner sa composition, lire ce que le photographe a cherché à capter et prendre vraiment le temps de la regarder.

Une grande humanité se détache d'ailleurs de plusieurs des photos lauréates cette année. On peut penser ici à ce bateau de migrants, photo prise quelques instants avant que ceux-ci ne soient rescapés, prises par Massimo Sestini (2e prix, catégorie Nouvelles générales)
Massimo Sestehni

ou encore à la photo gagnante du grand prix, toute en douceur, du Danois Mads Niessen qui nous montre avec délicatesse un couple homosexuel russe partageant un moment d’intimité. Aucun besoin ici de monter aux barricades; le message atteint le spectateur en plein cœur.
Mads Niessen
Fait d'armes inusité, le travail sensible du photographe français Jérôme Sessini (qui travaille pour la prestigieuse agence Magnum) s'est mérité les 1er et 2e prix dans la catégorie Actualités- Reportages. Cette photo d'une victime de la catastrophe aérienne du vol MH173 encore sanglée dans son siège (sans que l'on ne voit son visage) continuera d'habiter les imaginaires. Le photographe était d'ailleurs présent hier pour évoquer un peu son métier. Impossible de ne pas être troublé par la profonde tristesse de son regard témoin de tant de malheur et de cruauté.
Jérôme Sessini

Si certains clichés sont crus, d'autres se révèlent d'une insidieuse efficacité, comme ces traces laissées par des écolières enlevées au Nigeria de Glenn Gordon, cette photo prise par Ronghing Chen dans une usine de décorations de Noël, celle de cette mère éplorée de Fatimeh Behboudl qui, des années après la disparition de son fils, a enfin accès à une pièce de vêtements ou cette jeune femme accusée d'être une travailleuse de rue de Liu Sond,
Liu Sond


À l'étage, on ne voudra pas manquer l'exposition parallèle de Will Steacy, Deadline, un puissant reportage sur l'érosion de la presse écrite, à travers une série de photos prises dans les bureaux du Philadelphia Enquirer,

Jusqu'au 27 septembre à la Salle de la Commune du Marché Bonsecours.
L'exposition s'arrêtera aussi dans d'autres villes dont Paris et Toronto. Voir les dates ici...

mercredi 26 août 2015

Mythmaker ou de l'obscénité marchande

Il y a parfois de ces rencontres presque magiques, avec un auteur, une voix, un texte. Mythmaker ou de l'obscénité marchande est assurément de celles-là. Librement inspirée d'une nouvelle de Karen Blixen (adaptée au cinéma par Orson Welles), cette pièce de l'auteur Manuel Antonio Pereira (installé en Belgique depuis une vingtaine d'années) mise en lecture par Alice Rondard dans le cadre de Dramaturgies en dialogue s'articule autour du personnage de M. Clay, un requin de la pire espèce, exportateur de textile multimilliardaire de la Côte Est américaine, imbu de sa personne (admirablement transmis par Jacques Lavallée). « Dans votre indignation, je me suis taillé un manteau. »

Sans héritier, il ne reculera devant rien pour mettre lui-même en scène une histoire d'un soir entre un marin russe (Alex Bergeron, subtil) et une jeune femme d'une beauté sublime (Rachel Graton, entre fragilité et dépit), fille d'un de ses ex-employés ruiné. Bien évidemment, le tout se fera dans un environnement entièrement contrôlé, un trio d'internautes commentant le tout en direct, tout en évoquant brièvement certaines des difficultés liées à la notion même de l'amour et du couple dans ce siècle où l'on ne vit plus que pour les autres.

Avec une telle prémisse, Pereira aurait pu choisir de grossir inutilement le trait. Il n'en est rien. Grâce à une langue d'une musicalité indéniable, il se transforme en une Shéhérazade du 21e siècke, le texte oscillant entre conte de fées et pamphlet vitriolique, intemporalité et modernité. La belle et son marin réussiront-ils à s'échapper des rets de Clay? Accepteront-ils de jouer leur rôle jusqu'au bout, d'incarner le mythe? « Ce n'est pas une histoire, c'est ma vie, soulignera le marin. Je ne veux rien raconter, cela deviendrait une histoire justement. » Une affirmation certes en porte-à-faux des multiples « partages » que l'on retrouve sur les réseaux sociaux.

Un très beau texte, que l'on souhaite voir monté!

lundi 24 août 2015

Glenn Gould - Une vie à contretemps

Certains artistes continuent de hanter les mémoires bien après leur mort; Glenn Gould est assurément de ceux-là. Que l'on préfère la première ou la deuxième version de ses mythiques Variations Goldberg ou que ses tempi parfois rocambolesques vous laissent perplexes importe peu au final: on ne peut s'empêcher d'être fasciné par ce personnage bien plus grand que nature, ses manies, ses lubies, sa volonté d'établir un lien direct avec l'auditeur (qui aurait pu dans un monde idéal calibrer la moindre intention d'interprétation - on n'y est toujours pas, plus de 30 ans après la mort de Gould).

Sandrine Revel propose un très bel album, tout en demi-teintes, qui nous permet de plonger dans la vie de l'artiste, non pas de façon chronologique, mais en laissant les images et les événements venir à nous par vagues, un peu comme si nous devenions Gould et nous rappelions dans un demi-délire certains moments-clés de note vie.

Au début, on peut être déstabilisé par ce choix, puis on se plie volontiers au rythme, sans nécessairement espérer en apprendre plus sur le pianiste, compositeur et réalisateur canadien (de nombreuses biographies fouillées l'ont fait avant), mais pour le sentir autrement, de façon presque intuitive, épidermique même (les planches où l'on voit ses mains s'activer demeurent les plus envoûtantes), comme si nous étions dans un monde aux contours oniriques, que la musique nous traversait car, à travers ces pages, impossible de ne pas entendre Gould, de ne pas souhaiter revenir à ses enregistrements, particulièrement de Bach, mais aussi son audacieuse Solitude Trilogy, dans laquelle il nous offre un contrepoint d'un tout autre genre.

vendredi 21 août 2015

80 000 âmes vers Albany: un quintette d'acteurs renversant

L’ambiance était festive hier lors de la soirée d’ouverture de l’édition 2015 de Dramaturgies en dialogue, qui servait également de coup d’envoi aux célébrations entourant le 50e anniversaire du Centre des auteurs dramatiques. Ce n’est certes pas tous les soirs que cinq géants se retrouvent sur une même scène! Avant que Jacques Godin, Andrée Lachapelle, Albert Millaire, Monique Miller et Béatrice Picard prennent place derrière leurs lutrins, une ovation monstre avait été réservée à ces pionniers de ce que l’on appelait jadis le « théâtre canadien-français ».

Contrairement à plusieurs nouveaux diplômés du programme d’écriture de  l’École nationale de théâtre, Benjamin Pradet Jeune n’a pas joué la carte de l’autofiction dans cette première pièce, 80 000 âmes vers Albany. Elle s’articule en effet autour de cinq octogénaires. On s’attarde d’abord à leur quotidien, alors qu’ils échangent quelques banalités, procèdent à leur toilette, mangent des rôties, se moquent volontiers des propriétaires de la résidence, les Walker, arborant même les couronnes des maîtres des lieux, bien sûr un château (de Terrebonne). Les conversations en apparence sans importance permettent néanmoins d’aborder la question de la mémoire (celle que l’on perd comme celle, souvent plus éloignée, qui nous reste). « Tu te souviens de b’en trop d’affaires que tu t’inventes », avance Pierre Pierre (Albert Millaire, convaincant), un acteur sur le déclin qui montera pour la première fois sur les planches lors du spectacle de Noël de la résidence. Et puis, à l’arrivée de Colette d’Orange, fille de Mme Walker, le ton bascule et devient volontiers plus onirique. Nos cinq larrons feront en effet une fugue, à dos de chevaux blancs (!) afin d’assister à un mariage à Albany. « Un dernier voyage avant de rentrer », mais aussi un dernier voyage avant de partir pour un au-delà aux contours indéterminés. « J’fais tout ça pour pas pleurer », souligne Pierre Pierre.

