lundi 30 janvier 2012

De la vitalité de la scène contemporaine montréalaise (2/2)

Vendredi soir, Chapelle historique du Bon-Pasteur, un noyau de fidèles s'était déplacé pour assister à la création de Thomas devant la fontaine éteinte de Nicolas Gilbert. « C’est une sorte d’ovni », admet lui-même le compositeur-romancier, maintenant dramaturge, dans sa note de programme. « Est-ce une pièce de théâtre?  Oui, sans doute. Est-ce une œuvre musicale? Certainement. Du théâtre musical? Je n'en suis pas sûr. J'ai tenté de créer un équilibre entre le texte et la musique, de faire en sorte qu'aucun des deux langages ne prenne le dessus sur l'autre. C'est donc, en ce sens, un projet qui tient du funambulisme.J'ai aussi cherché à ce qu'il n'y ait pas de redites: le texte et la musique devraient être complémentaires, indispensables l'un à l'autre. Plus qu'un décor, le quatuor est une sorte d'extension de la personne de Thomas. »

Je connais bien l'univers romanesque de Nicolas Gilbert, ayant lu avec un  plaisir certain ses trois titres, et ai écouté avec attention ses œuvres musicales recensées sur Musiflots et sur son site. Jusqu'ici, ce touche-à-tout avait résisté à la tentation de mêler les deux mondes, mais l'appel s'est cette fois-ci manifesté de façon suffisamment puissante pour qu'il ose ce « métissage », en un prolongement naturel de son roman La fille de l'imprimeur est triste, une superposition de deux destins, l'un contresujet de l'autre.

Avec Thomas devant la fontaine éteinte, Nicolas Gilbert nous propose un étonnant voyage dans la banalité, pourtant aucunement banalisée. Comme tant d'autres, Thomas sort d'un divorce douloureux et doit retrouver ses repères dans un nouvel appartement, un nouveau quartier, avant de pouvoir considérer replonger dans le monde professionnel. Il nous raconte, avec une désarmante simplicité - qui évite la facilité -, cette transition, entre l'avant et le maintenant, à travers des souvenirs d'un premier amour non assumé (la bien nommée Isabelle Jolicoeur, « délicate comme un papillon du printemps »), d'un mariage loin d'être idéal ou idéalisé avec Émilie et une contemplation des mouvements des passants autour de la fontaine du titre. « Quelque chose va se jouer maintenant », dit-il d'ailleurs. Il découvrira une adolescente lisant Harry Potter, aidera une vieille dame qu'il a d'abord percutée dans une folle poursuite de la « sublime et délicieuse » Isabelle (mais cette vision n'est-elle pas simplement celle de l'idéal féminin?), finira par retrouver souffle et inspiration nécessaire pour reprendre son travail... de musicien.

Le Quatuor Bozzini, qui privilégie les mariages des genres (et dont j'avais beaucoup aimé la lecture d'Ange noir de George Crumb) a créé à ce jour un nombre impressionnant de nouvelles œuvres. Il s'est révélé un complice idéal idéal,  transmettant la profondeur de la partition, l'intimité dans le traitement des timbres et un lyrisme non dépourvu d'une certaine sombreur. Le quatuor devient tour à tour narrateur, personnage, émotion sublimée, tableau sonore, prolongement du texte et moteur de son développement. Le soliloque du violoncelle qui se tresse au douloureux constat  de Thomas quand il réalise que la jeune femme entrevue n'est pas Isabelle Jolicoeur, superbement interprété par Isabelle Bozzini, permet par exemple une troublante juxtaposition entre rancœur évoquée par le narrateur et solitude musicale. Quand la fontaine se remet en marche, la musique de Nicolas Gilbert facilite un parallèle entre l'eau et le sang qui coule dans les veines (clin d’œil indirect à Fonctions vitales, entendu la veille), en une délicate apothéose qui mènera à une passation des pouvoirs symbolique entre acteur et premier violon qui, soutenu par les trois autres membres du quatuor, reprend enfin pied dans sa réalité, en se réappropriant les bases du langage musical.

