jeudi 31 mars 2011

Anri Sala au MAC

Profitant du fait que j'étais au centre-ville pour un concert hier soir, je me suis glissée au Musée d'art contemporain pour découvrir l'exposition consacrée à l'artiste albanais Anri Sala (la visite des expos étant gratuite tous les mercredis soirs). Celle-ci se parcourt comme une œuvre d'art en soi, puisque le curieux réagit aussi bien aux stimulations visuelles qu'auditives pour orienter son parcours, qui comporte photographies,  installations, dessins et vidéos.

On plonge d'abord dans une confrontation troublante entre fils et mère, jadis fort politisée, qui nie une part de son passé, avant d'être totalement happé par le son d'une dizaine de caisses claires qui explosent dans Doldrums et découvrir Title Suspended (Sky Blue), After Three Minutes, Time After Time et Answer Me  (le regard du batteur, qui refuse d'accepter la rupture!).


Quand un film se termine, un autre lieu nous interpelle, en une juxtaposition astucieuse, ludique et interpellatrice. Une autre façon de s'approprier le langage moderne.

mardi 29 mars 2011

En écho...

J'avais écrit le précédent billet depuis quelques heures à peine quand je me suis glissée Salle Wilfrid-Pelletier pour aller écouter Salomé de Richard Strauss. Si je peux rechigner sur le décor (des plus minimalistes), les costumes (peut-on s'entendre sur une époque et s'y tenir?), la mise en scène (certains personnages sont traités de façon parfois un peu trop caricaturale), les éclairages (essentiellement, deux jeux), impossible de ne pas céder à la partition de Strauss, surtout défendue avec un bel aplomb par l'Orchestre métropolitain (sous Yannick Nézet-Séguin) et une distribution presque impeccable à tout point de vue. Si Nicola Beller Carbone m'avait laissée plutôt de glace en Tosca l'année dernière, elle a transmis une Salomé dangereusement femme-enfant, à l'orgueil si dangereux qu'il la fera irrévocablement basculer dans la folie. La dernière scène, dans laquelle elle interagit et embrasse la tête de Jochanaan (Jean-Baptiste), reste un moment dramatique d'une puissance difficile à égaler, en grande partie grâce à la terrible efficacité de la partition de Strauss et à la façon dont la soprano utilisait sa voix pour passer de la fillette gâtée à la femme brisée. (Pas surprenant que 38 rappels aient été nécessaires lors de la création de l'œuvre!)

L'ami qui m'accompagnait cette fois en avait quasi la mâchoire décrochée de contentement. « Je n'ai jamais rien vu d'aussi intense sur scène jusqu'ici! » Je cite car, oui, il a bien utilisé le mot « intense ». (Il n'avait bien sûr aucune idée du titre de mon billet du jour...) Après quelques commentaires plus précis, alors que nous nous dirigions vers la sortie, il a résumé: « Je me sens prêt pour Wozzeck, maintenant! » (Malheureusement pour lui - et moi, qui adore Berg -, Wozzeck a été présenté il y a quelques années en version de chambre, et je doute malheureusement qu'on le représente dans la prochaine décennie ici...) Tout est peut-être question de lecture, finalement...

(La photo est du Devoir.)

lundi 28 mars 2011

De l'intensité

Il y a un peu plus de deux semaines, j'étais au théâtre avec une copine et j'ai été assez troublée par son commentaire post-spectacle, alors que nous avions tout juste vu Toxique. Je paraphrase, mais elle m'a expliqué qu'elle avait hâte à un moment que l'auteur change de registre, car elle commençait à avoir de la difficulté à respirer. Cette sensation d'étouffement était un geste conscient de Greg MacArthur, magnifié en une scène saisissante dans laquelle Élise Guilbault se lève d'un seul bond de son lit, le souffle bloqué, le regard exorbité, sa constante relecture de l'événement (ou du non-événement) minant entièrement son existence.

Pour moi,  c'était une force du texte. Pour celle qui m'accompagnait ce soir-là, c'était « trop ». Elle m'a ensuite expliqué qu'elle considérait impossible que je puisse affirmer aimer Incendies (j'ai vu la pièce, lu le texte et vu le film, une fois au cinéma et tout récemment sur DVD), qu'elle avait trouvé « insupportable ». (Elle n'a vu que le film.)  Oui, c'est vrai, une terrible violence était au cœur même du propos, mais sublimée d'une brillante façon tant dans le texte que dans le traitement qu'en a fait Denis Villeneuve, complémentaire.