Il y a de très beaux instants dans cette pièce de Pradet et certains débordent d’une indéniable poésie - « la forêt, c’est ma grosse boîte de nuit » par exemple. On s’attache aux personnages et une série de monologues bien intégrés feront la joie de leurs interprètes le moment venu : une touchante lettre d’amour d’Henri (transmise avec une retenue presque douloureuse par Jacques Godin) à sa chère Désirée (Monique Miller, le boute-en-train du quintette), la superposition de certains éléments du Petit chaperon rouge aux souvenirs de Gertrude (Béatrice Picard, d’une vivacité extraordinaire) ou le duo/duel entre Colette d’Orange et sa fille (Andrée Lachapelle, stupéfiante, épousant les deux rôles). On retrouve également de réelles longueurs dans cette mouture totalisant presque deux heures. Si hilarantes soient-elles (tous s’en donnaient à cœur joie), la scène du petit déjeuner de groupe et la partie de cartes s’éternisent inutilement (une seule des deux pourrait être maintenue au final) et certaines tirades auraient avantage à être élaguées. On voudra peut-être aussi ajouter une densité supplémentaire au personnage d’Henri qui ne prend forme qu’à la fin de la pièce.


Un auteur à surveiller!

jeudi 20 août 2015

Les mots

Certains manipulent les mots comme des pierres précieuses. Ils les polissent, amoureusement, langoureusement, pendant des heures, éliminant toute scorie d'une phrase, d'un mot, d'une syllabe, pour n'en garder que la pureté de l'émotion, l'essence, la quintessence de l'instant.

D'autres manient les mots comme des roches. Ils les jettent à la tête de ceux qui passent, confiants, accueillants. S'ils les travaillent, c'est pour les affûter comme des lances, pour qu'ils blessent, qu'ils transpercent, qu'ils laissent des cicatrices. Parfois, on assiste à de curieux duels de mots, de vers, véritable surenchère d'épithètes, de contre-sens, de non-sens. On ouvre la main et on compte les mots comme on comptait ses billes autrefois dans la cour de récré, comme on collectionnait les filles dans les soirées, en bombant le torse, en se moquant du plus frêle, en ne faisant pas de quartiers.

D'autres encore sont démunis face aux mots. Ils les accumulent, les collectionnent, les regroupent, par sonorités, par couleurs, par odeurs, par pays d'origine, mais ils ne savent jamais quoi en faire exactement. Du bout des doigts, ils les font tourner au fond de leurs poches; du bout des lèvres, ils les font tourner dans leur gorge. Un jour, sans raison, ils deviennent trop lourds, trop encombrants. Deux doigts puis toute la main s'aventurent dans le magma, devenu indistinct babillage. Ils sont déposés sur une improbable ardoise, journal intime, carnet ouvert aux quatre vents, recueil de poésie, pavé, cailloux semés derrière soi, pour retrouver sa route, pour mieux se perdre.

Au milieu du fouillis, notre regard s'arrête sur un, puis un autre. On les dépose au creux de notre main, les fait tournoyer un instant, en cherchant à se les approprier une seconde, une journée, une saison... avant de les polir, de les affûter, de les ignorer, de les oublier.

mercredi 19 août 2015

Entre littérature et musique


« Dieu, hésitant, se tourne vers moi et me demande de trancher : Angèle, entre les livres et la musique, que dois-je conserver? Je choisis les livres parce que sans lecture il n’y a plus de mémoire, plus d’accès à la connaissance, plus de magie, plus de tremplin vers de nouvelles expériences, de nouvelles écritures, de nouvel héritage. Pourtant, si la terre se dépossédait se  dépossédait de la musique, je crois qu’elle s’effondrerait de chagrin. »
Christine Eddie, Je suis là

lundi 17 août 2015

À la recherche de New Babylon

Un pyromane qui collectionne les pendaisons, un aristocrate russe mythomane qui rêve de fonder une cité dans laquelle l’anarchie règnera en maître, une jeune femme romantique qui traverse le pays à la recherche de l’homme idéal, un faux prêtre qui sert de témoin, de mémoire. On lui a volé les carnets sur lesquels ils notaient les destins, petits et grands, de tous ceux croisés jusque-là. On lui a coupé les mains, mais certainement pas la parole. En effet, ce sera grâce à sa voix (sans doute rocailleuse) et son imagination (débordante) que les personnages de ce roman inusité s’incarneront, se raconteront, évoqueront leur faim de célébrité, de richesse, de reconnaissance, d’amour ou même de mort.

Le lecteur s’attachera vraisemblablement plus à certains personnages qu’à d’autres. J’admets volontiers un faible pour Russian Bill. Pourtant essentiel au récit - sans lui, ce dernier n’existerait pas -, mais se maintenant délibérément à l’arrière-plan, le Révérend Aaron nous glisse parfois entres les doigts. Peu importe. On plonge dans cette aventure touffue les yeux, les oreilles et les narines ouverts. Les chapitres ramassés s’y enchaînent comme autant de pièces d’un casse-tête, nous menant inexorablement vers l’avant par quelque implacable effet domino.

Les phrases sont courtes, se dégainent comme un revolver, laissent ici et là place à une savoureuse ironie. « En été, c’était un endroit recherché pour sa fraîcheur. En hiver, il fallait une volonté de fer pour s’y prélasser, même en gardant son manteau sur le dos. Pour la première fois, on y discutait d’autres choses que de la fourberie des Américains », par exemple. L’écriture de Dominique Scali se révèle particulièrement alerte, travaillée jusqu’à ce qu’à la disparition de toute trace de couture, dépouillée de scorie. Du grand art.

On a très hâte de découvrir à quel univers plus ou moins balisé Dominique Scali s’attaquera ensuite.

Pour lire les impressions des autres collaborateurs, c'est ici...



samedi 15 août 2015

Dominique Scali recrue d'août

Pour ce numéro d’août, nous vous offrons la totale : l’évasion, unilatérale, sans contrainte ou presque. Dépaysement assuré! En effet, À la recherche de New Babylon de Dominique Scali adopte un genre ne faisant pas habituellement partie de l’imaginaire québécois : le western, ni entièrement traditionnel ici, ni vraiment satirique. Un livre qui sent le whisky et le sable, pourtant non dénué d’une certaine tendresse. « … il y a toujours eu un grand désir d’évasion derrière mon désir d’écriture, explique l’auteure dans ses réponses à notre questionnaire. J’ai donc le réflexe de transposer mes préoccupations sur d’autres univers et sur des personnages différents de moi. Reste qu’il y a toujours une part de soi dans ce qu’on crée. »

L’enfance de l’art de Jérôme Minière incite lui aussi à plonger au cœur du roman, « le lecteur ne [reprenant] son souffle qu’au mot FIN », résume notre collaborateur Normand Babin. Les Sports et divertissements de Jean-Philippe Baril Guérard sont d’une tout autre eau : sexe, drogue et… théâtre! Autre OVNI littéraire, Le cruciverbiste de Claire Cooke juxtapose intrigue policière et mots croisés que le lecteur est invité à compléter au fur et à mesure. Par une douce soirée d’été, vous aurez possiblement envie de danser. Le pas du lynx de Joana de Fréville saura alors vous accompagner. Vous souhaiterez peut-être aussi relire Juillet, premier roman coup-de-poing de Marie Laberge.

