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mercredi 17 février 2016

This is Opera: apprendre avec le sourire

J’ai découvert dans la dernière année seulement le plaisir - et la dépendance - que peut susciter le visionnement de séries télé, par le visionnement de Mozart in the Jungle, néanmoins lié à la musique classique, à classer dans la catégorie des « plaisirs coupables ». Je ne croyais pas cependant succomber de la même façon aux épisodes de This is Opera, une série documentaire espagnole créée, réalisée et animée par Ramon Gener.

Doté d’un indéniable charisme, ce polyglotte (ce qui lui permet de s’entretenir avec des spécialistes aussi bien espagnol qu’en anglais, en allemand, en italien ou en français) démystifie avec une aisance remarquable 15 thématiques par saison (2 tournées jusqu’ici, maintenant disponible en anglais) sans jamais tomber dans le populisme crasse.

Les informations que l’on pourrait considérer musicologiques (événements entourant la première de l’opéra, réception, analyse de motifs musicaux, etc.) côtoient des segments mettant en lumière des spécialistes des œuvres étudiés (historiens, interprètes, etc.) et d’autres auxquels prennent part des participants sans bagage particulier (des passants qui chantent les thèmes de Carmen sur une place, trois jeunes qui dessinent sur le Clair de lune de Debussy pour présenter la synesthésie, des étudiants de la réputé école de cinéma de Rome décortiquant les ressorts dramatiques de Tosca, un remix d’un air de Don Giovanni dans une discothèque branchée de Barcelone, etc.).

Jamais le ton ne tombe dans le dogmatisme, même s’il est évident que Genar maîtrise son sujet et s’entretient avec des spécialistes. (Les Montréalais retrouveront ainsi l’ancien directeur général du Musée des Beaux-Arts Guy Cogevel dans un segment sur l’impressionnisme.)

La série est tournée dans des décors souvent somptueux (la résidence de Salvator et Gala Dali pour l’épisode sur Tristan et Isolde par exemple), dans lesquels se glisse tout naturellement le Bösendorfer de Ramon Gener.

On aurait peut-être aimé des sous-titres quand on présente des extraits tirés de productions ou que l’émission sur Pelléas et Mélisande contienne plus d’extraits de l’opéra plutôt que des références à des pages plus « accessibles » de Debussy, mais rien qui n'ait entaché mon plaisir.  

Poursuivrai-je mon écoute de la première saison au fil des prochains jours? Absolument! 

Disponible en ligne.

lundi 30 mars 2015

TomPlay: de vraies partitions interactives

Peut-on marier adéquatement technologie et apprentissage de la musique classique? À en croire la récente application pour iPad de la société suisse Tombooks, assurément. Si Minus One offrait depuis plusieurs années déjà des accompagnements de concertos donnant l'illusion aux élèves de jouer avec un « vrai » orchestre, les limites de l'offre étaient évidentes. En effet, même si les partitions sont proposées avec deux CD, l'un à vitesse de concert, l'autre de travail, il faut admettre que même la deuxième option est souvent impraticable pour un élève moyennement doué, à moins de ralentir chaque section (on peut en retrouver une dizaine pour un seul mouvement de concerto de Mozart par exemple) individuellement avec un logiciel approprié. Lourd à gérer...

TomPlay au contraire permet de le faire avec une déconcertante facilité. Il suffit d'adapter la battue (l'icone métronome) dans l'écran d'accueil et en un clic, le tour est joué. En période d'apprentissage, on pourra aussi choisir d'intégrer une battue régulière à la lecture de la partition (qui défile en temps réel à l'écran un peu comme le ferait un logiciel de karaoké), le métronome intégré nous aidant à garder une pulsation bien régulière. L'apprenti pianiste pourra aussi choisir de ne garder que l'accompagnement orchestral ou même la battue, ce qui permet de rapidement en arriver à un tempo de travail cohérent. Détail non négligeable: l'accompagnement orchestral a été enregistré en live, ce qui ajoute une profondeur supplémentaire au rendu.

On peut personnaliser sa partition, en y intégrant ses doigtés ou toute autre indication pertinente (de nuances notamment) et l'imprimer. On accédera ensuite si désiré à la communauté des utilisateurs et déposera partition annotée ou enregistrement d'une exécution en particulier. Quelques conseils ciblés d'interprétation sont proposés en complément (on évoquera par exemple la théâtralité du concerto K. 488), même si l'on mentionne bien en introduction que rien ne remplacera jamais un contact direct avec un professeur d'expérience. 

TomPlay va encore plus loin dans l'étude de chacune des partitions proposées (pour l'instant, au niveau des concertos, on retrouve le K. 467 et le 488 de Mozart, ainsi qu'un concerto de Haydn et le Deuxième de Bach, mais plusieurs pages solo sont aussi proposées, dont la Sonate « à la lune ») en intégrant au produit une section « Auditorium - Comprendre », approche plus musicologique de l'oeuvre permettant de la cibler dans un corpus, mais aussi dans la vie du compositeur, avec photos et extraits audio. Ceux qui voudront s'inspirer par l'exemple ont aussi accès à quelques interprétations marquantes du concerto.

Le produit est soigné, attrayant, convivial et offert en français, anglais et allemand. Chaque application pour iPad ne coûte que 5,79 $ (4,99 €) et est également disponible en paquet de quatre (les deux concertos de Mozart, celui de Bach et celui de Haydn) pour 15,99 $, bien moins cher qu'une partition standard. L'offre sera augmentée au fil des prochains mois et on annonce déjà deux extraits des Scènes d'enfants de Schumann.

On peut accéder à la liste complète ici...

mercredi 25 mars 2015

Seymour: an Introduction

Ethan Hawke délaisse les planches et le grand écran pour passer derrière la caméra avec Seymour: an Introduction, un portrait particulièrement sensible du pianiste, essayiste, compositeur et pédagogue Seymour Bernstein. Quand l'acteur rencontre le musicien dans une soirée, il se sent instantanément attiré par l'aura de calme que celui-ci dégage et, presque malgré lui, évoque ce trac grandissant qui le tourmente et ses questionnements par rapport aux finalités de sa vie. Bernstein aussi est passé par là quand, à 50 ans, malgré une carrière éblouissante saluée par nombre de critiques dithyrambiques, il décide de se consacrer à l'enseignement pour fuir le trac, mais aussi la commercialisation à outrance de la musique.