J'ai réalisé ce soir-là de façon limpide que nous n'avions évidemment pas la même perception d'une œuvre théâtrale ou même musicale et que, oui, sans doute, les goûts ne se discutent pas. En même temps, cette volonté consciente de fuir l'intensité m'a laissée perplexe. « Je ne suis plus capable, a-t-elle avancé, j'ai déjà pu, mais plus maintenant », proposant même d'aller voir une pièce « plus légère » la prochaine fois. Peut-on choisir délibérément de se fermer les yeux quand nous vivons dans un monde qui à tout moment menace d'exploser? Une question aux multiples réponses sans aucun doute.
 

vendredi 25 mars 2011

Lettres à une musicienne

Je connais la poésie de Rainer Maria Rilke, ai lu ses Lettres à un jeune poète plus d'une fois (c'est d'ailleurs l'un des très rares livres que j'ai relus), mais  ne savais rien de ses Lettres à une musicienne avant qu'un ami ne les dégotte en bouquinerie, se les approprie et s'empresse de me les prêter, en affirmant haut et fort: « Il faut absolument que tu lises ça! » Comme souvent (toujours?), il avait raison et je dois dire que j'ai plongé avec délectation dans ces pages, qui ne sont pas seulement constituées des lettres de Rilke mais aussi de celles de Magda von Hattinberg (néanmoins en moins grand nombre dans le recueil, peut-être un choix de la succession de madame von Hattinberg), qui sait comment transmettre la musique de l'intérieur.
« Je voudrais vous apporter toutes les merveilles d’un monde nouveau dans une pièce tranquille et sans trop de lumière, une pièce qui tisse une chaude intimité autour du piano – un grand piano à qui l’on peut tout dire parce qu’il comprend tout, que l’on aime comme l’être le plus fidèle qui soit au monde, parce qu’il perçoit les pensées les plus secrètes et les transmet sans passer par les mots – avec toutes les vibrations d’une âme douce et passionnée. C’est ainsi que je voudrais que la musique vous parvienne. »  

J'y ai découvert un Rilke touchant de fragilité. Il n'est plus seulement un poète au sommet de ses moyens (qu'on les lise en langue originale ou en traduction, plusieurs de ces textes sont magnifiques et ont inspiré nombre de compositeurs... dont Brad Mehldau, qui en a tiré il y a quelques années The Book of Hours: Love Poems to God) ou un maître pour les écrivains de demain. Ici, il redevient un homme, séduit par une pianiste qui lui envoie un témoignage de reconnaissance après avoir lu ses textes, qu'il cherche à faire sienne à travers ses mots, ses souvenirs, le récit de son quotidien et quelques très belles réflexions sur la musique et la littérature.

« Mais vois-tu, mes livres sont des télescopes; lorsque quelqu’un approche son œil, son champ de vision est assailli par une multitude de choses : des ciels, des nuages, des choses et autres phénomènes divers, que sais-je encore, tout cela baigné d’une fraîche et profonde franchise, avec plus de violence, de précision et de validité qu’il n’en a l’habitude, c’est beau, c’est beau, il a le loisir d’en faire moisson, mais tout cela n’est pas moi, toi seule le sais, n’est-ce pas, regarde bien dans le tube dressé, ce petit point lumineux, là-bas – tu vois? – C’est mon cœur, on ne peut le reconnaître. »

Leur rencontre aura été fatale, semble-t-il, cet amour étant peut-être dès le début condamné à être sublimé.

mercredi 23 mars 2011

Collaboration aux quatre coins du blogue

Le monde n'est plus qu'un village global, j'en ai encore eu la preuve cette semaine. En effet, Larkeo - dont j'ignorais jusqu'alors l'existence - me contactait hier pour que, à la suggestion de Walrus, je devienne le Nord dans un projet photographique qui se déploiera sur son blogue tous les mercredis. Le thème de la semaine, vu de Paimpol, Nancy, Rio de Janeiro et Montréal: dans la rue.

On peut voir les photos des collaboratrices ici...

mardi 22 mars 2011

Hamlet: pour la beauté du texte

J'avais déjà vu la pièce au théâtre, ai pu apprécier une ou deux versions filmées, mais parfois, malgré tout, on se sent le besoin de se réapproprier ses classiques. C'est pourquoi je résiste rarement à un Molière ou un Shakespeare, même si j'aime bien l'effervescence de la création théâtrale.