Et si vous profitiez des journées encore longues pour vous plonger dans deux recueils de poésie? Nous avons aimé Ciseaux de Roxane Desjardins (prix Émile-Nelligan 2015) et Goulka de Zéa Beaulieu-April, publication de la nouvelle coop de solidarité Les éditions de la Tournure. « La création, tout comme la lecture consciencieuse, lui apparaissent comme des actes de résistance dans un monde qui a toutes les allures d’une habitude à la fugacité, souligne-t-on sur le site Internet. La coopérative et la poésie sont ces espaces de rencontre et de foisonnement ». Nous souhaitons longue vie à cette organisation unique qui vise à poétiser la ville.

Après avoir collaboré au projet « Des mots dans la ville », présenté à Magog en avril dernier, dans le cadre duquel des citations d’auteurs québécois (dont quelques Recrues!) ont été peints sur des vitrines de commerces, nous lançons là-bas une série de rendez-vous autour de la nouvelle littérature d’ici. Rencontres avec des romanciers, tables rondes sur divers sujets, lectures de poésie, séances de signature sont autant d’activités qui seront proposées au fil des saisons. Notez illico à votre agenda un entretien avec David Goudreault, auteur de La bête à sa mère, aussi slammeur. Il se tiendra le 12 septembre prochain, 15 h, chez Chochoco, un endroit que vous voudrez aussitôt adopter, sis au 259, rue Principale ouest, à Magog. Nous vous y attendons nombreux! (L’événement se déroule en périphérie de la Fête des Vendanges. Surveillez notre page FB pour tous les détails!)

Nous sommes également heureux d’annoncer notre affiliation avec Les libraires.ca. En cliquant sur le lien associé, vous pourrez vous procurer les livres commentés sur le site transactionnel. Une volonté consciente notre part de soutenir la littérature, mais aussi les libraires indépendants d’ici.

Pour lire le numéro courant...

jeudi 13 août 2015

Achat de livres et autres... un tag

C'était hier la 2e édition de l'initiative « Le 12 août, j'achète un livre québécois ». Je suis passée chez Olivieri en après-midi, sans trop savoir ce qui me ferait craquer. (J'ai finalement opté pour Chemins de sable de Jean-Pierre Issenhuth, un livre qui m'a semblé dans le prolongement de Jean-François Beauchemin et Thoreau.) Sur place, l'impression qu'un vent avait balayé les tables de livres québécois et avait même soufflé dans les étagères consacrées. Évidemment, il y a aussi les 364 autres jours de l'année. « Nos tables de romans québécois ne disparaîtront pas demain », a souligné fort à-propos une libraire visiblement débordée, mais souriante. Elle m'a aussi confié qu'une de ses collègues pensait à consacrer le 12 de chaque mois à un auteur québécois. Je suivrai le tout avec attention, mais avant, je me plie à un petit tag qui porte notamment sur les achats de livres.


1. Es-tu une acheteuse compulsive de livres? 

Non, mais ma PAL est d'une taille impressionnante. Entre les services de presse reçus pour être commentés par les collaborateurs de La Recrue du mois, les multiples emprunts à la bibliothèque (j'y fais un saut toutes les semaines) et les livres que je « dois » posséder, pas le temps de s'ennuyer.

2. À quelle fréquence achètes-tu des livres?

Une fois par mois environ, je dirais, mais je bouquine plus souvent que cela. Et puis, il y a les salons du livre un peu marginaux (anarchiste, queer) qui proposent toujours des choses difficiles à trouver ailleurs... Difficile d'y résister.

3. As-tu une librairie favorite?

Olivieri, assurément. C'est ma librairie de quartier, d'une part, mais surtout, j'aime comment je me sens quand j'y mets les pieds, la façon dont les livres ont été regroupés, la gentillesse des libraires, des purs et durs, toujours prêts à passer une commande spéciale ou à faire une recommandation. J'aime bien m'arrêter aussi au Port de tête quand je suis sur le Plateau.

4. Fais-tu tes achats livresques seule ou accompagnée?

Presque toujours seule. J'irai peut-être bouquiner avec un(e) ami(e) - chacun dans sa bulle habituellement -, mais j'achète rarement dans ces cas-là. Je note certains titres tout au plus.


5. Librairie ou achats sur le net?

Presque exclusivement en librairie.

6. Vers quels types de livres te tournes-tu en premier?

Mon premier arrêt chez Olivieri est toujours pour la table de nouveautés québécoises. Déformation professionnelle d'une part, certes, mais aussi réel intérêt. Je fais ensuite le tour des autres tables de nouveautés, des nouveaux poches, éplucherai volontiers la section théâtre ou poésie, celle de la littérature allemande aussi. (Il faudrait vraiment que je me replonge dans cette langue ingrate.)

7. Préfères-tu les livres neufs, d'occasion ou les deux?

Les deux, mais si je ne fais pas toujours un détour par les librairies de livres usagés - et ce, même si j'en ai une très chouette (Le livre voyageur) dans mon quartier.

8. Qu'aimes-tu dans le shopping livresque?

La découverte de nouveaux titres, mais aussi la manipulation des livres.

9. Te fixes-tu une limite d'achat par mois?

Je suis en général plutôt raisonnable, heureusement pour mon compte bancaire.

10. À combien s'élève ta wish-list?

Je note très rarement un titre. J'aime la rencontre avec un livre, le côté presque improvisé de la chose, la possibilité de ressentir un coup de foudre pour une écriture en particulier.

11. Cite 3 livres que tu veux TOUT DE SUITE!

Je sais me contenir, mais j'admets avoir très hâte de découvrir certains des premiers romans de la rentrée, et puis hier, je suis passée à deux doigts d'acheter


12. Pré-commandes-tu tes livres?

Quelle idée!

13. Pourquoi un tel pseudo/nom de blogue?

Je cherchais un nom de blogue qui serait une allusion directe à la musique classique (sur une île déserte, même si j'adore Mozart, je partirais indéniablement avec les deux volumes du Clavier bien tempéré de Bach, une source inépuisable de découvertes) et un clin d’œil au geste d'écriture. Et puis, en tant que journaliste, je veux pouvoir vivre avec une critique dans dix ans et donc maintiens volontaire une certaine tempérance. Les coups de gueule, je les garde pour moi - ou pour mes proches. Concentrons-nous sur le reste.


14. Parle-nous de ton prof préféré.

Je pourrais citer Sr Marie Faucher, une professeure de piano que j'ai eue à l'adolescence, trop brièvement malheureusement, car un cancer fulgurant l'a fauchée après qu'elle m'eut accompagnée pendant deux ans. J'inclurai aussi le Père Hardy, professeur de français en cinquième secondaire, qui tous les mercredis après-midi, avait dégagé 20 minutes de son horaire d'enseignement pour que nous écrivions dans notre cahier d'aubades. Je n'oublierai jamais l'énergie si particulière qui animait la classe à ce moment-là (un ami poursuivait chaque semaine un western-spaghetti, dans lequel je jouais notamment le rôle de Lulu Carabine) et les commentaires d'encouragement du professeur. J'ai toujours gardé ces deux cahiers Canada.


15. Parle-nous de ton premier concert.

Impossible de me rappeler du premier, car j'assistais tous les vendredis aux concerts classiques gratuits offerts par Radio-Canada à la Salle Claude-Champagne avec mes parents. (Les temps ont bien changé.) Quand mon père avait particulièrement aimé un programme, il l'enregistrait quand il repassait quelques semaines plus tard à la radio et le réécoutait. Je pense encore notamment à un récital de Raoul Sosa.


16. Quel est ton endroit préféré au monde?

Pourquoi se limiter? Celui que je n'ai pas encore découvert, tiens. S'il est sur le bord de l'océan, déjà, j'aurai du mal à l'oublier.