Jeune diplômé de l'École nationale du théâtre du Canada, Simon-Pierre Lambert offre une narration fluide, particulièrement quand il réussit à se détacher entièrement du texte pour devenir Thomas, qu'il habite avec conviction, tant dans le registre banal qu'exalté. On souhaiterait le voir de nouveau incarner le personnage (peut-être dans le cadre d'une tournée des maisons de la culture?), de mémoire, avec une mise en scène légère, doublée de quelques éclairages soignés.

dimanche 29 janvier 2012

De la vitalité de la scène contemporaine montréalaise (1/2)

Deux soirs de suite, deux quatuors montréalais engagés, deux programmes n'ayant que peu en commun, hormis de mettre en lumière la musique contemporaine d'ici.

Jeudi, la SMCQ avait comme invité le Quatuor Molinari, qui nous présentait « Quatre par quatre », quatre lectures de quatuors à cordes d'ici, tous écrits pour le Molinari entre 1998 et 2007, ce qui a permis aux interprètes de retrouver des œuvres, de les approfondir, de les mener ailleurs, avec ce sérieux et cette maîtrise assumée dont fait toujours preuve le quatuor.

La soirée s'ouvrait par Como in un film di... de Silvio Palmieri, peut-être la partition la plus atmosphérique entendue, mais qui laissait une impression de n'effleurer que la surface du propos, la coda relevant plus de la surprise que du prolongement naturel. Créé la même année (2007), Fonctions vitales de Nicolas Gilbert proposait une transposition musicale de la respiration (particulièrement organique), de la circulation (bouillonnement habilement rendu) et de la conscience, un collage étourdissant dans lequel le compositeur a tissé une centaine de citations de quatuors, en un hommage aux compositeurs d'hier (de Haydn à Ravel) et à des interprètes qui, même s'ils se consacrent à la musique d'aujourd'hui, ne peuvent bien évidemment renier leurs racines. Blanc dominant d'Ana Sokolovic, compositrice vedette de la série hommage 2011-12, s'est révélée une œuvre dense, aux contours bien définis, hommage aux toiles du peintre qui a donné son nom au quatuor, et comprenait plusieurs  trouvailles astucieuses, tant au niveau des textures que de l'opposition entre verticalité et horizontalité.

La deuxième partie du concert était entièrement consacrée à Le grand méridien de Walter Boudreau, relecture d'une page d'abord commise en 1998 pour un documentaire de Marie Décary qui retraçait le parcours Roland Brener et Michel Goulet à la Biennale de Venise. D'esprit baroque (car inspirée d'un motet du compositeur Tomas Luis de Victoria) mais ancrée dans le 21e siècle, l’œuvre est bien plus qu'un détournement d'unissons et d'introductions maîtrisées de dissonances. Elle rejoint l'auditeur, le mène dans une série de questionnements sur les métissages musicaux, mais surtout touche par sa réelle beauté. On sort du concert avec l'impression d'avoir été mis en face d'une œuvre assurée, assumée, qui se laisse découvrir encore plus à chaque lecture. (Le début de la partition peut être lue ici...)

Je vous parle demain de la création de Thomas devant la fontaine éteinte de Nicolas Gilbert

vendredi 27 janvier 2012

Zum Geburstag Mozart!

Journée particulièrement maussade à Montréal, entre gadoue, pluie, grisaille, déprime saisonnière... Et pourtant, au milieu de tout cela, c'est l'anniversaire de l'homme de ma vie, celui qui ne m'a jamais déçue depuis notre première rencontre, alors que je ne disposais encore que d'un piano-jouet pour m'exprimer en musique. Vous aurez bien sûr reconnu ce cher Wolfgang Amadeus.

Je m'en voudrais de ne pas m'arrêter une seconde pour le voir souffler... 256 bougies! Bonne nouvelle, avec un tel gâteau, il y en aura pour tous!

mercredi 25 janvier 2012

L'homme de la Saskatchewan

La voix de l'auteur Jacques Poulin reste unique, peu importe qu'on plonge dans un livre récent ou un de ses désormais classiques. Lentement mais sûrement, parce que son écriture ne se laisse apprivoiser que si l'on accepte pendant quelques heures de vivre et respirer à un autre rythme, je fais le tour de son œuvre. J'aime cette façon dont il dépeint Québec, l'Île d'Orléans, nous permet de rêver un instant à une vie qui, même si en apparence non spectaculaire, déborde d'instants prégnants.