Comme son contemporain Menahem Pressler (qui lui, a toujours continué de se produire en concert en plus d'enseigner), auquel il me fait penser à plusieurs niveaux, Seymour Bernstein est un pianiste intègre, qui a réfléchi en profondeur autant à la mécanique de l'instrument (alors qu'il explique par exemple à un étudiant qu'il n'a pas besoin de relever entièrement la touche pour obtenir un son plein) qu'à l'essence même de la musique. Il n'a pas peur de parler du côté artisanal de la chose et des liens qui s'établissent chez tout musicien entre travail à l'instrument et sur soi. « Vous devez apprendre à écouter, aussi bien votre moi intérieur que les autres », résume de façon magistrale un de ses étudiants. 

Ethan Hawkes a choisi de présenter un portrait en kaléidoscope du maître. Il évoquera par exemple l'amour qu'il porte depuis toujours à la Sérénade de Schubert, l'année de rêve que lui a offert une riche mécène et la Guerre de Corée (les larmes lui viendront spontanément) et les concerts qu'il a donnés avec un violoniste sur le front, son besoin inhérent de solitude. On le retrouve aussi discutant avec d'anciens étudiants (la plupart devenus pianistes professionnels), en train d'enseigner chez lui ou en cours de maître. Toujours, une douceur certaine, une écoute totale, qui permet de cerner en quelques secondes le problème, de proposer aussitôt une solution concrète. Il parlera aussi de sa passion pour la composition, de l'immuabilité de la musique. « La musique ne change jamais. Quand Beethoven a mis un si bémol, il y est pour toujours », rappelle-t-il. 

Si on hoche souvent la tête en signe d'assentiment, Bernstein n'est jamais aussi éloquent que lorsqu'il laisse le piano parler à sa place. Il nous offre une véritable leçon de maître, qu'il joue Schoenberg, Beethoven, Brahms (magnifique Intermezzo opus 118 no 2, Schumann (quelle lecture du dernier mouvement de la Fantaisie!), ses propres compositions ou devienne l'orchestre dans le Deuxième de Rachmaninov.

L'arc narratif du film n'est pas sans failles. On déplorera par exemple les deux apex successifs qui laissent le spectateur vaguement confus et les inutiles superpositions d'images ethnomusicologiques sur le Brahms (l'universalité de la musique est acquise à ce moment du récit). De la même façon, l'échange de Bernstein avec le gourou spirituel m'a semblé moins pertinent (mais a sans doute permis à Hawke d'orienter sa réflexion personnelle). Ce sont des irritants somme toute mineurs. Saluons au passage le montage attentif d'Anna Gustavi, le travail sur le son  d'Hollie Bennett et Matthew Polis (qui ont par exemple choisi de ne pas gommer les bruits de la rue new-yorkaise alors que Bernstein se produit dans le cadre d'un récital intime à la demande d'Hawke) et la tendresse indéniable du réalisateur pour son si inspirant sujet. 

Le documentaire est présenté en première le jeudi 26 mars à 20h au Cinéma Excentris, à l'occasion des séances mensuelles Docville, organisées par les RIDM. Il prendra l'affiche en programmation régulière vendredi. Courez-y.

mercredi 27 novembre 2013

Tout foutre en l'air

Simon Lanctôt est un passionné, de littérature, de transmission, de voyages, d'ouverture à l'autre. Il enseigne au Collégial, avec tout ce que cela peut supposer de désagréments (les bâtons dans les roues du système, la préparation à l'inéluctable Épreuve uniforme de française du Ministère), mais aussi de satisfaction (les étudiants qui le revoient deux ans après et lui confient avoir relu un livre, des travaux bien présentés, le plaisir de pouvoir parler littérature avec des collègues...).

Je me suis entretenu avec lui avec très grand plaisir il y a quelque temps (à écouter en balado ici) de ses Carnets d'un jeune prof, dans lesquels pendant un an il parle de littérature, bien sûr, mais aussi de tout ce qui l'empêche de vraiment n'être qu'un élément de transmission.

En partage, quelques passages qui ont particulièrement résonné en moi...

« Enseigner, j'aime ça. C'est l'école qui me tue. » (p. 22) 
« Je suis abattu et triste. Dans la deuxième partie du cours de ce soir, j'ai parlé des Lumières si vite que ça ressemblait plus à une éclipse. » (p. 28) 
« La société québécoise part souvent en croisade pour défendre le français, mais elle le fait trop souvent contre le mauvais ennemi, contre l'anglais et les anglophones, au lieu de s'attaquer à l'ennemi intérieur, c'est-à-dire notre manière approximative de nous exprimer... » (p. 107)
« L'éducation, c'est le rapport d'un peuple aux événements qui l'ont fondé, aux œuvres qui l'ont raconté, aux théories dont il s'est construit, aux sciences, aux techniques, aux métiers qu'il s'est appropriés - après tout, on ne peut enseigner que ce qui existe déjà, donc ce qui appartient au passé. C'est en enseignant l'histoire de nos relations avec les Amérindiens et en apprenant leurs cultures qu'on va réussir à construire notre pays avec eux, pas en se concentrant sur le commerce triangulaire. » (p. 208)

jeudi 17 octobre 2013

Concerto au sol: poétique et ludique

Athlète, analyste, poète, artisan, traducteur, devin: le musicien est bien plus qu'un tâcheron au service d'un compositeur tout-puissant. Et s'il devenait danseur (certains interprètes l'ont déjà trop bien compris et abusent de la gestuelle), mieux, que ses doigts se métamorphosaient en marionnettes, grâce à la chimie des maquillages? Voilà le parti adopté par le compositeur et artiste multidisciplinaire Félix Boisvert dans le très beau spectacle Concerto au sol, présenté ces jours-ci aux Écuries.