17. Un endroit que tu aimerais visiter?

Je rêve depuis l'enfance de Tahiti et Bora-Bora, depuis le visionnement d'une minisérie sur le peintre Paul Gauguin. Mais il me reste aussi tant de villes musicales à visiter: Vienne, Salzbourg, Prague, Leipzig...

18. Parle-nous de quelque chose qui te rend complètement folle en ce moment.

Le désengagement. On PEUT - doit - changer le monde... un geste à la fois!

19. Si tu pouvais posséder instantanément quelque chose, rien qu'en claquant des doigts, qu'est-ce que ce serait?

Une vieille (mais parfaitement fonctionnelle)
Westphalia, idéalement avec des fleurs sur le côté. Si je suis très peu camping (les moustiques m'aiment trop pour que ce soit agréable), j'aime bien l'idée que je pourrais m'arrêter où et quand je veux, y dormir une nuit, une semaine, un mois... comme un personnage d'un roman de Jacques Poulin!

20. Qui tagues-tu?

Si vous vous sentez inspirés, n'hésitez pas!

mercredi 12 août 2015

Quelques pas dans l'éternité

« Plus le temps passe et plus je me persuade qu’écrire équivaut pour une bonne part à chanter. Les livres dont je me rappellerai seront ceux qui m’ont bercé. Tous les autres sont oubliables, parce que je ne parviens pas à en retrouver le refrain. » 
Jean-François Beauchemin est sans aucun doute un auteur dont on se rappelle la voix, la petite musique. Se concentrant sur l'émotion plutôt que sur le geste, sur l'observation plutôt que l'action, il plonge en lui-même - et en nous-même par extension - comme peu acceptent de le faire, avec une simplicité indéniable, avec une délicatesse innée, mû par une quête constante non pas de la vérité, mais du sens.
« Écrire m’a en quelque sorte sauvé de Dieu, puisque je me suis aperçu que je disposais avec les mots de tout ce dont j’avais besoin pour m’apaiser, me recueillir, me donner de l’espoir et surtout pour donner un sens à ce monde qui en lui-même n’en a pas. » 
Dans Quelques pas dans l'éternité, il nous offre le rare privilège de l'accompagner pendant un an, au jour le jour ou presque, alors qu'il consigne dans son journal non pas tant son quotidien (ses trois ou quatre pages écrites chaque matin dans son bureau, ses promenades avec son chien, ses conversations avec la douce Manon qu'il aime comme au premier jour, le passage de ses amis) que des réflexions sur le geste même d'écrire, sur la société qui est la nôtre (dont il a choisi volontairement de se retirer en habitant à la campagne), sur sa quête d'une spiritualité distincte de la religion, sur le travail de ses confrères, sur la cohabitation entre vie et mort.

Une lecture qui nous force à arrêter le temps, à relire certaines phrases, mais aussi à fermer ce cadeau, histoire de mieux plonger dans le monde qui nous entoure, sentir le pouls de cette vie en constante évolution, de notre être en perpétuelle mutation.
« Je ne veux pas dire que la vie réelle est dans les livres; elle n’y est pas. Ce qu’on y aperçoit, c’est son ombre, ou son souvenir. Mais cette ombre et ce souvenir doivent y être en entier, et ce n’est pas en s’éloignant des jardins, en détournant le regard des étoiles lointaines ou en oubliant d’aller à la rencontre des hommes que l’écrivain parviendra le mieux à dresser ce fuyant portrait. » 

dimanche 9 août 2015

Simplicité volontaire

Tiens, un rescapé des vieux cartons...


Le premier million avait été le plus difficile à amasser. Après, je suis devenu simple témoin des tableaux de progression qu’on me faisait suivre sur mon téléphone intelligent, entre deux réunions avec mes vice-présidents. Légèrement désabusé par la routine, j’avais accepté la suggestion de mon coach de vie de m’inscrire à cet atelier de croissance personnelle donné par un des bonzes du mouvement. « Simplicité volontaire » : trois jours hors du temps, d’exercices destinés à briser les égos, de pistes pour apprendre le dépouillement.

Quand Robert est arrivé avec la limousine, je savais ce qu’il me restait à faire. En trente minutes, j’avais revendu la majorité de mes actions, transféré mes avoirs au nom de ma femme et de mes enfants, mis mes deux résidences secondaires en vente, cédé mes toiles de valeur au musée. Quand Élisa est rentrée de Monte-Carlo le lendemain et que je lui ai expliqué que nous partirions à l’aventure sur notre voilier, elle m’a ri au nez.

Quinze minutes après, elle me jetait dehors, avec le contenu d’un sac Vuitton pour tout bagage. Une nuit dans la rue et on m’avait battu, tout volé : rêves, argent, identité.


Dites, vous auriez pas un peu de monnaie?


jeudi 6 août 2015

Bach au Parc Lafontaine

Un après-midi paresseux d'été, quand le temps oscille au gré du vent et des vaguelettes dansées par les pieds qui clapotent dans l'étang. Les citadins ont pris possession du parc Lafontaine, l'utilisent pour échanger, lire, dormir, oublier qu'à quelques dizaines de mètres à peine, la métropole continue à s'agiter frénétiquement.

Ils sont deux, qui se retrouvent enfin, exaltés par l'instant. Ils rigolent comme des adolescents en contemplant cette dame d'un âge certain qui semble vouloir apprivoiser un des canards placides, s'attendrissent quand le chien attend patiemment que sa balle revienne près du bord. Il glousse quand le petit homme se lève du banc qui l'accueillait et fonce vers un ailleurs d'une démarche chaloupée de top-modèle. Elle remarque le vieillard en chaise roulante, vêtu de l'horrible chemise de nuit verte, en permission, qui fait le tour du parc le sourire aux lèvres avant de retrouver lumière glauque et couloirs javellisés.

Les minutes se sont liquéfiées en heures avant que l'appel du glacier ne se fasse plus pressant. Ils reprennent le sentier quand, hypnotisés par le son d'une suite pour violoncelle de Bach, ils bifurquent. L'instrumentiste est assis sur un banc, son reflet se fondant dans l'onde alors que les notes s'effilochent dans la douceur d'une fin d'après-midi. À ses côtés, en apparence immobile, un badaud écoute, dans une pose qui rappelle les vases grecs anciens. Il n'ose troubler le fil de l'inspiration mais, de temps en temps, son corps oscille très légèrement au son de ces danses oubliées. De l'autre côté de l'étang, ils écoutent, ils observent. Les relents de musique les enveloppent, se fichent profondément en eux. En silence, ils reprennent la route.

lundi 3 août 2015

Bibliothèques... bis

Dans ma chambre d’enfant, il n’y avait que l’essentiel, du moins le croyais-je alors: mon piano, un bureau de travail qui me semblait drôlement imposant quand je m’y suis assise la première fois, un lit sous lequel je lançais les médicaments antirhume que je refusais systématiquement d’avaler, et une bibliothèque, construite par mon père. Je ne conserve qu’un souvenir plutôt flou de ce que j’y avais empilé. Un casier était vraisemblablement dédié à la Comtesse de Ségur, un autre (peut-être même deux) à mon encyclopédie Tout connaître et mon fidèle Dis pourquoi?, un dernier aux disques que j’écoutais fiévreusement. De ceux-ci, surgissent spontanément à ma mémoire Le petit prince lu par Gérard Philippe, La vie de Mozart de la collection du Petit ménestrel et Alice au pays des merveilles. À la fin de mon cours primaire, une section avait été envahie par deux gros dictionnaires, étranges – m’avait-il semblé alors – cadeaux d’anniversaire d’une tante traductrice à l’ONU. Au fil des ans, les partitions avaient grugé le reste, faisant dangereusement ployer les planches de bois bon marché, le banc de piano ayant démissionné très tôt devant l’impossibilité de les contenir toutes.