Que dire de cette nouvelle production de Hamlet, mise en scène par Marc Béland qui, lui-même, avait offert il y a 20 ans déjà une interprétation renversante du jeune prince du Danemark? Benoît McGinnis y campe un Hamlet multiple, au début presque détaché, qui devient de plus en plus troublé - et troublant -, invitant le spectateur à basculer avec lui du côté de la folie assumée (bien plus qu'Émilie Bibeau, entièrement désincarnée en Ophélie, qui a tout de même réussi à offrir une dernière scène d'une belle intensité, tantôt dite, tantôt chantée, un choix astucieux ici).

Si la distribution se veut exemplaire (on peut difficilement trouver plus désagréable qu'Alain Zouvi en Claudius ou plus délicieusement verbeux que Jean Marchand en Polonius), je retiendrai essentiellement de cette production le travail sur la langue du traducteur - et dramaturge - Jean Marc Dalpé. Ce dernier réussit à créer l'illusion, sans aucunement dénaturer le texte de Shakespeare ou en occulter la charge poétique, que le texte a été écrit l'année dernière, tout en tenant compte des contraintes du texte original (certains passages en prose, d'autres en vers non rimés, ceux dits par la troupe de comédiens invitée au royaume en vers rimés) et en refusant de « fixer » la traduction dans une finalité. « Comme la langue de Shakespeare était immédiatement saisissable pour ses contemporains, notre traduction visera la même qualité, tout en respectant les images poétiques de l'auteur », explique-t-il d'ailleurs en entrevue, soulignant qu'il a ici réalisé une traduction de Hamlet, adaptée à cette production spécifique, et non l'ultime traduction.

Je m'en voudrais de ne pas mentionner l'astucieuse scénographie de Richard Lacroix, scène ouverte qui permet d'étonnantes superpositions de volumes et découpages d'espace, et les éclairages absolument saisissants de Martin Labrecque, qui continueront de me hanter.

(Jusqu'au 6 avril, au TNM)

dimanche 20 mars 2011

La Muse affiliée a un nouveau home

Je vous parlais il y a quelque temps de la fin d'une ère... mais La Muse affiliée vient de se trouver un nouveau home douillet, qui permettront aux archives PDF d'être consultées par les professeurs qui le souhaiteraient (et autres étudiants, mélomanes ou curieux). Marie, qui a écrit plusieurs articles au fil des ans, lui a déniché un petit coin sur son site perso. Juste à temps pour le printemps, c'est par là... J'intègre également le lien dans la section « je suis là aussi ».

Merci Marie, quelle heureuse surprise!

vendredi 18 mars 2011

Quatre bougies

En principe, mon bloganniversaire est le 15 mars mais, n'est-ce-pas, le 15 étant jour de Recrue, cela me semblait tout de même plus pertinent de mettre en lumière une nouvelle auteure que de souligner les quatre ans de ce modeste rejeton. Et puis, à quatre ans, quand même, on peut bien célébrer son anniversaire trois jours en retard, non?

Moi qui n'ai jamais réussi à écrire dans un journal plus de quelques jours de suite, je signe pourtant ici mon 686e billet. Pourquoi ai-je choisi cette fois de m'inscrire dans la durée? Parce que le médium me plait, bien sûr, mais aussi par pur plaisir de partager lectures, concerts, sorties, coups de cœur et à l'occasion coups de gueule. Et puis aussi, parce que, loin de souhaiter me réfugier derrière mon écran d'ordi, j'ai aussi eu le plaisir de rencontrer quelques-uns d'entre vous dans la « vraie vie ». Et ça, pour citer l'annonce bien connue, « cela n'a pas pas de prix ».

Et, parce que, malgré la névrose du climat qui est le mien, on veut croire au printemps, en partage, à écouter, le très belle relecture de Blackbird de Brad Mehldau. (Ne cherchez pas l'image...)

jeudi 17 mars 2011

Dire ses quatre vérités

Trop mordant pour ne pas être partagé...