Ici, les mains de Boisvert et d'une quinzaine d'autres musiciens (par la magie des projections) deviennent personnages, muets mais éloquents, au service de la musique et de la poésie. Que l'on ait 7 ou 77 ans, soit professeur ou élève, professionnel ou simple mélomane, importe peu ici; chacun saura trouver une façon de s'approprier cette odyssée au cœur du son et de l'imaginaire, en tirer une lecture personnelle. Selon les tableaux, les phrases, on peut réagir aux sonorités ou à l'image, accepter d'être bouleversé ou rire à gorge déployée.

Rarement une proposition dite « pédagogique » m'aura paru aussi accomplie. Formé au Conservatoire de musique de Montréal, Félix Boisvert ratisse large et propose un voyage à travers les époques aussi bien que les continents et les genres, nous faisant passer, sans que cela ne semble jamais plaqué, de l'introduction du Concerto pour violoncelle de Dvorák en début de spectacle à un langage résolument contemporain, avec détours par un impressionnisme à la Debussy, le jazz, les musiques du monde, l'électroacoustique, le bruitisme. Peu importe les harmonies dans lesquelles elle se drape, la musique parle toujours au côté émotif du spectateur.

Celui-ci entendra les instruments de l'orchestre, le piano, les percussions, d'autres aux sonorités plus typées (dans un segment au distinct parfum hawaïen par exemple), d'autres traités électroniquement. Il découvrira les gammes pentatonique et chromatique. Il fera l'expérience de l'écoute stéréophonique, mais également quadriphonique. Il apprivoisera même un certain silence. Il cédera surtout sans retenue à cette magie des mains qui se démultiplient, planent, cherchent à reproduire le geste musical d'une autre (segment extraordinaire), s'inscrivent en contrepoint musical les unes des autres. Fasciné par le processus, il n'oubliera jamais entièrement que tout cela est produit par des humains (belle idée de Boisvert de réapparaître périodiquement, de rappeler aux plus jeunes sa présence), la technologie ici ne servant qu'à appuyer le propos, jamais à le dénaturer.

Ce spectacle doit être vu (vous avez jusqu'au 26 octobre pour le découvrir), tourner (dans le réseau des Maisons de la culture par exemple), voyager ailleurs dans le monde. Rarement des mains de musicien auront été si éloquentes.


mercredi 9 octobre 2013

Découvrir Denis Gougeon en s'amusant

La Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) a lancé son projet pédagogique Grand jeu / Grande écoute 2013-14 la semaine dernière. Cette année, pas moins de 25 000 élèves se verront proposer des activités de découverte autour du compositeur québécois Denis Gougeon, célébré cette année dans la série Hommage. (Plus de 250 concerts et activités auront lieu partout au pays au cours de la prochaine saison.)

Une bande dessinée a été lancée en même temps (je vous en reparle), signées Marie Décary et Élisabeth Eudes-Pascal, ainsi qu'un premier segment biographique sur vidéo.

dimanche 3 juin 2012

Apprendre à dire au revoir

Certains jours, en tant que prof, on ressent de petits pincements au cœur, par exemple quand on doit dire au revoir à un élève auquel on s'est attaché. Parfois, cette rupture se fait après plusieurs années, alors que l'élève entre à l'université par exemple et manque alors de temps pour s'investir dans une pratique quotidienne. On sait alors qu'au détour d'un concert, on le croisera peut-être et que la conversation se poursuivra comme si elle n'avait jamais été interrompue. Quand on parle une langue commune, on se reconnait facilement...

Et puis, il y a les destins de la vie. C'est ainsi qu'il y a deux jours, j'ai dû dire au revoir à une petite puce qui ensoleillait mes vendredis après-midi. Un sourire qui me faisait craquer à chaque fois, une voix tout en douceur, un pétillant dans le regard, même quand je faisais semblant de la sermonner par: « Non, mais tu veux ma mort? Tu as encore oublié ton fa dièse! » Elle riait alors de bon cœur et reprenait, sans protester.

Vendredi, elle est arrivée sérieuse comme un pape. Elle m'a tendu une boîte de chocolats, puis m'a simplement dit: « Merci de m'avoir appris la musique. » Ensuite, elle a sorti un coin-coin, qu'elle avait fait elle-même. Au départ, m'a expliqué sa mère, elle voulait faire un dessin de nous deux au piano, mais l'instrument est si difficile à dessiner (et à maîtriser). Sous les cases, au lieu des gages, elle avait simplement écrit les huit notes de la gamme, pour que je puisse faire chanter les autres. J'ai trouvé son concept parfaitement génial.

Elle déménage de l'autre côté de la grande mare et, à partir de maintenant, je devrai me contenter de la regarder grandir de loin. Je croise les doigts qu'elle trouve un prof sympa là-bas, à Lyon, qui saura faire germer la graine qui a été semée.

lundi 7 mai 2012

Apprendre... toujours

La compression d'horaire des derniers jours, avec le colloque, la couverture du Festival Vues d'Afrique (je vous reviens bientôt avec deux autres recensions) et la gestion des répétitions pré-concert d'élèves a relevé par moments de l'utopie la plus pure. J'admets que, vendredi en début de soirée, quand les derniers élèves ont quitté mon home après la répétition générale, je me suis posée de sérieuses questions. Pourquoi n'avaient-ils pas réussi à assurer? Les avais-je si mal préparés?  Ne leur avais-je consacré assez d'énergie, au milieu du tourbillon? Devais-je considérer de laisser l'enseignement du piano à d'autres? N'étais-je pas complètement cinglée de vouloir jouer Vallée d'Obermann en ces circonstances? Je me suis dit qu'il y avait certainement une leçon à tirer de tout cela, mais je n'avais pas prévu laquelle.