Le bureau m’a toujours suivie; j’y dépose maintenant mon ordinateur portable - même s'il n'est pas d'une hauteur idéale. Des piles de papiers sur lesquelles sont griffés notes, corrections, rêves, des disques et des pots remplis de crayons s’en sont emparé, le transformant en meuble beaucoup moins imposant. Le piano (un cousin en fait, plus Wolfie) sont dans la salle de musique. L’étagère de mon enfance a rendu l’âme il y a plusieurs années déjà, remplacée par d'autres bibliothèques (suédoises), robustes. Dans l’une sont glissées – plus ou moins sagement et en ordre alphabétique relatif – mes partitions. Dans une autre, les biographies de compositeurs, les analyses d’œuvres, les traités d’orchestration et de composition. Dans une autre, élancée, j’y ai glissé mes dictionnaires – qui ne me semblent plus si étranges –, mes archives de journaliste. Sur le côté, punaisées sur un babillard fait main, des cartes d'amis, des souvenirs, mon essentiel macaron «Why be normal » et un texte, Essayez… c’est si facile!, publié jadis, dans lequel mon père livre ses conseils d’écriture journalistique. Et puis, bien sûr, il y a celles contenant les ouvrages littéraires, regroupés en ordre alphabétique par genres (québécois, autres, poésie, théâtre, essai, lettres allemandes) et l'inénarrable PAL, tout sauf ordonnée. 

Il faudrait bien que j'arrête d'aller à la bibliothèque, tiens, et que je lui fasse subir une (légère) cure de minceur!

vendredi 31 juillet 2015

Des emprunts

Je ne prends jamais de listes imprimées de mes emprunts à la bibliothèque, histoire de sauver du papier, consciente que je recevrai de toute façon un rappel deux jours avant l'échéance. Par contre, il n'y a rien que j'aime plus que de trouver les listes de titres empruntés par la personne ayant eu en main un livre avant moi. J'essaie toujours alors d'établir des correspondances, des liens entre ses choix, ce qui permet d'en apprendre un peu plus sur cet(te) inconnu(e) - dont le nom apparaît sur le bout de papier, mais qui ne révèle aucune importance.

J'aime aussi cette idée que toutes ces autres personnes ont touché ce livre avant moi (de la même façon, j'aime beaucoup être la première à mettre la main sur une nouveauté, tout juste arrivée), que leurs lectures, mais aussi leurs vécus, leurs intérêts, se mêlent à ma perception du livre, la teinte peut-être sans que je ne m'en rende compte, que moi aussi je laisse une part de moi dans ces pages, qu'elles aient été lu dans les transports, dans le jardin, en vacances.

Il y a quelque chose de troublant dans cet acte de partage, intime de par sa nature même (il n'y aura jamais personne d'autre que l'auteur et le lecteur dans cette relation, sauf bien sûr si on choisit de faire la lecture à haute voix à un ami ou un amoureux), quelque chose d'universel qui nous lie les uns aux autres autrement.

lundi 27 juillet 2015

Sept d'un coup

Ah, le bonheur des weekends sans rendez-vous, quand le soleil est de la partie... Certains fuient le brouhaha de la ville. J'ai plutôt choisi de voler du temps au temps, bien installée dans mon jardin, malgré les rénovations d'un voisin. Le décompte: trois BD, trois pièces de théâtre et un roman, dernier achat impulsif effectué à ma librairie indépendante préférée il y a deux semaines.

Côté BD, trois styles tout à fait différents. My Depression d'Elizabeth Swados (auteure encensée sur Broadway) n'est en rien sombre et glauque, malgré ses dessins en noir et blanc. L'auteure revient sur une de ses chutes, avec tendresse, humour, de façon rassembleuse. On sourit souvent et on retient certaines choses pour mieux soutenir un ami la prochaine fois.
Belle découverte que celle de Minimax, charmant personnage de François Donatien, musicienne dans un groupe punk-rock le soir, à la maîtrise le jour, fan de vinyles. On s'attache en quelques secondes à l'échevelée aux grosses lunettes carrées et apprécie le trait de crayon alerte.
Autre palette entièrement pour Love in Vain, qui se veut une biographie en noir et très peu de blanc de la vie du bluesman Robert Johnson. On se perd dans la contemplation des dessins (presque des eaux-fortes), en apprend plus sur la vie du musicien, referme le livre avec l'envie de l'écouter (surtout qu'un songbook a été intégré à la fin, avec traductions mêmes pour les moins fluides dans la langue de Shakespeare). Un très bel album!

Si j'ai négligé depuis quelques semaines les salles de théâtre, cela ne m'a pas coupé l'envie d'en lire: trois voix qui ont fait leur preuve, dans des registres très différents. Je n'aurais jamais pensé à Michel Marc Bouchard comme à un auteur léger. Les papillons de nuit relève assurément du théâtre d'été, avec multiplication des quiproquos et portes qui claquent (ou presque, la mère ayant décidé de cirer le plancher du chalet loué, ce qui force tout le monde à rester dehors, de la fille policière aux frères échappés de prison et à l'entomologiste homosexuel). Cul sec de François Archambault se veut un portrait sans concession d'une certaine jeunesse désabusée, à travers l'histoire de trois amis dans la mi-vingtaine partis pour une moyenne soirée de brosse. Finiront-ils par se réveiller avant qu'il ne soit trop tard? L'alcool coule aussi à flots dans Oublier de Marie Laberge, une de ses pièces les plus montées. Quatre sœurs, la maison familiale: un huis-clos étouffant (l'ombre de la mère atteinte d'Alzheimer plane sur toute la pièce), comme on le voit souvent au théâtre, mais rendu avec beaucoup d'habilité. De quoi regretter Marie Laberge la dramaturge...

Je me suis finalement plongée dans L'amour est une île de Claudie Gallay qui se passe au Festival d'Avignon, cet été fatidique ou les grèves d'intermittents avaient paralysé l'événement. On y suit Odon, propriétaire d'un petit théâtre, qui n'a jamais réussi à oublier Mathilde, devenue vedette de la scène, les comédiens de sa troupe, l'attachante Isabelle qui a vu passer tous les grands chez elle, sans oublier Marie, la sœur de cet auteur mort quelques jours après avoir envoyé son manuscrit, dont on monte enfin une pièce. Là aussi, on étouffe, autant sous la chaleur que sous le poids des secrets, l'écheveau se dénouant habilement jusqu'au punch final.




vendredi 24 juillet 2015

Constellation

J'ai toujours tendance à me méfier des livres auréolés de prix. Trop de déceptions sans doute au fil des ans. Je fréquente aussi très peu les biographies, romancées ou non, ou encore les reconstitutions de faits. Je préférerai toujours là-dessus un documentaire, surtout s'il est monté avec souffle. J'ai donc hésité quand j'ai trouvé sur les tablettes de ma bibliothèque le premier roman d'Adrien Bosc, Constellation, qui nous fait revivre l'écrasement du F-BAZN d'Air France, dans l'archipel des Açores, dans la nuit du 27 au 29 octobre 1949. Certains fans de boxe ou de Piaf se rappelleront peut-être que Marcel Cerdan était à son bord, mais on a aussi perdu cette nuit-là la violoniste Ginette Neveu et son frère Jean, qui s'apprêtaient à donner un récital au prestigieux Carnegie Hall de New York.

Les vies de ces trois célébrités ne valent bien sûr pas plus que celle des 45 autres victimes (dont un journaliste québécois) et c'est là que le roman de Bosc, entre travail d'investigation d'un grand sérieux (on sent dans l'attention portée aux détails le nombre d'heures investies en recherche) et fiction pure, se révèle particulièrement brillant.