En lisant L'homme de la Saskatchewan, son dernier opus, j'ai aussi réalisé que, mine de rien, Jacques Poulin est un militant, que la défense de la langue, d'une identité, d'une pensée indépendante, imprègnent de plus en plus ses pages. Il transmet une urgence de dire, de vivre, que l'on soit Québécois ou Métis, comme Isidore Dumont, le gardien de but dont le petit frère de Jack Waterman doit écrire l'« autobiographie », ce qui permet à Poulin de traiter de l'anglicisation du hockey (alors que le mythique Canadien vient de nommer un entraîneur anglophone...) mais aussi du Québec. Après tout, comme le prônait le titre de son précédent roman, L'anglais n'est pas une langue magique.

Mine de rien, Poulin en profite aussi pour nous donner une petite leçon d'écriture, alors que Jack offre quelques pistes de réflexion à son frère qui se demande comment il pourra passer de lecteur à auteur.

 « Premièrement, tu dois te débarrasser de tous les mots qui ne sont pas indispensables. Les adverbes, les séries d’épithètes, c’est comme de la dentelle, alors tu les enlèves. Ensuite, si tu veux garder le lecteur éveillé, il faut varier la construction des phrases. Troisièmement, pour que ton texte fasse entendre de la musique, tu essaies d’évier les hiatus dans l’enchaînement des mots. Et puis, le lecteur doit respirer; il faut lui donner de l’air en multipliant les alinéas, les phrases courtes et sans verbes. »
Dans une entrevue parue dans Le Soleil, il affirme d'ailleurs: « Vous ne pouvez pas savoir à quel point j'ai retravaillé ce roman, afin de le simplifier, le dégager des mots inutiles et des lourdes autoanalyses. Quand je cédais à la tentation de l'introspection, je l'éliminais à la relecture. J'ai voulu décrire les simples faits, sans fioriture... et sans confiture! » À lire dans son intégralité ici...

lundi 23 janvier 2012

Se faire rappeler certaines choses...

Quand j'ai appris le décès du pianiste Alexis Weissenberg il y a deux semaines, j'étais abasourdie. Je ne l'ai jamais entendu en concert, puisqu'il a cessé de jouer il y a une trentaine d'années pour livrer un rude combat contre le Parkinson. Pourtant, le nom faisait partie de mon bagage de musicienne et j'avais encore en tête certaines lectures de Rachmaninov, Debussy et Bach.  Le jour même, je suis allée piocher dans les archives de Naxos, l'ai entendu dans les concertos de Brahms. Le lendemain, j'écoutais son Clavier bien tempéré avec des oreilles autres. Comme quoi, un grand artiste ne se tait jamais entièrement.

Je vous propose de l'entendre, d'abord en entrevue, répondre à certaines interrogations qui empêcheront à un moment ou l'autre un interprète sinon de dormir, du moins d'avancer.
« J'aime le risque parce que d'abord, le risque vous excite, vous réveille et à partir de ce réveil, on peut aller très loin, y explique-t-il. Je crois que le grand devoir d'un artiste, c'est de se familiariser avec soi-même d'abord, pour pouvoir expulser ce qui est de trop et exposer ce qui est de mieux. On ne découvre pas la musique, on se découvre en musique, c'est une différence très importante. »



Je vous offre également sa lecture du célèbre Jesus bleibet meine Freude (Jésus, que ma joie demeure), datant de 1969, qui n'a rien de sage. (N'est-il d'ailleurs pas inspirant de constater qu'en allemand, joie et ami sont si proches dans leur graphie?) Un rappel essentiel qu'un jeu n'a pas besoin d'être aseptisé et peut faire vibrer, malgré certaines libertés prises, certains risques assumés.

samedi 21 janvier 2012

Au commencement la nuit était musique

Déjà, le titre s'avérait un véritable poème, mais quand, en lisant le quatrième de couverture, j'ai su que les personnages principaux du roman étaient Franz-Anton Mesmer et Maria Theresia von Paradis, pianiste pour laquelle Mozart écrivit son Concerto K. 456, j'étais vendue d'avance.