Hier matin, je me suis éveillée, fébrile, comme tous les jours de concert. J'ai juré contre l'imprimante qui ne collaborait pas, ai fini par mater la bête et glissé des dizaines de programmes dans une pochette. Dans le métro, je me suis plongée non pas dans un livre, comme à l'habitude, mais dans ma partition, réfléchissant à certaines inflexions, entendant intérieurement le texte, assurant certaines progressions harmoniques. J'ai quand même eu le temps de saisir un ou deux regards interrogatifs, sans que personne n'émette le moindre commentaire. Juste avant le concert, alors que j'échangeais avec la mère d'un élève, je me suis préparée au pire, à la possibilité que, peut-être, il y aurait des glissements de terrain fâcheux, que je devrais peut-être consoler l'un ou l'autre. Et puis l'heure a sonné.

Crédit photo: Lucie Renaud
Un petit laïus de présentation, histoire de rappeler certaines consignes de déplacements (vieux planchers de bois obligent). Premier imprévu: une mère se lève spontanément, pour s'adresser au public, me remerciant d'avoir une fois encore organisé un tel événement. Sourire vaguement troublé de ma part. La première élève, quatrième d'une fratrie, que je connais depuis sa conception, s'est avancée, visiblement traumatisée, si petite,  ne pensant pas pouvoir « faire comme les grands ». Grâce à quelques câlins et la présence de sa maman bonne fée à ses côtés, elle a fini par accepter de plonger. Impression de vertige partagée. Le concert pouvait maintenant vraiment commencer.

Tous, l'un après l'autre, se sont avancés, se sont assis à l'instrument, ont joué le tout pour le tout. Bien sûr, quelques imprécisions rythmiques se sont greffées, ainsi que quelques flous de mémoire (sans qu'aucun pourtant ne s'arrête). Mon cœur bondissait dans ma poitrine à chaque fois, mais je combattais vaillamment. C'était à mon tour de pratiquer le fameux lâcher-prise. Je n'aurais de contrôle que sur mon interprétation et rien d'autre. Je me suis accrochée, parce que la musique était présente, dans la délicatesse d'un phrasé, dans la profondeur d'un accord, dans une respiration assumée, dans les sourires, dans les regards de connivence échangés.

Quand les flashs des caméras des parents ont cessé de crépiter, après la traditionnelle « photo de famille », je me suis rappelé qu'au fond, je faisais un métier fabuleux, que je n'étais pas encore prête à arrêter de transmettre, de partager, de rire avec eux, de grincer des dents à l'occasion... d'apprendre.


jeudi 8 mars 2012

Apprendre

Mon horaire d'enseignement étant modulé autrement cette semaine, j'ai pu libérer deux fins d'après-midi et inverser les rôles. Plutôt que de jouer à la police des fausses notes ou des intentions musicales déficientes, j'ai choisi de passer quatre heures en compagnie de Johann Sebastian Bach, celui de Gilles Cantagrel. En sortant de la première conférence, j'étais déjà en train de texter fébrilement quelques étudiants et amis, histoire de  les convaincre de la nécessité de se glisser en salle le lendemain. (Au final, j'aurai convaincu une étudiante à la retraite, qui m'a remercié de mon insistance.)

Après près de deux heures à explorer la pré-histoire de l’œuvre (ce qui a inclus quelques incursions dans les domaines de la physique et de l'astronomie!), nous avons plongé dans les pages mêmes de cette immense somme. En deux jours, j'aurai griffonné quatre pages, non pas de notes en tant que telles, mais de repères, de questionnements, d'affirmations, de pistes de réflexion. 

Celui que Cantagrel ose appeler affectueusement l'« intellectuel voluptueux » n'a pas fini de m'éblouir, de m'élever en tant qu'interprète, pédagogue, passeuse. De baigner de façon concertée, concentrée, dans l'univers de Bach en compagnie de son ami cher (parce qu'on sent combien le musicologue aime profondément Bach l'homme et non seulement le compositeur) m'a fait réaliser combien, même lorsque l'on pense connaître quelque chose - ou quelqu'un -, au fond, on ne sait rien.

Souhaitant démontrer comment certaines tonalités transmettaient les particularités d'un affect, d'une « passion de l'âme » comme on les appelait alors (ah! ce mélancolique si mineur!), Cantagrel a choisi de nous faire écouter quelques fugues que je ne connaissais pas intimement (parce que, non, je n'ai pas joué - encore - les 48 préludes et fugues). Une révélation dans certains cas, tant ces œuvres sont profondément modernes et se rapprochent plus qu'on ne saurait le croire des avancées de Schoenberg. (Ainsi, ce thème de la 24e fugue du premier cahier, qui fait entendre les douze demi-tons de la gamme, brillante démonstration de ce que le tempérament « adouci » permet de réaliser.)

Les entendre au clavecin m'a aussi fait prendre conscience d'un seul coup que l'on  pouvait prendre le temps d'exprimer un thème, que l'on n'avait pas besoin de jeter de la poudre aux yeux quand on amorce un prélude, combien il est inutile de privilégier une pulsation métronomique avec les élèves. En effet, l'instrument proscrit de par sa nature toute rigidité rythmique, l'expressivité du texte pouvant se réaliser essentiellement à travers des retards et des accélérations de tempi.

Aucun doute dans mon esprit: si je devais partir sur une île déserte avec une partition, une seule, ce serait l'intégrale du Clavier bien tempéré. Je n'aurai jamais fini d'en faire le tour et c'est tant mieux.

jeudi 12 janvier 2012

On trouve de tout...

Petit matin neigeux, rendez-vous avec mon accordeur, venu requinquer mon piano d'enseignement en ce début d'année. Me rappelant qu'un petit élève avait réussi avec un doigté incroyable à égarer une petite carte de note (de deux cm sur deux) l'année dernière alors que je tentais de lui inculquer (plus ou moins malgré lui) les bases de la lecture, je lui demande de soulever quelques touches pour pouvoir le récupérer. Un souvenir diffus (cela fait quand même plus de six mois) me pousse à lui indiquer l'octave sous le do central. Pas de succès. On enlève quelques autres touches, récupère non pas une mais deux cartes.