On s'attache à cette jeune Amélie Ringler, bobineuse dans une usine de textile se dirigeant vers Detroit, sa marraine fortunée lui ayant laissé un héritage conséquent, à ces bergers basques cédant à l'appât du « rêve américain », à Kay Kamen, celui à qui on doit la commercialisation des produits dérivés Walt Disney. « Entendre les morts, écrire leur légende minuscule et offrir à quarante-huit hommes et femmes, comme autant de constellations, vie et récit. »

Chaque chapitre se lit comme un mini-roman (ou prémisse de), chaque segment offrant un éclairage autre sur la tragédie, comme autant de fragments d'un kaléidoscope complémentaires, mais qui n'apportent pas de réelle réponse. Saura-t-on un jour exactement ce qui s'est passé cette nuit-là? Probablement pas. On se rappellera par contre de l'atmosphère si particulière de cet ouvrage d'Adrien Bosc, en espérant que le prochain soit aussi abouti.




mercredi 22 juillet 2015

Journal de Julie Delporte

Ma bibliothèque offre depuis quelque temps un espace BD distinct à l'étage des nouveautés, une bien belle idée pour découvrir des romans graphiques notamment. Julie Delporte offre avec ce Journal (disponible en version anglaise chez Koyama Press, en français chez L'agrume) un objet étonnant, d'apparence bricolée (on voit même certaines des marques d'autoadhésif utilisé), dépouillée (quelques mots tout au plus par page), pourtant d'une grande puissance.

La narratrice se sert de ce journal graphique, réalisé au crayon de couleur (ce qui donne une fausse apparence de dessin enfantin, alors que le geste est assurément maîtrisé), pour mettre derrière elle une relation amoureuse. Au fil des pages, elle mentionnera de moins en moins souvent V, les entrées seront plus espacées, signes d'une convalescence assumée si évidemment pas toujours aisée, qui mènera notamment l'auteure de Montréal au Vermont, alors qu'elle complète une résidence d'écriture.

On a lu des centaines de déclinaisons d'histoires de rupture, bien sûr. Pourtant, celle-là, par sa forme même, sort des sentiers battus, nous permet d'apprivoiser autrement le propos, de comprendre aussi combien une expérience malheureuse peut servir de levier à un projet créateur cohérent, le personnel ici devenant universel, le je de l'auteure se démultipliant en un essentiel nous.

dimanche 19 juillet 2015

L'haleine de la Carabosse: la catharsis par les contes

Les contes se prêtent aux relectures, aux réinterprétations. Ils nous aident à apprivoiser l’innommable, les blessures, les peurs, permettent parfois l’émancipation. C’est du moins ce qu’espère Ève, la narratrice de L’haleine de la Carabosse, roman à clés autant que d’apprentissage
Certains souhaiteront peut-être recenser toutes les allusions, directes ou indirectes, à ces légendes qui ont bercé leur enfance. Il s’en suivra une lecture inutilement fractionnée, qui freinera l’élan de ce récit qui, même s’il semble s’articuler autour de constants retours en arrière, mène indéniablement son héroïne vers l’avant, vers la nécessaire libération.
Les contes notés par le père dans son album comme les pans de l’histoire familiale dévoilés au fur et à mesure deviendront autant de petites pierres blanches que l’on sème non pas pour retrouver un passé que l’on recompose de toute façon au fur et à mesure que pour se délester de poids en apparence inconséquents, dont la somme finit par entraver l’avancée.
« Un homme qui ne pouvait être raconté que par d’autres était un homme mort », soutient la narratrice. On serait au contraire tenté d’alléguer que le geste même du récit – qu’il soit fictif ou non importe peu ici –, le maintiendra vivant.
« On rejoue sur ces mythes issus des contes.
On les collectionne comme des pièces honteuses. On les cache. On les barricade dans les musées.
Ça nous reste dans la peau, dans la tête, comme un ver d’oreille. » Un peu comme ce premier roman de Marise Belletête…

vendredi 17 juillet 2015

La marchande de sable: une voix, une vraie

Nous avons très rarement affaire à une voix, distincte, précise, unique; une voix que l’on reconnaît en quelques pages à peine, même si on ne l’a croisée qu’une seule fois auparavant, il y a sept ans de cela déjà. Katia Belkhodja indéniablement est de celles-là. Elle ne fait pas partie de ces romanciers interchangeables qui privilégient une approche formatée du récit. Au contraire, elle se révèle une auteure exigeante, pas tant dans le choix des termes que dans la manipulation même du fil narratif, le lecteur devant faire rapidement fi des codes qu’il considérait acquis pour adopter un rythme différent, sans se laisser démonter par une compréhension d’abord diffuse du propos. Il voudra peut-être reprendre sa lecture du début – la longueur s’y prête –, céder autrement à ces allégories relevant presque du mirage.
Froideur du désert autant que des étendues de glace, ville en mouvement constant qui déstabilise ses habitants, paroles qui ne réussissent jamais à s’affranchir, regards qui figent l’autre dans ses derniers retranchements; ici, temps et espace deviennent synonymes de flou, les images s’affrontent, portées par une langue à l’oralité trafiquée, qui multiplie les détournements, proche de l’incantation. Dans ce lieu fantasmé, on pend les absents, sectionne une part essentielle de soi pour résister à l’envahisseur, mais on continue de croire à la puissance de l’amour, de la vie.
« Peut-être qu’ils s’étaient consommés encore comme des desserts au chocolat avant de séparer leurs peaux l’une de l’autre, les peaux suantes qui refusent et qui finissent par obéir et par se décoller, lentement, avec la tentation, toujours, du raccrochage des peaux et des membres ensemble. »
On voudra assurément y retourner, s’y perdre, s’y découvrir autre.

mercredi 15 juillet 2015

Marise Belletête recrue de juillet

« Lui, peut-être, peut-être qu’il le savait, peut-être qu’il devenait peu à peu un conte pour les autres en oubliant de se plier au réel, en égratignant les souvenirs, en confondant les noms. Par l’écriture, qui rafistolait sa mémoire, il comblait les trous intimidants dans lesquels il craignait de s’abîmer. Tout devenait fiction. Tout devenait vérité. Il se reconstituait au plus vite. Jusqu’à ce que cela devienne vain et lui fasse plus de mal que de bien. »
Les contes jouent un rôle clé dans L’haleine de la Carabosse de Marise Belletête, notre recrue ce mois-ci. Ils permettront notamment à sa narratrice, Ève, de s’émanciper de l’emprise oppressante de sa mère et d’apprivoiser les ombres laissées par ce père parti jadis aux quatre coins du monde transcrire dans son journal les histoires des autres, celles que l’on se raconte le soir au coin du feu, pour oublier notre quotidien, mais aussi pour mieux se comprendre.
Dans son deuxième roman, La marchande de sable, notre ancienne recrue Katia Belkhodja use d’un stratagème semblable, détournant l’essence même de la conteuse Shéhérazade. La fable qu’elle nous propose, qui peut évoquer le désert aussi bien que les grands espaces gelés, favorise les interprétations multiples, une lecture presque contre le grain du texte.
Play Boys de Ghayas Hachem lui aussi s’amuse à détourner les frontières entre les univers, jeu et réalité, guerre réelle et fantasmée. Comme ces adolescents, le narrateur de Même ceux qui s’appellent Marcel de Thomas O. St-Pierre semble à première vue désabusé, en quête d’une identité qu’il peine à cerner. Il est intéressant de juxtaposer son destin à celui de l’héroïne d’un premier roman mythique, L’avalée des avalés de Réjean Ducharme. Bérénice aussi se révoltait contre les horreurs d’un monde qu’elle considérait en perdition. Les temps ont-ils tant changé au fond? Ces titres ont été lus par deux nouveaux collaborateurs, Normand Babin et Charles-David Tremblay, que je me réjouis de voir rejoindre notre équipe de passionnés. Bienvenue à vous deux!
Juillet est synonyme pour plusieurs de vacances. Vous pourrez également choisir de vous évader avec Les Inuits résistants! d’Anne Pélouas, entre essai et récit d’aventures, ou à travers les haïkus du recueil Soupçon de lumière de Danielle Delorme, autant d’instantanés nous rappelant la merveilleuse fragilité de cette vie qui trop souvent nous échappe.

