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samedi 24 janvier 2015

Ballet BC: trois fois bravo

Ballet BC prouve hors de tout doute ces jours-ci au Théâtre Maisonneuve qu’il a atteint l’âge de la maturité, mais surtout de la diversité. Difficile de trouver plus opposées – mais en même temps complémentaires – que les trois chorégraphies proposées aux amateurs montréalais, toutes interprétées avec précision et finesse par les 18 membres de la troupe.

Pour lire ma critique, passez chez Jeu...

mercredi 8 janvier 2014

Et les amoureux auront des cataractes

L'expérience théâtrale est-elle plus signifiante quand présentée dans une salle à l'italienne? Bien sûr que non. Comme des dizaines d'acteurs l'ont fait auparavant - notamment en Argentine au cours des dernières années -, Tati Production a choisi de monter Et les amoureux auront des cataractes, deuxième pièce de Cassandre Émanuel, dans un loft qui n'accueille que 20 spectateurs chaque soir, facilitant un contact plus intime avec le public.

Il fallait être sérieusement motivé pour oser braver le froid sibérien et s'aventurer dans le secteur des manufactures sises à l'extrême Est du sinon très branché Mile-End. Pourtant, même avant le début de cette pièce volontairement multidisciplinaire, on se sent étrangement à l'aise dans ce lieu aéré, aux planchers de bois, assis sur un long banc faisant face à une cuisine qui fait rêver (une création d'Adrien Destelle, Shaun Guilbeault et Malcolm Michaud).

L'esprit déjà s'ouvre, prêt à accueillir l'histoire de Victoria et Lucien, frère et sœur unis, aux langages complémentaires. Victoria, une spécialiste de l'infra-littérature, enseigne le français au collégial et soumet ses élèves à des lectures n'ayant rien d'académique, convaincue de la nécessité de commencer une étude de la littérature par celle d'une certaine sous-culture, afin de pouvoir ensuite s'élever vers ce que certains nommeront les classiques. Lucien ne rêve que d'une chose: danser de nouveau. A-t-il subi des blessures lors d'une production précédente? Son esprit garde-t-il en partie prisonnier son corps? On ne le saura jamais, mais cela ne brime en rien la linéarité morcelée de la trame narrative, à laquelle se greffera bientôt George, inconnu rencontré par Victoria dans une bibliothèque. Leur histoire est bien sûr condamnée dès les premiers instants. Les relations ne le sont-elles pas toutes? Après tout, « mourir devient pas mal la seule fin. Y'a rien d'autre qui arrête vraiment une histoire... Le reste, c'est du tirage de cordes, c'est de la manipulation, des angles. Mais a-t-on vraiment besoin d'arriver quelque part? Si tu mets pas de but à la fin, t’as pas de trame qui y mène, donc t’as pas d'histoire ».

Malgré ce constat qui sous-tend l'arc entier de l'oeuvre, série de tableaux vivants, entre théâtre et ballet, avec des emprunts au monde de la marionnette, Et les amoureux auront des cataractes ne démontre aucune lourdeur. Si Monsieur Victor, première pièce d'Émanuel, m'avait paru par instants un peu diffus, cette fois, les maladresses semblent presque entièrement gommées. Pendant plus de 90 minutes, on suit avec intérêt le destin des trois personnages principaux, autour desquels gravitent « les ombres », non pas tant face sombre des personnages que soutien essentiel, portant littéralement les personnages à bout de bras et les plaçant de façon presque plastique dans une situation ou l'autre. (Un baiser n'aura sans doute jamais paru si plaqué.) Ils offrent ainsi un contrepoint bouleversant lors de cette scène pendant laquelle Lucien tente désespérément d'écrire quelques mots dans son petit carnet noir, chaque ombre magnifiant son désespoir.

Le clin d’œil voulu au Songe d'une nuit d'été de Shakespeare fonctionne parfaitement ici, notamment à travers une mise en abîme savoureuse dans laquelle George devenu Bottom porte une énorme tête d'âne et Victoria (alias Titania) une tête de princesse, quelques ombres prêtant leur visage à de petites marionnettes. Jamais on n'oublie que l'on est dans la tête de l'auteure - ou au théâtre -, que les personnages, même s'ils souhaiteraient pouvoir vivre un destin parallèle, sont irrémédiablement prisonniers. Le fait que Lucien danse offre à son personnage une émancipation supplémentaire, avant que la source même du geste ne se révèle tarie.


Bien encadré par Cassandre Émanuel et l'assistante metteure en scène Mélanie Primeau, le trio d'acteurs principaux évolue sans fausse note. Dominique Piché campe une Victoria juste assez décalée et romantique pour être attachante, Simon Fournier livre un Lucien habité par le mouvement, mais transmet avec une belle profondeur la parole de l'auteure, alors que Tommy Lavallée offre un George fragile sans être entièrement désabusé, néanmoins conscient de la précarité même de son existence.

Une parole vivante, actuelle, une transmission soignée et un mélange des genres tout à fait réussi.