Une fois lancé, pourquoi s'arrêter en chemin? L'aspirateur et un pinceau sont offerts et il se met à nettoyer l'assise des touches dans son ensemble. (Cela n'avait clairement jamais été fait...) Et là, surprise, au milieu de la poussière, nous découvrons deux pages du Devoir datées de janvier... 1958! Malheureusement, on parle ici de nouvelles du sport (le « Rocket » allait arbitrer un match d'anciens à Vancouver), de cotes de la bourse (on peut notamment y suivre le « cours des huiles »!), d'annonces classées et d'avis publics, mais quand même... Pensait-on offrir une isolation à l'instrument de cette manière? Grand mystère...


dimanche 8 janvier 2012

Ana

La SMCQ (Société de musique contemporaine du Québec) rend hommage cette saison à Ana Sokolovic. Cet événement à grande échelle permet aux diverses sociétés  de glisser une ou des œuvres de la compositrice dans leur grille de programmation. Dans une volonté des plus louables de rejoindre la jeune génération, elle propose également une bande dessinée, signée Marie Décary et Élisabeth Eudes-Pascal, tirée à 25 000 exemplaires, disponible gratuitement aux professeurs qui en font la demande (seuls les frais de poste sont à débourser). L'objet permet d'apprivoiser de façon ludique la vie assez effervescente de la compositrice, de son Belgrade natal à Montréal, ville qu'elle a adoptée en 1992. Elle y complétera une maîtrise en composition avec José Evangelista, sera jouée dès 1995 sur la scène locale (puis nationale et internationale) et y rencontrera également celui qui allait devenir son mari (et père de ses deux enfants), le compositeur Jean Lesage.

La bande dessinée se dévore avec plaisir, que l'on connaisse ou non le travail de la compositrice. J'ai déposé l'objet entre les mains de plusieurs de mes jeunes élèves qui me l'ont tous remise avec un grand sourire après lecture. En complément, on retrouve quelques jeux d'écoute, une recette pour composer, un lexique, une biographie plus « officielle » de la compositrice, ainsi qu'une liste de ses créations marquantes.

La SMCQ propose également sur son site des capsules vidéo thématiques, dans lesquelles Ana Sokolovic parle de son parcours hors normes et de sa passion pour la composition ainsi qu'un guide de l'enseignant, qui facilite l'utilisation en classe. Le Centre de musique canadienne a de plus passé commande à Sokolovic pour Viva la musica!, une œuvre spécialement écrite pour harmonie et chœur scolaires, dont les partitions sont disponibles à coût minime ici...

samedi 10 septembre 2011

Se souvenir

Bien sûr, le week-end débordera de cérémonies souvenir qui raviveront une blessure qui ne semble pas prête de se cicatriser. Je regarde rarement vers l'arrière, mais il faut bien admettre que tout le monde (ou presque) se rappelle l'endroit précis où il était, ce fatidique matin du 11 septembre 2001. J'étais dans la COOP Vincent-d'Indy, en train de ramasser quelques partitions pour les élèves, quand on m'a appris la nouvelle. Ensuite, je verrais, scotchée comme tant d'autres à un écran, le désespoir, la désolation, la résilience. Une dizaine de jours après, je commettrais un éditorial pour La Muse affiliée, dont je partage ici quelques passages avec vous.

« Quand le rêve s’écroule, qu’on plonge dans l’inconnu et l’horreur, vers quoi se tourner ? Inutile de chercher bien loin, la réponse était là, sous mes doigts. Après tout, ce n’était pas la première fois. Les crises existentielles de mon adolescence avaient été rythmées par des improvisations en mode mineur. Quand je voulais tout oublier, je jouais du Bach — impossible de ne pas se concentrer totalement quand on doit garder le contrôle sur une fugue à quatre voix ! La nuit du décès de mon père (j’avais 18 ans), je m’étais plongée dans une quasi intégrale des Nocturnes de Chopin qui m’avait drainée puis apaisée. [...]

Peu après l’annonce récente, je me suis d’abord tournée vers un enregistrement du Quatuor pour la fin des temps de Messiaen, composé en captivité lors de la Seconde Guerre mondiale. Rapidement, la musique a revendiqué ses droits, engourdissant le choc enregistré par l’esprit pour laisser place à l’émotion pure. Et puis, début d’année oblige, j’ai dû m’asseoir au piano pour que mes élèves, à leur tour, choisissent les œuvres qui les accompagneront cette année, les jours de joie comme les soirs de peine. Tout a, soudainement, repris son sens. Oui, comme le disait si bien Suzuki, peut-être la musique changera-t-elle le monde… ne l’oublions pas ! »

En prolongement, je vous offre en partage 3326, tiré du premier album Eulogy for Evolution du jeune compositeur islandais Olafur Arnalds, qui m'interpelle particulièrement ces jours-ci.

jeudi 9 juin 2011

Le temps file

Dernières heures de cours déjà. Les petits s'attardent plus que d'habitude sur le seuil de la porte et prononcent en me quittant les mots: « Bon été! » plutôt que « Bonne semaine! » Léger pincement, mais à peine, car je sais que, fin août, je serai particulièrement heureuse de les retrouver et de constater qu'ils auront grandi, que le soleil a cuivré leurs peaux (du moins, souhaitons-le), que certains auront même touché au piano une fois ou deux. (Je n'attends plus grand chose côté pratique et c'est sans doute une bonne chose...)

L'important pour moi a toujours été que la musique continue de faire partie de leur vie, dans cinq, dix, vingt ans. Si on résume les années de complicité, on ne retiendra au final qu'une série d'échanges, de conversations, une appropriation d'une nouvelle langue qui, après un nombre important d'heures d'une pratique plus ou moins sérieuse, n'aura plus rien d'étrangère. Là réside sans aucun doute la plus grande force de la musique.