lundi 13 juillet 2015

Bach

« Là, le Concerto pour violon en la mineur, puis celui en mi majeur ont existé pour la première fois. Dans l’âme émerveillée de la petite fille, qui n’avais jamais entendu que du rock & roll et du country, s’est élevé quelque chose comme l’espoir, comme une lumière qu’elle n’avait jamais imaginée. Elle s’est dit : « C’est Dieu. C’est Lui. Il me parle à moi. Il me parle! » Et quand le disque a été fini, elle a prié, d’une voix transfigurée, oubliant la redoutable jointure de madame Dubé : 
- Encore, oh! Encore! » 

Marie Christine Bernard, Autoportrait au revolver 

samedi 11 juillet 2015

Duels

Photo: Lucie Renaud
Il ne reste que quatre représentations de ce spectacle gratuit, présenté à 19 h et 22 h, Place Émilie-Gamelin. De belles trouvailles, des images splendides et une utilisation maximale des lieux, les numéros étant présentés aussi bien au milieu du public que sur le toit du métro, dans les airs ou sur la scène centrale.

Photo: Lucie Renaud
Ceci conclut ma couverture de cette édition haute en couleurs du Festival Montréal Complètement Cirque.

Mon top 3 (cliquez sur les liens pour mes critiques):

1 - Le pianiste
2 - Beyond
3 - Machine de Cirque
Photo: Lucie Renaud

vendredi 10 juillet 2015

Quien soy?: gars de la construction

Un cube en bois géant, qui s'évide, se déconstruit, permet d'ériger de nouvelles structures au fur et à mesure. Une contrainte imposée - comme l'était la chaleur extrême dans Warm, présenté il y a quelques jours -, mais un plaisir évident à la transcender. Au fil du spectacle, ces formes deviendront escaliers, tours fragilisées rappelant le jeu de Jenga qui servent de points d'appui, trame sur laquelle projeter des images de gratte-ciels (moment particulièrement magique), boîtes gigognes, tables sur lesquelles jouer aux dés ou tirer au poignet, inspirations pour une série de figures acrobatiques réussies.

Leçon d'architecture certes, mais surtout de poésie, dans laquelle la complicité entre Edward Aleman et de Wilmer Marquez est toujours évidente. Que leurs corps semblent vrillés l'un à l'autre, que les équilibres défient la gravité, que les deux complices bondissent sur un trampoline dissimulé au cœur d'une des structures, on les sent toujours liés, profondément, par leur enfance passée en Colombie, leur perfectionnement en France, à la fois déracinés et profondément ancrés dans un langage commun, développé depuis plusieurs années. Une façon plus intérieure, volontiers méditative, de concevoir le main à main, qui marque assurément les imaginaires.

Jusqu'au 12 juillet au Théâtre Outremont

jeudi 9 juillet 2015

Machine de cirque: l'humanité avant tout

Les attentes se révélaient énormes pour ce premier spectacle éponyme de Machine de cirque et elles n’ont pas été déçues. Scénographie inusitée sans être envahissante, performances exceptionnelles de quatre artistes circassiens aux personnalités fortes (Yohann Trépanier, Raphaël Dubé, Ugo Dario et Maxim Laurin), intégration particulièrement réussie du multiinstrumentiste Frédéric Lebrasseur, dramaturgie cohérente qui incorpore aussi des moments de pure poésie : tout fonctionne parfaitement ici, a été réfléchi, peaufiné, rodé au quart de tour, nous mène irrévocablement vers l’apex.

Pour lire le reste de ma critique, passez chez Jeu...

mercredi 8 juillet 2015

Entre deux eaux: soirée entre amis

La Barbotte. Trois artistes de cirque. Trois parcours différents, néanmoins complémentaires. Le Suisse Philippe Dreyfuss et le Péruvien Gonzalo Coloma ont étudié à l’École nationale de cirque. Le Québécois Andy Giroux s’est perfectionné à Moscou et avec Cirkus Piloterna en Suède. Trois amis qui avaient toujours rêvé de monter un spectacle ensemble, mais qui faute de temps – chacun s’étant produit dans une trentaine de pays avec des compagnies prestigieuses –, n’avaient pu jusqu’ici voir le projet se concrétiser.

Pour lire le reste de ma critique, passez chez Jeu...

mardi 7 juillet 2015

Ruelle: vies parallèles

Photo: Rolline Lapointe
La ruelle... lieu mythique qui permet aux enfants de se retrouver entre eux, de jouer au hockey, à la marelle, à la corde à sauter, aux plus vieux de créer des liens. Lieu intermédiaire aussi, entre l'être et le paraître, entre celui que nous sommes dans le confort de notre appartement et celui que nous devenons, une fois notre armure revêtue. Lieu parfois louche, les petits truands y faisant la loi ou y cherchant quelque sensation forte. Si la scénographie de Ruelle rappelle d'une certaine façon les balcons arrières des romans de Michel Tremblay, il faut plutôt penser au film Rear Window, juxtaposition de la légèreté amoureuse et de violence latente ou assumée.

Cela donne lieu à de très belles images (la folie du déménagement en début de spectacle), les regards échangés entre la chanteuse Marie-Élaine Thibert (qui se révèle à la hauteur, aussi bien vocalement que dans les numéros d'acrobatie) et son voisin victime d'un accident (alter ego du metteur en scène Jeffrey Hall, qui a vu se dessiner ce spectacle alors qu'il était immobilisé après une chute), les amoureux qui se courtisent sur les cordes à linge, les escaliers que deux artistes enveloppent de draps blancs... Impossible d'oublier le numéro de tissu de Nadine Louis, le drap qui l'enveloppe donnant l'impression d'être une chrysalide (on peut ici y lire une métaphore de l'adolescente prenant son envol) ou ceux de sangles d'Ugo Laffolay, force et poésie s'y juxtaposant adroitement.

Souhaitant offrir une proposition entre théâtre physique et cirque, soutenue par une trame sonore essentielle, Jeffrey Hall a peut-être voulu nous en mettre trop plein la vue. Ainsi, quand il superpose trois groupes de fildeféristes à des mouvements au mât chinois, l’œil ne sait plus où se fixer, perd fatalement un mouvement ou l'autre, parfois spectaculaire. Il faudrait revoir le spectacle plus d'une fois pour en extraire toutes les strates. Si le fil narratif, même si lâchement noué, soutient assez bien le propos au départ (apprivoisement des diverses personnalités, dualité entre intérieur et extérieur des appartements, perceptions erronées que l'on peut entretenir par rapport à l'un ou l'autre), on se perd ensuite entre la projection d'extraits de Rear Window des draps suspendus, celle des photos de participants sur les murs de côté et la montée très rapide, presque explosive, vers la violence brute. (Tel qu'indiqué sur le site du festival, le spectacle est pour un public de 15 ans et plus.) Celle-ci se résout un peu trop facilement en une scène de tai chi collective printanière menée par Bailey Eng sur fond des Béatitudes de Martynov. Le spectacle s'épurera vraisemblablement au fil des représentations, rendant le propos plus intelligible et permettant à la beauté de l'objet de se révéler entièrement.

Jusqu'au 9 juillet à l'Usine C

lundi 6 juillet 2015

Le pianiste: alla bravura

J'attendais avec beaucoup d'impatience cette proposition de la compagnie finlandaise Circo Aereo, coup de cœur au Festival Fringe d’Édimbourg l'année dernière en prime. Comment résister en effet à un personnage de pianiste devenu clown maladroit, surtout quand il est transmis avec autant de brio par le Néo-Zélandais Thomas Monckton!