N'empêche, le livre ne se laisse pas apprivoiser comme une piécette de style galant, bien au contraire. L'écriture d'Alissa Walser, auteure de deux recueils de nouvelles, de pièces de théâtre et de livres pour enfants (qu'elle illustre elle-même) mais qui a aussi traduit Sylvia Plath en allemand, est dense, chargée, voire poétique. Elle déconstruit avec une habileté étonnante le rythme des phrases, souvent très courtes.
« Mieux vaut commencer tout de suite. Sans trop de mots. Les mots distraient. Et Maria réagit vivement à la parole. Comme à la douleur. »  
Le lecteur s'y glisse, les fait siennes, en dégage leur musicalité inhérente, qu'elles évoquent la rencontre entre Maria et Mozart (délicieux intermède!), les séances de magnétisme de Mesmer - dans lesquelles la musique joue un rôle essentiel -, les questionnements du chercheur attaqué par ses collègues de la faculté de médecine, les liens qu'il tisse avec sa femme ou ses patients, les doutes qui assaillent Maria qui, alors qu'elle semble récupérer la vue pendant un certain temps, perd le contrôle qu'elle détenait sur son instrument.  
« Elle joua en ouvrant les yeux et les oreilles, jusqu’à ce que son cœur se contracte sous les sons discordants. Ses doigts pleins d’espoir s’élancèrent une fois de plus avant d’entrer en collision comme des chevaux de calèche  cherchant à s’échapper de leur attelage. Aussi ignoble fut le son. En dépit de la technique. »

La narration joue plus sur l'évocation que la linéarité, les dialogues s'intégrant sans signes distincts dans le propos, comme un contre-sujet se greffe au sujet principal de la fugue, genre magnifiquement évoqué dans cette citation: « Ah, si seulement la vie était une fugue. Aucune voix ne resterait à l’arrière-plan. » Au fil des chapitres, l'auteure nous laisse ainsi libres de réécrire notre propre version de cette histoire, de nous attarder sur un motif, une texture, une image, une émotion. Un choix audacieux, qui donne envie de passer d'autres heures avec cette auteure.



jeudi 19 janvier 2012

Deux beaux livres qui traitent de la scène opératique d'ici

La création se porte bien au Québec, notamment celle d'opéras, que ce soit au niveau de mises en scène qui repoussent les limites du genre - par exemple Le Rossignol, Renard et autres fables de Robert Lepage - ou de la création de nouvelles œuvres - comme en témoignait éloquemment, en mai dernier, le spectacle 20e anniversaire de Chants libres.

Deux très beaux livres, à prix doux (22,95 $ dans le premier cas, 20 $ dans le second) ont été lancés au cours des derniers mois en lien avec ces moments-phares et je m'en voudrais de ne pas vous en glisser mot. On ne parle pas ici d'objet « table à café » (vous savez, ces livres aux pages glacées, débordant de photos léchées, qu'on laisse traîner négligemment mais qu'on feuillette en fait plutôt rarement), mais bien de prolongement de l'expérience scénique vécue.

Dans Le Rossignol, Renard et autres fables, aux éditions Alto, on propose un parcours aussi bien musical et pictural. Bernard Gilbert y signe des textes qui refusent la facilité mais se veulent aérés, qui transmettent des informations aussi bien sur Stravinski lui-même et ses œuvres scéniques majeures que sur les pages retenues par Robert Lepage dans l'articulation de son spectacle. Des notes de programme qui s'adressent à tous (sans adopter un ton réducteur) sont intégrées, prolongement historique et stylistique à la matière visuelle. La deuxième section du livre s'attarde à la genèse même du projet. Lepage y explique son choix d'unir marionnettes et opéra, évoque son séjour au Vietnam alors que, en compagnie de Michael Curry et Martin Genest, il se familiarise avec les marionnettes d'eau et un tableau des principales étapes de la création est présenté, des premiers instants d'exploration (en septembre 2007) à la première  en octobre 2009 à Toronto et aux reprises depuis à Lyon, New York, Amsterdam, Athènes et Québec. La dernière section s'attarde aux défis techniques (manipulation des marionnettes, comment jumeler chanteurs et marionnettes, traitement des éléments visuels, etc.) et comprend également les biographies des principaux intervenants.