« Les sans-abri devraient squatter dans un de ces romans qui font l’actualité : ils sont généralement inhabités. »

Louis-Henri de la Rochefoucauld, Un smoking à la mer

mardi 15 mars 2011

Vents salés

Dans son premier roman, Joanne Rochette a souhaité mettre en scène un couple atypique, renversé par la puissance des sentiments qui l’animent, dans un 20e siècle naissant; un pari audacieux tenu, mais non sans quelques imperfections. La multiplicité des narrateurs (elle, lui, narratrice omnisciente) peut déstabiliser pendant quelques pages, mais je m’y suis glissée presque naturellement, une fois adoptée une certaine lenteur de lecture, exigée par la densité et la charge poétique de nombreux passages. 
« Tordre le cou au corps, au chant suave du plaisir, à la déferlante des nuits mauves qui rendent mes jours noirs et rouges et mon avenir maladif et insipide. D’une volonté triomphante, je vais créer le plein, le rythme, parce que… survivre. Le silence des champs me pèse. Émerger de ma folie, m’extirper de la douleur et de l’insuffisance dans laquelle je me suis placée. Vivre à cœur de jour l’émotion à fleur de peau a un prix. L’annihilation de la raison, la déroute infernale de l’esprit. Tous ces vents salés ont rendu exigu mon champ de clairvoyance, mon rayon de lucidité. » (p. 135-136)
Pourtant, j’ai eu de la difficulté à plusieurs moments à rester accrochée à cette histoire, ballotée entre descriptions techniques  sur le métier de pilote, liens tissés entre marins, peinture du Montréal des premières années de l’industrialisation, quotidien de Delphine et évocations de ces instants marqués au fer rouge du désir.  Ceux-ci, admirables à la fois d’exaltation et de retenue, m’ont entièrement captivée et je suis demeurée sensible à la vague qui balayait impitoyablement Delphine. (Ernest m’a semblé un personnage plus pâle, avant de devenir vaguement caricatural dans la jalousie.) Je déplorais néanmoins de devoir sortir de ce cocon en apparence protecteur, mais qui contient en son cœur les formants de la discorde. J’aurais voulu que l’auteure choisisse d’y creuser son sillon, joue sur les oppositions entre les deux amants, sur leurs attentes, nous fasse plonger dans le précipice de cet amour impossible à vivre au quotidien.

Joanne Rochette a cependant prouvé ici qu’elle possédait une voix qu’on ne pouvait confondre avec celle de la masse. J’y prêterai sans doute attention lors de la sortie d’un prochain ouvrage, pourquoi pas un recueil de poésie?

Vous pouvez lire ici ce que les autres collaborateurs de La Recrue en ont pensé...

dimanche 13 mars 2011

Toxique

Une ville canadienne qui pourrait être Vancouver, Toronto, Montréal. Un matin tranquille. Hélène retrouve sa banlieue, ses tartelettes chinoises sous le bras, une non pas parmi une foule, mais quelques rares passagers. Un soubresaut de l'autobus, un étranger à la peau sombre rattrape sa boîte de pâtisseries, puis sa vie bascule vers l'horreur. Quelque chose - une substance chimique inconnue? - atteint son visage. Le chauffeur s'écroule, la femme perd ses repères. Aurait-elle été victime d'un acte terroriste? Nous ne sommes pas dans un film d'action, mais bien dans Toxique, la pièce de Greg MacArthur, présentée jusqu'au 26 mars au Théâtre d'Aujourd'hui. Mais que s'est-il réellement passé? La femme aurait-elle imaginé, déformé ce qui s'était passé?

L'auteur s'est inspiré d'un cas non élucidé datant de 2004, que la psychose post 9-11 avait enflé de façon démesurée. « Je crois que les racines de la peur, de la paranoïa et de la terreur ne résident pas dans un ailleurs lointain. Elles ne viennent pas de l'étranger. Je crois qu'elles se retrouvent plus près de chez nous, de nos foyers », explique lui-même MacArthur. Il ne propose donc pas tant un jeu de piste pour retrouver le coupable de l'« attentat », mais nous fait plutôt plonger dans le quotidien de cette femme (troublante de névrose Elise Guilbault) qui ne connaîtra plus jamais le repos. Elle s'acharne, elle veut justifier la peur. Elle consulte, essaie de multiples thérapies alternatives, veut qu'on puisse nommer sa douleur, cherche à retrouver sa vie d'avant, quand tout était si simple et que la vie se résumait en une succession d'heures passées à travailler, de repas préparés pour son mari (Guy Nadon, à la fois fragile et presque fiévreux d'intensité), des inquiétudes ressenties quand elle pense à sa fille qui fait du travail de terrain en Algérie, à son fils végétatif qui complète ses études universitaires. Ce faisant, elle empoisonne subrepticement tous ceux qu'elle chérissait et finit par se perdre dans un ailleurs mental bien plus terrifiant que la réalité.