Le pianiste en queue-de-pie ne réussira à sortir des coulisses qu'à travers un minuscule trou dans le rideau de velours, se cognera dans le lustre à quelques reprises avant d'adopter un autre parcours, tombera en bas du piano car la couverture qui le recouvre  - très poussiéreuse - est trop glissante, aura besoin d'aide pour remonter sur scène, ira à la chasse aux la - si - do aigus sur ses partitions, le couvercle ayant été brisé quand Monckton l'aura forcé, finira par dégager celui-ci grâce à une des pédales du piano qui sert de levier. Cela fait rire, beaucoup, jeunes comme moins jeunes. La dame à ma gauche s'exclamait avec autant d'enthousiasme que la petite fille tout juste de l'autre côté de l'allée.

Cela serait sans doute suffisant pour passer un agréable moment, mais c'est dans les détails qui s'accumulent que Le pianiste se révèle véritablement brillant. Thomas Monckton et la metteure en scène Sanna Silvennoinen possèdent tous les deux un vocabulaire circassien développé, qui va bien au-delà de la grimace et des mouvements excessifs du corps. Des éléments d'acrobatie, de jonglerie, d'équilibre, de contorsion, de trapèze, de nanodanse, de corde lisse et de mystification sont intégrés au fil des tableaux à la trame narrative - le pianiste finira-t-il enfin par pouvoir jouer un extrait de la Ballade no 1 de Chopin? On trouvera aussi des références au cinéma muet et au western (on ne verra plus jamais les lutrins ornés de la même manière!) et on prend plaisir à voir détournés tous les codes associés en général au concert classique: les rideaux de velours, le lustre de cristal, les souliers vernis, les bas de couleur, le queue de pie (plus flamboyant que d'habitude), la posture rigide du pianiste qui entre en scène, l'égo parfois surdimensionné de ce dernier (savoureux combat avec l'éclairagiste qui refuse de collaborer), la musique de Chopin, les maniérismes...

Tout cela s'enchaîne avec grand naturel (avec quelques retours en arrière qui agissent comme autant de ponctuation), porté par la maestria et le charisme indéniable de Thomas Monckton qui, dès les toutes premières secondes, séduit le public qui devient complice plutôt que simple témoin. Une nouvelle preuve du pouvoir universel de la musique!

À voir au Centaur d'ici au 9 juillet!

vendredi 3 juillet 2015

Beyond: y croire

Photo:Agence QMI
Même si chacun des spectacles de la compagnie australienne Circa aborde une thématique différente, possède une couleur distincte, tous sont liés par une même signature, indéniable. Que le fil narratif soit apparent (comme dans Opus) ou se lise comme une superposition de liens en apparence plus ténus comme dans Beyond, impossible de résister aux mises en scène de Yaron Lifschitz qui n'hésitent pas à débouter les mythes. On pourra ainsi considérer Beyond comme un spectacle féministe, la femme agissant plus souvent qu'à son tour comme porteur, que grimpent sur ses épaules un puis deux hommes alors qu'elle est affairée à résoudre le Cube Rubik, qu'elle supporte le poids d'un partenaire alors qu'elle est sur pointes ou que celui-ci marche sur ses jambes alors qu'elle se trouve en position de grand écart renversé.

Beyond n'est toutefois pas une démonstration de force - même si celle des interprètes reste indéniable. On nous invite plutôt à plonger dans un entre-deux, entre réalité et rêve, à retrouver cette part d'enfant enfouie (souvent trop profondément) en nous, l'émerveillement que l'on peut ressentir quand on ouvre un coffre de jouets et que nous avons l'impression que nos peluches sont dotées d'une vie bien à eux.

Photo: Agence QMI
Que l'on tente de se réveiller d'un cauchemar traumatisant (numéro de chutes calibrées qui se transforme en moment de grande beauté quand l'artiste exécute des figures avec une simple feuille de papier), que l'on soit dans la franche rigolade (délire animal des protagonistes ou jonglerie doublée de contorsion avec balles et raquette de tennis) ou dans la magie pure (sangles aériennes doublées de contorsion ou encore numéro de ruban alors que, dans les premiers instants, l'artiste donne l'impression de grimper à une voile) importe peu ici: le rêve sert assurément de fil conducteur. Détaché de la réalité, on se laisse fasciner par ce qui se passe sur scène, en oublie même de respirer ou d'applaudir, histoire de ne pas briser la concentration de l'interprète parfois (comme dans ce numéro d'équilibre les yeux bandés, les cannes étant disposées à des hauteurs différentes), le plus souvent par peur de briser le sortilège.

Portés par une musique souvent rétro, qui accentue le côté décalé, voire surannée, de la proposition, les numéros se déploient, non pas par paliers - chaque prouesse déclassant la précédente -, mais avec une grande fluidité. Même quand ils accomplissent des choses en apparence impossibles (du moins, pour le commun des mortels), les interprètes le font avec une telle aisance que nous pouvons nous identifier à eux. Ne souhaitons-nous pas tous laisser notre animal intérieur s'exprimer, porter des têtes d'animaux plutôt que notre masque policé ou nous défaire d'un costume bien trop encombrant comme ce nounours tentant de grimper au sommet du mât chinois? Un instant, fugace, nous aurons l'impression de ne faire qu'un avec eux, de pouvoir faire fi de l'absurdité du quotidien, de
prendre avec eux notre envol.


Jusqu'au 5 juillet à la TOHU.

jeudi 2 juillet 2015

Gloire et déchéance des grandes puissances

« Les gens conservaient leurs livres, songea-t-elle, non pas parce qu’ils avaient le projet de les relire, mais bien parce que ces objets étaient les dépositaires de leur passé – la texture du moi à une époque et à un endroit donnés, chaque volume une fraction d’un intellect, que l’ouvrage ait été aimé ou détesté, ou qu’il ait provoqué un vaste dodo dès la page quarante. Les gens avaient beau être prisonniers de leur tête, ils passaient leur vie à tenter de s’échapper de cette pièce close. C’est pour cette raison qu’ils avaient des enfants et souhaitaient posséder un lopin de terre; c’est aussi pour cette raison que, après un long voyage, rien ne valait la sensation de retrouver son lit. » 
J'avais adoré le premier roman de Tom Rachman, Les imperfectionnistes, opus particulièrement brillant qui nous plongeait dans l'effervescence d'une salle de rédaction. Impossible donc de ne pas jeter un coup d’œil à celui-ci, malgré une couverture plus ou moins attrayante.

Aucun doute, on reconnaît la plume incisive de Rachman, qui adopte de nouveau une narration fragmentée qui nous fait passer au fil des chapitres en 1988, 1999 (au moment charnière du basculement vers l'an 2000) et 2011. Le passé de Tooly, une sympathique et lunatique libraire, se révèle par à-coups - parfois même par coups d'éclat -, nous fait voyager à Bangkok, à New York, au Pays de Galles, en Irlande, en Italie. Ballottée d'un lieu à l'autre, incapable d'établir des liens affectifs durables (parents et adultes signifiants dans sa vie n'ont certes pas prêché par l'exemple), elle cherche à se réinventer aussi bien qu'à se retrouver.

On a parfois l'impression que Rachman a visé trop grand ici, en choisissant d'intégrer de multitudes de réflexions philosophiques et politiques à la narration (déjà non linéaire) et en multipliant les lieux (ce qu'on retrouvait aussi dans son livre précédent). S'il faut parfois s'accrocher pour ne pas décrocher de ce roman de plus de 600 pages, le charme opère en grande partie grâce à une galerie de personnages plus grands que nature, auxquels on s'attache malgré leurs - nombreux - travers.