Chants libres, Vingt ans de créations, un projet d'auto-édition, se veut un témoin du parcours exceptionnel de la compagnie dirigée par Pauline Vaillancourt. Cette dernière a fouillé dans les archives pour en extraire croquis, notes de création, réflexions intimes, manuscrits, commentaires des intervenants, ce qui permet de dresser un portrait en mots et en images des deux premières décennies de Chants libres. On ressent une réelle émotion à se plonger dans les photos officielles ou les croquis de scénographie, la lettre signée Claude Ballif (compositeur d'Il suffit d'un peu d'air, créé en 1992) qui regorgent d'indications précises sur l'opéra, cette page du manuscrit de Giacinto Scelsi des Chants du capricorne... Genèse de la création et synopsis des 13 opéras sont présentés, autant d'instantanés d'un parcours qui n'a rien de linéaire, qui continue de repousser les frontières. (J'attends avec impatience la création d'Alexandra, en mai...) Le livre est en vente chez Gallimard (Montréal) et chez certains distributeurs en ligne.

mardi 17 janvier 2012

Für Anna Magdalena

Quand il est venu accorder mon piano, Allan m'a demandé en quittant si j'avais dans mes tiroirs un conte musical ou un texte hybride, qu'il hébergerait avec plaisir sur son site. J'ai hésité une seconde, puis me suis rappelée d'une lettre fictive (mais dont les fondements musicologiques sont fondés, puisque j'ai fait des recherches autour de la date probablement de la création de l’œuvre) que Johann Sebastian aurait pu adresser à Anna Magdalena, sa complice au quotidien.

Ma mi, ma son de vivre,

Quand tu trouveras ces feuillets déposés sur ton instrument, j’arpenterai les corridors de Saint Thomas entre deux répétitions. Je sais combien, ces jours-ci, tu te sens alourdie par ce nouvel être que tu portes et que j’aime déjà de tout mon être. Même si tu penses que j’y suis aveugle, je collectionne les petits gestes d’amour que tu poses au quotidien : la préparation des repas et la tenue de la maison, la tendresse que tu témoignes à nos enfants, la façon dont tu leur transmets les rudiments de la théorie musicale, ton rire qui s’unit aux leurs lors des séances de jeux. Je reconnais aussi l’étincelle qui passe dans ton regard lorsque tu réussis à voler quelques instants pour t’asseoir à l’instrument, seule face à ta musique, que ta voix s’élève sotto voce, dans la nuit largement entamée.

 Pour lire le reste du texte, c'est par ici...

On peut écouter au même moment l'Adagio du Concerto italien, qui a inspiré ce texte aux contours flous...

dimanche 15 janvier 2012

L'amour au cinéma

Tous ne l’admettront peut-être pas mais, à un moment ou un autre, parfois avec un plaisir coupable, parfois de façon totalement assumée, nous avons cédé aux charmes de la comédie romantique. Qu’elle soit grinçante ou relève du conte de fées importe peu, elle nous permet de décrocher d’un quotidien qui nous étouffe ou de croire une seconde qu’amour peut rimer avec toujours. Dans L'amour au cinéma, premier recueil de nouvelles, Eveline Mailhot fait voler en éclats, avec un apparent malin plaisir, les poncifs du genre, en nous proposant des personnages d’une confondante banalité qui, au fil de scènes, sous des cadrages  et points de vue narratifs divers, révèlent leur densité.