Le texte de MacArthur est habile, haletant, admirablement rendu dans son fractionnement par la traductrice Maryse Warda qui s'est concentrée sur le rythme avant même de souhaiter transmettre le propos. Plus la pièce avance et plus, comme Hélène, nous éprouvons de la difficulté à respirer, oppressés par la psychose, troublés par le vide rassurant auquel tous cherchent à se rattacher. Une voix d'auteur différente, dont je suivrai le parcours avec intérêt.

samedi 12 mars 2011

Un smoking à la mer

Une (pas si) vieille dame indigne qui a notamment connu des heures de gloire comme chanteuse monte à bord d'un paquebot de croisière. Pour oublier les années qui passent, pour ressasser le passé, pour rendre dingues tous ceux qu'elle rencontre? Pas seulement. Et puis, elle croise la route deVittorio, pianiste italien qui a connu lui aussi une vie des plus rocambolesques. Le soir, seuls au monde pendant que les autres voyageurs sommeillent, ils se rencontrent, ils se racontent, entre deux gorgées d'alcool et quelques pas langoureux de danse.

L'histoire aurait pu se révéler banale, mais c'est sans compter sans la verve et l'humour décapant de Louis-Henri de la Rochefoucauld, qui a su avec ce deuxième roman trouver un ton autre pour raconter une histoire qui ne ressemble au final à aucune autre.
« Dans une croisière idéale sur un long fleuve tranquille, nous nous serions assis en tailleur, je lui aurais parlé sincèrement de mes souffrances et de mes hontes, il les aurait accueillies avec bienveillance tout en évoquant les siennes, et les partager ensemble nous aurait rendu la vie moins douloureuse. Mais tout le monde ne peut pas entendre ce que vous avez à dire, il y a trop de problèmes d'audition. La bouffonnerie s'impose alors par défaut comme le dernier gîte pour ceux qui arpentent les sommets à la recherche d'eux-mêmes et des neiges éternelles. » (p. 39)

En  quelques paragraphes à peine, on s'attache à Emily Marquises, presque férocement. On voudrait arborer fièrement le smoking, posséder sa dégaine, son aiguisé sens de la répartie. On se contentera de s'évader entièrement entre les pages d'un livre et accepter de se faire raconter une histoire. Il n'y a là certes rien d'anodin. 

Un grand merci à Caroline qui m'a gentiment envoyé ce titre qui me faisait de l'œil  alors que j'étais en Allemagne (histoire de sauver quelques faramineux frais de poste).

jeudi 10 mars 2011

L'ego est dans le frigo

Votre maison est votre havre de protection et plusieurs analystes se sont déjà penchés sur ce que votre intérieur révélait sur vous. En tentant de répondre à cette question (la série « In your room »), la photographe Stéphanie de Rougé s'est d'abord rendu compte que, dans les villes modernes qui sont devenues les nôtres, plusieurs trouvaient refuge sur leurs toits (ce qui lui a inspiré la série « On your roof »).

Elle a décidé de briser le dernier tabou, celui du partage du frigo (« In your fridge »). Elle raconte d'ailleurs que la plupart de ses sujets étaient particulièrement réticents à lui ouvrir les portes de leur réfrigérateur, lui proposant de revenir le lendemain ou refusant carrément d'obtempérer (et ce, après une séance photo « régulière »). Cela donne une série de portraits fascinants, qu'on peut visualiser sur le site du Monde Magazine parce que, oui, on peut vraiment trouver de tout dans un frigo, des bouteilles de champagne aux vêtements ou aux autels élevés à Barbie.

Vous souhaitez en savoir plus sur cette artiste qui travaille principalement à New York (et y a même ouvert une école de photographie pour enfants)? Visitez son site ici...

mercredi 9 mars 2011

Le Consul

Je couvre l'Opéra de Montréal pour la revue Jeu depuis la saison dernière et peux donc assister à chacune des productions, crayon en main. (Le prix à payer: lors des entractes, la personne qui m'accompagne doit néanmoins subir mes griffonnages de mots-clés, mes commentaires à chaud et mes esquisses plus ou moins habiles des décors pendant quelques minutes avant que je ne puisse échanger avec elle.) Oui, certains opéras sont des chefs-d'œuvre (il n'y a pas une seule note de trop dans La flûte enchantée de Mozart, ce qui n'est certes pas le cas de nombreux ouvrages), mais ils sont parfois servis par une scénographie maladroite, une mise en scène floue ou une distribution inégale. Il est donc assez rare que, le même soir, je puisse accorder un A symbolique autant à la musique, au livret, à la mise en scène, à la scénographie, aux voix des chanteurs qu'à la pertinence de la production. C'est pourtant le cas cette fois-ci, avec cette très belle production de l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal du Consul de Menotti.