La semaine dernière, lors du deuxième soir de finales du CMIM, j'attendais celui qui m'accompagnait, billets en main, avec une légère fébrilité. (Les minutes filaient et j'en étais à le texter.) Tout à coup, un jeune homme s'arrête devant moi et me saute presque dans les bras. Trois bises, à la française, sur les joues, le temps que je réalise que j'avais devant moi ma Rach Star, en costard et cravate, véritable carte de mode, qui sortait des bureaux dans lesquels il fait son stage cet été. D'un seul coup, tout m'est revenu: le garçonnet timide, l'adolescent brillant mais toujours un peu incertain, le jeune homme en pleine possession de ses moyens sans jamais tomber dans l'arrogance.

Il avait considéré s'inscrire à l'université en interprétation et nous avions alors eu une discussion sans fard. Je me vois encore lui demander: « Peux-tu t'imaginer faire quoi que ce soit d'autre? Es-tu prêt à passer les prochaines années de ta vie enchaîné au piano, cinq ou six heures par jour, à vivre en marge d'une société qui ne comprend pas grand chose à l'art? Es-tu prêt à tout sacrifier pour transmettre les émotions d'un autre en musique? Es-tu prêt à courir le risque d'en vouloir à la musique de ne pas t'avoir accueilli comme tu l'aurais souhaité? » Il a pris quelques jours pour y repenser, a préféré l'amour assuré de la musique à une possible gloire et a choisi l'économie.

À l'entracte, je ne lui aurai au final posé qu'une seule question essentielle: « Est-ce que tu joues encore? » Il m'a parlé de son Étude transcendantale de Liszt, moins parfaite que jadis, avec un regard vaguement coupable. Je me suis dit en me rasseyant qu'il y avait de fortes chances que cette rencontre l'ait repoussé dans les bras de la musique. Le reste, au fond, n'avait que bien peu d'importance.

mercredi 20 avril 2011

Fébrilité préconcert

Plus que onze jours avant le concert de mes élèves. Quand je ris, c'est parfois jaune, car voici venu le temps non pas des cathédrales, mais de « serrer la vis » de façon subtile, mais non équivoque. Il y a deux semaines, j'ai assené quelques « tu rigoles? tu n'es pas du tout prêt! » d'un sourire vaguement crispé qui témoignait peut-être d'une certaine exaspération. Pourquoi, à chaque année, les élèves ne se donnent-ils à fond que lorsqu'il est minuit moins une? Il y a bien une ou deux exceptions à la règle, mais si peu... N'empêche, une fois réveillés en sursaut par ma voix tonitruante (même pas vrai), ils ont tous démontré que, tiens donc, ils étaient capables de donner plus. (J'ai tant farci la tête d'un élève hier en l'aidant à mémoriser Galaxy de Lee Evans que je lui ai recommandé de porter des bouchons aux oreilles pour éviter que le contenu ne se répande sur le trottoir ou sur le trajet vers son domicile! Le pire, c'est qu'il a à peine souri, conscient que je n'exagérais presque pas.)

J'ai constaté il y a quelques années en devenant discret membre du public d'un ou deux récitals d'élèves que, sous mon apparente constante bonne humeur (la dernière fois qu'une élève m'a vraiment énervée remonte déjà à plusieurs années), je refuse d'accepter n'importe quoi. Il y a un minimum de respect du texte à instaurer et la musicalité n'est jamais en option. Je préférerai toujours un passage techniquement imparfait mais senti à une interprétation impeccable sans relief. Ce qui me rend le plus fière le matin du concert: quand ils font de la musique et que la pièce, de quatre lignes (j'ai plusieurs débutants cette année, ce qui ajoutera une part importante d'imprévisibilité à la donne) ou de quatorze pages, possède une personnalité distincte, qui laisse autre chose qu'un vague souvenir. Mais d'ici à ce que je les applaudisse à tout rompre, il reste encore passablement de boulot. Ensemble, nous y parviendrons.

dimanche 20 mars 2011

La Muse affiliée a un nouveau home

Je vous parlais il y a quelque temps de la fin d'une ère... mais La Muse affiliée vient de se trouver un nouveau home douillet, qui permettront aux archives PDF d'être consultées par les professeurs qui le souhaiteraient (et autres étudiants, mélomanes ou curieux). Marie, qui a écrit plusieurs articles au fil des ans, lui a déniché un petit coin sur son site perso. Juste à temps pour le printemps, c'est par là... J'intègre également le lien dans la section « je suis là aussi ».

Merci Marie, quelle heureuse surprise!

mercredi 2 mars 2011

Tourner une page

Dans la fébrilité du retour (et surtout la course folle au rattrapage de temps investi ailleurs), j'ai à peine réalisé qu'une page se tournait. En effet, après avoir cessé en mai 2009 la parution de la version papier de La Muse affiliée, après avoir entretenu (ou plutôt tenter d'entretenir, les collaborateurs habituels se sentant tous plus ou moins défaillants) une version électronique pendant un an puis laisser le site plus ou ou moins en friche depuis, j'ai décidé de ne pas renouveler mon nom de domaine. Quelques messages insistants de l'hébergeur me rappelaient qu'il était temps de débourser de nouveau pour assurer la continuité, mais ma décision était prise: j'étais prête à laisser s'éteindre doucement le projet. N'empêche, hier, quand j'ai tapé l'ancienne adresse et me suis retrouvée devant une page de pub qui indiquait que le domaine était en « suspens », le propriétaire n'ayant pas encore renouvelé les droits (je dispose d'un sursis symbolique de quelques jours pour payer, ce que je ne ferai pas), cela m'a tout de même fait un petit pincement.

Rassurez-vous, j'ai des archives papier de tous les numéros et ai plusieurs dizaines d'exemplaires en réserve, si, un jour, un lecteur souhaitait feuilleter ou se procurer un ancien numéro. J'ai des archives PDF des derniers numéros et peux donc également les partager sans problème. Plus étrange peut-être, il y a quelques jours, j'ai reçu une demande d'abonnement de la France, la première depuis des lustres. Comme un dernier clin d'œil avant que le rideau ne s'abaisse.

