Certains manipulent les mots comme des pierres précieuses. Ils les polissent, amoureusement, langoureusement, pendant des heures, éliminant toute scorie d'une phrase, d'un mot, d'une syllabe, pour n'en garder que la pureté de l'émotion, l'essence, la quintessence de l'instant.
D'autres manient les mots comme des roches. Ils les jettent à la tête de ceux qui passent, confiants, accueillants. S'ils les travaillent, c'est pour les affûter comme des lances, pour qu'ils blessent, qu'ils transpercent, qu'ils laissent des cicatrices. Parfois, on assiste à de curieux duels de mots, de vers, véritable surenchère d'épithètes, de contre-sens, de non-sens. On ouvre la main et on compte les mots comme on comptait ses billes autrefois dans la cour de récré, comme on collectionnait les filles dans les soirées, en bombant le torse, en se moquant du plus frêle, en ne faisant pas de quartiers.
D'autres encore sont démunis face aux mots. Ils les accumulent, les collectionnent, les regroupent, par sonorités, par couleurs, par odeurs, par pays d'origine, mais ils ne savent jamais quoi en faire exactement. Du bout des doigts, ils les font tourner au fond de leurs poches; du bout des lèvres, ils les font tourner dans leur gorge. Un jour, sans raison, ils deviennent trop lourds, trop encombrants. Deux doigts puis toute la main s'aventurent dans le magma, devenu indistinct babillage. Ils sont déposés sur une improbable ardoise, journal intime, carnet ouvert aux quatre vents, recueil de poésie, pavé, cailloux semés derrière soi, pour retrouver sa route, pour mieux se perdre.
Au milieu du fouillis, notre regard s'arrête sur un, puis un autre. On les dépose au creux de notre main, les fait tournoyer un instant, en cherchant à se les approprier une seconde, une journée, une saison... avant de les polir, de les affûter, de les ignorer, de les oublier.
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