Avec un budget qui n'a rien de faramineux, ce spectacle qui met en lumière des stagiaires de l'Atelier lyrique, des « artistes invités » (jeunes professionnels en début de carrière) et des étudiants de l'École nationale de théâtre (décors, costumes, éclairages) est l'un des plus intéressants qu'il m'ait été donnés de voir au cours des dernières saisons. La musique de Menotti - décriée fort inutilement par plusieurs -, servie ici par un arrangement des plus efficaces pour septuor (quintette à cordes, piano et clarinette), dirigée avec énergie et précision par Claude Webster, continue de parler au cœur. De plus, soixante après sa création, il faut bien admettre que le livret (également signé Menotti, qui comprend plusieurs vers particulièrement ciselés) n'a pas pris une seule ride et que rien n'a changé: nous sommes encore et toujours des numéros, démunis face à la puissance de l'état.

Aucune faiblesse marquante du côté des interprètes. Si Caroline Bleau n'a semblé prendre possession entièrement du personnage de Magda Sorel qu'au deuxième acte (peut-être s'économisait-elle, le rôle étant exigeant) et, comme d'autres chanteurs de la distribution, semble avoir de la difficulté à mordre dans les syllabes finales du texte anglais, elle a certes démontré qu'elle avait toutes les qualités requises pour à la fois émouvoir et transporter le public. Étienne Dupuis en John Sorel plus grand que nature habite l'espace avant même d'ouvrir la bouche. Christiane Bélanger (la mère) possède un joli timbre de voix et a su intégrer avec fluidité les indications du metteur en scène. Saluons ici également Aidan Ferguson, en secrétaire pas si impassible, Aaron Ferguson, en magicien loufoque, et Philip Kalmanovitch, en agent de la police secrète qui donne littéralement froid dans le dos.

Il vous reste encore trois chances de vous glisser en salle (les billets sont des plus abordables, entre 31 et 40 $): ce soir, vendredi et samedi.

lundi 7 mars 2011

Diriger l'écoute

Il y a une dizaine de jours, j'ai croisé des copains au concert d'Anne-Sophie von Otter et Brad Mehldau. Les deux venaient entendre la soprano et n'avaient aucune idée de l'identité du pianiste, les mondes du classique et du jazz étant trop souvent cloisonnés - ce que je trouve vaguement paradoxal, considérant combien le jazz devient presque le nouveau classique et est maintenant enseigné de façon très académique dans les universités. Cela aurait pu être n'importe quel autre pianiste, au fond, pour eux, aucune importance.

Je n'ai évidemment pas pu m'empêcher de vanter la musicalité de Mehldau qui, soit dit en passant, travaille plus souvent des œuvres classiques qu'il ne compose quand il n'est pas sur la route. Pour moi, ce soir-là, malgré certains tics « pop » dans une des deux pièces pour piano seul de Brahms interprétées, il a démontré hors de tout doute qu'il n'était pas qu'un jazzman ou un improvisateur brillant, mais bien un musicien admirablement complet, à la sonorité toujours contrôlée, et un accompagnateur doué, d'une remarquable écoute.

Quelques jours après le concert, j'ai reçu un courriel d'un des deux comparses, que je reprends ici. « Le fait que tu aies dit que tu aimais beaucoup ce pianiste a fait toute la différence; j'ai écouté le concert d'une façon différente. » Je ne partage pas ces mots pour tenter de vous faire croire que je possède un goût imparable ou vous annoncer que je compte me recycler dans la prévision de tendances. Rassurez-vous. Cela m'a tout au plus confirmé qu'une écoute dirigée est toujours plus attentive.