Je ne vous raconte pas cela par pure nostalgie, rassurez-vous. Je suis quelqu'un qui, foncièrement, regarde vers l'avant, et ne se retourne que très périodiquement, histoire d'apprécier le chemin parcouru et jamais de me morfondre d'un « C'était le bon temps ». Je suis néanmoins très consciente de ce que je dois à La Muse affiliée. En mettant la publication sur pied en septembre 2008, je souhaitais rejoindre d'autres professeurs, isolés dans leur studio de pratique. Ce que je n'avais pas prévu alors était que ce geste de transmission, ce trait-d'union, mènerait très rapidement à une pratique journalistique régulière, qui me permettrait de développer une certaine crédibilité professionnelle (et ce, même si la plupart de mes élèves ne réalisent pas ce que je fais aussi dans la vie) et même de pouvoir m'entretenir avec certains géants du monde du classique, Je ne pourrai certes jamais oublier que j'ai parlé à Dieu lui-même (Alfred Brendel), mais aussi à tant d'autres qui ont su m'inspirer en tant qu'interprète, pédagogue, journaliste ou simple humain.

La Muse affiliée, cela aura été aussi de belles complicités entretenues avec deux amis graphistes, un fidèle réviseur, des collaborateurs bénévoles qu'il me faisait plaisir d'accueillir à chaque printemps pour un repas de réjouissances symbolique. Parce que, oui, encore et toujours, l'essentiel ici, c'était le partage.

mercredi 26 janvier 2011

Sur mesure

Les professeurs qui utilisent la même méthode pour tous leurs élèves m'effraient. Je comprends certes que, lorsqu'on donne depuis 10 ans un cours de maths et que, vraisemblablement 1+1=2 (certains philosophes ont tenté de prouver le contraire, mais peu importe), on peut vivre sur ses réserves et, oui, pourquoi pas, proposer le même devoir trois, voire six années de suite. Par contre, quand on a devant soi un aspirant pianiste, je crois qu'il est impossible de concevoir que tous, en deuxième année de cursus, devront jouer le petit menuet de Petzold en sol majeur (faussement attribué à Bach). Nous disposons d'un répertoire quasi infini, dont nous n'aurons jamais fait le tour, alors, comment peut-on considérer s'embourber volontairement dans de telles ornières?

J'ai cette année dans ma classe beaucoup de jeunes débutants (entre 5 et 7 ans). Oui, cela exige des trésors d'invention pour assoir le plus jeune (« Quoi, tu veux que je recommence? Mais on vient de le jouer deux fois! Non, je veux pas! » ), de persuasion pour faire lire l'autre (qui a pris bien des mauvais plis en une année et se fie à son oreille ou sinon aux chiffres sur la partition), d'attention surtout, pour être certaine que l'édifice que nous construisons ne s'écroulera pas dans deux mois ou cinq ans - et ce, sans savoir si l'élève poursuivra ou non. Cela prend une certaine volonté (une volonté certaine même) pour viser l'excellence, un terme malheureusement galvaudé de nos jours.

Je ne suis pas une de ces profs tortionnaires (vous voyez le stéréotype, certain âge, cheveux gris, chignons, visage de bois) et donnerais plutôt l'impression contraire, mais j'ai beaucoup de difficulté à accepter les gens qui ne vont pas au bout de leurs limites et ce, peu importe celles-ci. J'ai quelques élèves doués que je peux pousser au maximum (« Tu me travailles les sections A à F pour la prochaine fois »), d'autres plus lents que j'encadre plutôt (« Je ne te sens pas très à l'aise; revoyons tout ça !»), un pur-sang un peu fou qui apprend à la vitesse de la lumière mais se rebiffe dès que je lui parle de discipline (« Oui, je comprends bien que tu es un interprète, mais cela ne t'empêche de respecter le texte et le compositeur! », un imaginatif qui a toujours des histoires incroyables à me raconter (« C'est super, tout ça, mais là, on joue ta pièce, d'accord? »). Il y a évidemment tous les autres. Il faut savoir être à l'écoute, comprendre ce dont l'élève a besoin, puiser dans son savoir (et idéalement une vaste bibliothèque de partitions) et proposer en conséquence. Il faut surtout refuser l'immobilisme et le statu quoi. Pourquoi ai-je l'impression que 99 % de la population se moquerait de moi si je leur lançais cette phrase dans une soirée mondaine? Peu importe. Il faut pouvoir assumer ses convictions.

vendredi 14 janvier 2011

Relation privilégiée

Les grands groupes ne m'intimident pas et je peux prononcer une conférence pré-concert devant 200 personnes sans friser la syncope. (Tenir 37 ados dans une classe, par contre, c'est autre chose, mais passons...) Pourtant, il n'y a rien que j'aime le plus au fond que le contact privilégié, le one on one, qui permet la transmission mais aussi le partage. Je le vis au quotidien avec les élèves, de façon régulière lors d'entrevues, qu'elles soient téléphoniques (souvent plus « glissantes » par nature) ou en personne. (Grâce à skype, on peut maintenant profiter d'un entre-deux plutôt sympa, il faut l'admettre, mais ce ne sont pas tous les artistes qui ont compris le maniement de la webcam.)

Je sais que plusieurs ouvrages de pédagogie « sérieux » préconisent une certaine distanciation entre le professeur et l'élève. Dans mon cas, il n'en a jamais été question. Je refuse d'être considérée comme l'autorité suprême, même si, forcément, mes multiples boulots impressionnent certains des plus jeunes, comme cet élève, tout fier de m'apporter quelques jours après avoir vu Casse-Noisette sa copie du Magazine Place des Arts, parce qu'il m'y avait lue, ou cet autre qui, alors que je terminais un appel avec un orchestre étranger, m'a demandé tout bonnement: « Es-tu célèbre? » (J'ai ri pendant un bon 20 secondes, avant d'expliquer que, en classique, pas de souci, tout le monde ou presque pouvait faire ses courses tranquille.) Je refuse aussi d'être perçue comme une figure parentale. Oui, je pourrais être la mère de plusieurs de mes élèves, mais pourrais aussi être la fille de quelques autres. J'essaie de définir un statut particulier, unique, qui devient souvent un atout important à l'adolescence quand, justement, l'élève est en rébellion contre ses parents.

