L’ambiance était festive hier lors de la soirée d’ouverture
de l’édition 2015 de Dramaturgies en dialogue, qui servait également de coup d’envoi
aux célébrations entourant le 50e anniversaire du Centre des auteurs
dramatiques. Ce n’est certes pas tous les soirs que cinq géants se retrouvent
sur une même scène! Avant que Jacques Godin, Andrée Lachapelle, Albert
Millaire, Monique Miller et Béatrice Picard prennent place derrière leurs
lutrins, une ovation monstre avait été réservée à ces pionniers de ce que l’on
appelait jadis le « théâtre canadien-français ».
Contrairement à plusieurs nouveaux diplômés du programme d’écriture
de l’École nationale de théâtre, Benjamin
Pradet Jeune n’a pas joué la carte de l’autofiction dans cette première pièce, 80 000 âmes vers Albany. Elle s’articule
en effet autour de cinq octogénaires. On s’attarde d’abord à leur quotidien, alors
qu’ils échangent quelques banalités, procèdent à leur toilette, mangent des
rôties, se moquent volontiers des propriétaires de la résidence, les Walker,
arborant même les couronnes des maîtres des lieux, bien sûr un château (de
Terrebonne). Les conversations en apparence sans importance permettent
néanmoins d’aborder la question de la mémoire (celle que l’on perd comme celle,
souvent plus éloignée, qui nous reste). « Tu te souviens de b’en trop d’affaires
que tu t’inventes », avance Pierre Pierre (Albert Millaire, convaincant),
un acteur sur le déclin qui montera pour la première fois sur les planches lors
du spectacle de Noël de la résidence. Et puis, à l’arrivée de Colette d’Orange,
fille de Mme Walker, le ton bascule et devient volontiers plus onirique. Nos
cinq larrons feront en effet une fugue, à dos de chevaux blancs (!) afin d’assister
à un mariage à Albany. « Un dernier voyage avant de rentrer », mais
aussi un dernier voyage avant de partir pour un au-delà aux contours
indéterminés. « J’fais tout ça pour pas pleurer », souligne Pierre
Pierre.
Il y a de très beaux instants dans cette pièce de Pradet et
certains débordent d’une indéniable poésie - « la forêt, c’est ma grosse
boîte de nuit » par exemple. On s’attache aux personnages et une série de
monologues bien intégrés feront la joie de leurs interprètes le moment venu :
une touchante lettre d’amour d’Henri (transmise avec une retenue presque
douloureuse par Jacques Godin) à sa chère Désirée (Monique Miller, le
boute-en-train du quintette), la superposition de certains éléments du Petit chaperon rouge aux souvenirs de
Gertrude (Béatrice Picard, d’une vivacité extraordinaire) ou le duo/duel entre Colette
d’Orange et sa fille (Andrée Lachapelle, stupéfiante, épousant les deux rôles).
On retrouve également de réelles longueurs dans cette mouture totalisant presque
deux heures. Si hilarantes soient-elles (tous s’en donnaient à cœur joie), la
scène du petit déjeuner de groupe et la partie de cartes s’éternisent
inutilement (une seule des deux pourrait être maintenue au final) et certaines
tirades auraient avantage à être élaguées. On voudra peut-être aussi ajouter
une densité supplémentaire au personnage d’Henri qui ne prend forme qu’à la fin
de la pièce.
Un auteur à surveiller!
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