Ainsi, presque quotidiennement, j'échange des suggestions d'écoute avec un ami. Les choix peuvent aller de Scarlatti à John Adams, en passant par une foule de compositeurs « inconnus », découverts « par hasard » au gré des associations. Je connais bien les goûts éclectiques de mon interlocuteur et suis toujours ravie de pouvoir écouter du nouveau répertoire, parce que les canons du répertoire, parfois, quand même, on s'en lasse un brin. Quand il me dit qu'il a écouté en boucle telle œuvre la veille, forcément, je me mets dans un état de disponibilité autre. Il est plus symphonique, je suis plus musique de chambre ou récital. Nos goûts se complètent, nos suggestions se répondent.

Il y a quelques jours, j'ai pris le temps d'écouter le travail vaguement inclassable de Francesco Tristano, pianiste luxembourgeois dont j'ai connu l'existence alors que je lisais une revue allemande de musique classique à Berlin (vive le village global), qui vient de sortir un album Bach/Cage. Même si je sais que le puriste en lui a probablement vaguement crissé des dents, je n'ai pas hésité à lui lancer cette balle courbe. Les amis, c'est aussi fait pour ça, non?


samedi 5 mars 2011

Pluie

Vous ronchonnez car on annonce de la pluie cet après-midi et que cela vous coupe toute possibilité de pratiquer vos sports d'hiver préférés? Tout dépend peut-être du type de pluie annoncé, non? Quand elle se transforme sous les doigts de Perpetuum Jazzile, c'est quand même autre chose.

mercredi 2 mars 2011

Tourner une page

Dans la fébrilité du retour (et surtout la course folle au rattrapage de temps investi ailleurs), j'ai à peine réalisé qu'une page se tournait. En effet, après avoir cessé en mai 2009 la parution de la version papier de La Muse affiliée, après avoir entretenu (ou plutôt tenter d'entretenir, les collaborateurs habituels se sentant tous plus ou moins défaillants) une version électronique pendant un an puis laisser le site plus ou ou moins en friche depuis, j'ai décidé de ne pas renouveler mon nom de domaine. Quelques messages insistants de l'hébergeur me rappelaient qu'il était temps de débourser de nouveau pour assurer la continuité, mais ma décision était prise: j'étais prête à laisser s'éteindre doucement le projet. N'empêche, hier, quand j'ai tapé l'ancienne adresse et me suis retrouvée devant une page de pub qui indiquait que le domaine était en « suspens », le propriétaire n'ayant pas encore renouvelé les droits (je dispose d'un sursis symbolique de quelques jours pour payer, ce que je ne ferai pas), cela m'a tout de même fait un petit pincement.

Rassurez-vous, j'ai des archives papier de tous les numéros et ai plusieurs dizaines d'exemplaires en réserve, si, un jour, un lecteur souhaitait feuilleter ou se procurer un ancien numéro. J'ai des archives PDF des derniers numéros et peux donc également les partager sans problème. Plus étrange peut-être, il y a quelques jours, j'ai reçu une demande d'abonnement de la France, la première depuis des lustres. Comme un dernier clin d'œil avant que le rideau ne s'abaisse.

Je ne vous raconte pas cela par pure nostalgie, rassurez-vous. Je suis quelqu'un qui, foncièrement, regarde vers l'avant, et ne se retourne que très périodiquement, histoire d'apprécier le chemin parcouru et jamais de me morfondre d'un « C'était le bon temps ». Je suis néanmoins très consciente de ce que je dois à La Muse affiliée. En mettant la publication sur pied en septembre 2008, je souhaitais rejoindre d'autres professeurs, isolés dans leur studio de pratique. Ce que je n'avais pas prévu alors était que ce geste de transmission, ce trait-d'union, mènerait très rapidement à une pratique journalistique régulière, qui me permettrait de développer une certaine crédibilité professionnelle (et ce, même si la plupart de mes élèves ne réalisent pas ce que je fais aussi dans la vie) et même de pouvoir m'entretenir avec certains géants du monde du classique, Je ne pourrai certes jamais oublier que j'ai parlé à Dieu lui-même (Alfred Brendel), mais aussi à tant d'autres qui ont su m'inspirer en tant qu'interprète, pédagogue, journaliste ou simple humain.

La Muse affiliée, cela aura été aussi de belles complicités entretenues avec deux amis graphistes, un fidèle réviseur, des collaborateurs bénévoles qu'il me faisait plaisir d'accueillir à chaque printemps pour un repas de réjouissances symbolique. Parce que, oui, encore et toujours, l'essentiel ici, c'était le partage.