J'aime qu'ils me confient des petits trucs sur leurs vies respectives, au début du cours. J'essaie de me tenir un peu à jour côté hockey, histoire de pouvoir entretenir une conversation ludique avec tous ces fans du Canadiens. Quand un m'a demandé avant-hier ce que le père Noël m'avait apporté, j'ai souri, ai réfléchi et ai répondu. (Quand j'ai mentionné que j'avais reçu un livre ou deux, il m'a d'ailleurs fixée avec un regard entendu: « On le sait que tu aimes les livres! ») Quand ils me parlent d'une chanson pop, généralement, je sais de quoi il est question. Quand ils me demandent d'en apprendre une, je ne fronce pas les sourcils. Tant qu'il n'est pas question de Justin Bieber, je dis oui. (Et encore, je cèderais peut-être...) Qu'on travaille Bach ou Coldplay, il y a  matière à transmission, à découverte, à apprentissage. Et puis, on ne sait jamais quand les tables peuvent tourner et que ce soient eux qui m'enseignent quelque chose sans même s'en rendre compte, sur la façon d'aborder quelque chose, de le transmettre, de le partager. Il s'agit de demeurer alerte et de saisir l'instant. Carpe diem!

jeudi 6 janvier 2011

Leçons d'étiquette

Je dois être devenue trop vieille, ringarde, dépassée. Cela vient peut-être du fait que je fréquente la musique classique depuis que je suis née ou presque. Mais n'y aurait-il quand même pas moyen pour les professeurs de donner une ou deux leçons d'étiquette de concert à leurs élèves?

J'accompagnais un saxophoniste lors d'un récital-midi dans une polyvalente offrant une concentration musique, dans une banlieue relativement à l'aise. On s'entend que, en principe, à moins que je n'aie vraiment pas saisi ce que représentait une concentration musique, on devrait avoir affaire à des élèves qui sont sensibilisés à la pratique musicale, non? Est-ce rêver éveillé que de considérer une écoute minimale comme étant espérée? Je me doute bien qu'une sonatine de Schubert, pourtant remarquable d'ingéniosité, ne les comblera peut-être pas d'extase. Mais n'aurait-il pas été possible - ou même souhaitable - que le professeur responsable (parce que, oui, un professeur accompagnait les élèves au concert) explique de façon ludique mais ferme certaines règles de base?

Ce n'est pas la première - ni la dernière fois - que je jouerai dans des conditions d'écoute déplorables. Quiconque a dû « tapisser » un vernissage ou tout autre événement mondain (on accepte quelques compromis parfois pour mettre du beurre sur les nouilles) sait pertinemment que la musique ne devient alors qu'« ameublement ». Je me souviens d'avoir joué pour une amicale d'école primaire, il y a des années de cela, et d'avoir eu de la difficulté à me faire entendre au-dessus du babil (chahut serait peut-être un terme plus précis). Je me souviens aussi que la classe d'élèves de 10 ans qui attendait alors à l'arrière-scène de présenter une courte pièce de théâtre avaient été complètement révoltés que « les adultes n'écoutaient pas ».

En dépit de tout cela, j'ai réussi à bloquer de mon champ de vision et de mon espace mental tous ceux qui gigotaient comme des poux dans les premiers rangs. Je retiendrai plutôt des échanges musicaux réussis entre les deux instruments, le plaisir de défendre un répertoire dense et, pourquoi pas, les sifflets d'encouragement entre les pièces. « On vous aime! » Mais eux, qu'auront-ils retenu de l'expérience? Bien malin qui pourrait le dire.

dimanche 19 décembre 2010

Semer

« Les maîtres d'école sont des jardiniers en intelligences humaines », écrivait Victor Hugo, citation qui est glissée entre les pages de mon livre ces jours-ci grâce aux bons soins de Gwenn qui m'en a fait un signet. Toutes les semaines, je jardine à côté du piano. Je bêche, sarcle, élague. Je présente, décortique, évoque des compositeurs morts il y a des lunes. Je transmets, inlassablement, sans jamais trop savoir ce qu'il en restera, dans deux mois, deux ans, dix ans. Peu importe, l'important est dans le partage et je sais pertinemment que je serais incapable de ne pas transmettre cet amour de la musique qui me dévore.

Il y a quelques années, j'ai enseigné à un enfant, plutôt réservé, délicat, charmant, rieur à ses heures. Il a fait ses premiers pas à l'instrument alors qu'il avait à peine cinq ans. Chaque année, il a travaillé de nouveaux compositeurs, découvert de nouveaux univers, repoussé de nouvelles frontières. Quand il m'a laissé, huit ans plus tard, pour découvrir la guitare, il était devenu un adolescent. Je savais confusément que, peu importe l'instrument, la musique aurait toujours une part importante dans sa vie. Qu'il choisisse une voie de traverse était secondaire.

Il y a quelques semaines, alors que je me rendais au concert, j'ai entendu sa voix résonner derrière moi. « Lucie, c'est toi? » J'avais pensé à lui très fort quelques jours auparavant, en avait même parlé à un ami. Quatre ans déjà, qu'était-il devenu? Nous allions tous deux au même endroit. Déjà, j'étais renversée. Et puis, il m'annonce, comme ça: « Tu sais, j'ai repris le piano cette année. » J'ai retenu juste un peu mon sourire. Il a poursuivi: « L'année prochaine, je change d'orientation. Je passerai les auditions en février pour entrer au Cégep en piano classique. »

Non, vraiment, on ne sait jamais ce que l'on sème. Surtout, on ne réalise pas toujours la joie que la récolte procure parfois.