Vous pouvez vivre l'expérience toute la semaine prochaine encore. Détails ici... 

samedi 18 mai 2013

Rêver, dit-il

Stephan Thoss avait séduit il y a deux ans avec Searching for Home, certainement l'un des ballets les plus mémorables présentés dans les dernières années. Gradimir Pankov a eu l'excellente idée de réinviter le chorégraphe allemande, cette fois avec une carte blanche, pour la création d'un ballet qui saurait s'adapter aux Grands Ballets Canadiens. Alors que Searching for Home rendait floue la ligne entre souvenirs et présent, conscient et inconscient, Rêve va encore plus loin, en proposant une fable sur la création et ses affres. La rêveuse écrit des histoires, mais ne réussit jamais à les assumer entièrement, comme si elle donnait vie aux personnages, mais ne pouvait suffisamment les ancrer dans une certaine réalité pour qu'un arc narratif s'en détache. Chaque soir, en un pas de deux avec son inconscient, elle essaie d'aller un peu plus loin, mais reste toujours en retrait.

On serait tenté de détourner une célèbre citation de Magritte, source d'inspiration du monde onirique évoqué par Stephan Thoss et d'affirmer: « Ceci n'est pas un ballet. » Thoss va très loin ici dans la recherche d'une forme d'art totale, intégrant au mouvement projections, travail sur la plastie des tableaux (quelle belle réappropriation des toiles de Magritte qui finissent par enfermer la créatrice dans ses doutes) et une remarquable sculpture des volumes grâce aux éclairages de Thoss et Marc Parent. Tributaire de la danse expressionniste allemande, le travail sur les lignes et leur décomposition demeure remarquable, mais l'expérience Rêve va beaucoup plus loin. Le maître-d’œuvre (Thoss ayant aussi travaillé aux décors, aux costumes et à la trame musicale) nous plonge dans les rêves d'une autre, tantôt ludiques, tantôt étranges, parfois terrifiants, mais ce faisant, ouvre la porte de notre propre inconscient, notre lecture des tableaux se trouvant teintée par nos référents, nos souvenirs, nos peurs. L'expérience peut se révéler à la fois déstabilisante et exaltante.

Thoss a su offrir un écrin idéal aux danseurs des Grands Ballets Canadiens, en multipliant les formations et la palette expressive. (Ce ballet des ombres restera sans doute dans les mémoires.) On sent également toute l'attention portée au rythme, tant dans les gestes que dans la trame sonore elle-même, travaillée en strates, qui mise tour à tour sur la pulsation (le « Plain to Spain (Bolero) » tiré de The Ninth Gate de Wojciech Kilar par exemple), une certaine cérébralité (le traitement des volumes lumineux accompagnant la « Sarabande » de la Suite française en do mineur de Bach), un sentiment d'oppression (des extraits de quatuors de Chostakovitch) ou devient carrément ludique avec It's a Man's Man's Man's World (quelle délirante robe de lumière que celle-là!).

On regrettera peut-être tout au plus que la vidéo, à quelques reprises plus proche de Dali et Bunuel ou de Fritz Lang que de Magritte, détourne parfois l'attention des pas dansés à l'avant par la rêveuse et son double, l’œil se sent d'abord happé par les images projetées plutôt que par celles qui s'esquissent en temps réel. Cela reste une réserve bien minime et l'on se prend à vouloir revoir le ballet, dans un état d'esprit autre, histoire de comprendre comment il agira cette fois sur notre conscient et notre inconscient. À voir d'ici au 25 mai!

samedi 27 mars 2010

Soirée Kylian

J'avais bien besoin d'une soirée réussie au ballet pour me faire oublier l'ennui profond ressenti devant La Sylphide, dansée pourtant de façon extrêmement précise par le Ballet de Guangzhou il y a quelques semaines. Si certaines œuvres demeurent éternelles, certaines vieillissent mal et c'était certes le cas alors. Rien de tel hier soir alors que les Grands Ballets Canadiens proposaient un triplé Jiri Kylian, remarquablement dosé. (Certains chefs auraient d'ailleurs eu avantage à assister à la représentation pour comprendre comment un pacing efficace peut transformer une soirée...)

La soirée s'ouvrait sur son classique Symphony of Psalms, basé sur l'œuvre trop peu jouée de Stravinski, profondément poétique, inspirée et troublante. Huit femmes, huit hommes, huit chaises, un mur couvert de tapis. Les couples se font, se délient, des lignes  se forment. On y ressent aussi bien le désespoir que l'introspection, l'exaltation qu'une certaine tendresse, les lignes néoclassiques s'adaptant parfaitement aux pages de Stravinski.



La pièce de résistance est sans doute Bella figura. Le titre fait référence à l'expression italienne qui veut dire « faire belle figure ». Kylian y déconstruit ici les apparences. Quand le ballet commence-t-il vraiment? Alors que les danseurs s'échauffent, seuls dans leur univers? Alors que le rideau se lève? Quand la musique débute? Le chorégraphe déconstruit les corps, parfois de façon ludique, parfois plus impudique. Si certains pas de deux nous plongent dans un certain ravissement, d'autres passages nous renvoient rapidement à notre propre propension à dissimuler la détresse, la colère, à se protéger du regard des autres. Porté par des pages de Pergolesi, on en sort presque bouleversé.



Un bonbon absolument délicieux était offert en fin de programme, une relecture décalée et souvent hilarante des Six danses de Mozart (qui aurait adoré un tel traitement, j'en suis certaine). Kylian se sert admirablement des traits musicaux pour les magnifier en gestes, utilise costumes et accessoires avec une redoutable efficacité (robes sur roulettes, perruques qui explosent de poudre, robes qui prennent des formes multiples). Une grande soirée (reprise ce soir pour les intéressés).