Ainsi, « Le mari abandonné » devient de plus en plus troublé – et troublant – au fil des pages alors que le nymphomane de la deuxième nouvelle  se voit emporté par une spirale descendante frisant le pathétisme. Les héroïnes de « Le charme d’Agnès » et de l’éponyme « L’amour au cinéma » s’apprivoisent comme deux facettes d’un même prisme. « Face à la mer », premier de deux récits de vacances, d’une maîtrise remarquable, non dépourvu d’une certaine tendresse, s’inscrit en opposition totale avec  « Les joueurs fatigués », blasés, insipides, presque insupportables. « Après la course » me laisse encore perplexe. Quel lien le blessé entretient-il en réalité avec la sœur de son amoureuse?  Après lecture, impossible de trancher. La vie n’est-elle pas au fond une série de flous assumés et de fondus enchaînés? « Une petite partie de l’histoire de Freddy », dernière nouvelle, peut-être la plus achevée du recueil, nous offre un souvenir d’enfance,  touchant et douloureux, sombre et lumineux, dans lequel les livres jouent un rôle essentiel, tout comme l’apprentissage des codes de l’amitié.

Une plume à surveiller.


Vous pouvez lire ce que les autres collaborateurs de La Recrue du mois en ont pensé, mon édito et découvrir d'autres suggestions de lecture ici...

vendredi 13 janvier 2012

La journée est finie

Ouf, la semaine est terminée... enfin, pas tout à fait, car je pratique des semaines de six jours, avec cette idée rocambolesque de vouloir - un jour - maîtriser une autre langue. N'empêche, j'ai envie d'écouter Thomas Hellmann dans le tapis qui me jure que « La journée est finie ». (Après tout, c'est un vendredi 13!)

L'auteur-compositeur-interprète iconoclaste, né d'un père américain et d'une mère française, détenteur d'une maîtrise en littérature française de l'Université McGill, qui a déjà fait paraître cinq albums (dans les deux langues), se voit d'ailleurs offrir une carte blanche littéraire lundi soir. Il lira  et chantera ses auteurs préférés, dont les poètes beat John Giorno et Allen Ginsberg, Eduardo Galeano, Leonard Cohen, Roland Giguère, Samuel Beckett et Patrice Desbiens. J'ai hâte...

jeudi 12 janvier 2012

On trouve de tout...

Petit matin neigeux, rendez-vous avec mon accordeur, venu requinquer mon piano d'enseignement en ce début d'année. Me rappelant qu'un petit élève avait réussi avec un doigté incroyable à égarer une petite carte de note (de deux cm sur deux) l'année dernière alors que je tentais de lui inculquer (plus ou moins malgré lui) les bases de la lecture, je lui demande de soulever quelques touches pour pouvoir le récupérer. Un souvenir diffus (cela fait quand même plus de six mois) me pousse à lui indiquer l'octave sous le do central. Pas de succès. On enlève quelques autres touches, récupère non pas une mais deux cartes.

Une fois lancé, pourquoi s'arrêter en chemin? L'aspirateur et un pinceau sont offerts et il se met à nettoyer l'assise des touches dans son ensemble. (Cela n'avait clairement jamais été fait...) Et là, surprise, au milieu de la poussière, nous découvrons deux pages du Devoir datées de janvier... 1958! Malheureusement, on parle ici de nouvelles du sport (le « Rocket » allait arbitrer un match d'anciens à Vancouver), de cotes de la bourse (on peut notamment y suivre le « cours des huiles »!), d'annonces classées et d'avis publics, mais quand même... Pensait-on offrir une isolation à l'instrument de cette manière? Grand mystère...


mercredi 11 janvier 2012

Notes sur la mélodie des choses

« Et l’art n’a rien fait sinon nous montrer le trouble dans lequel nous sommes la plupart du temps. Il nous a inquiétés, au lieu de nous rendre silencieux et calmes. Il a prouvé que nous vivons chacun sur son île; seulement les iles ne sont pas assez distantes pour qu’on y vive solitaire et tranquille. L’un peut déranger l’autre, ou l’effrayer, ou le pourchasser avec un javelot – seulement personne ne peut aider personne. »
Rainer Maria Rilke, Notes sur la mélodie des choses (XI)
   « A cette fin, il faut avoir distingué les deux éléments de la mélodie de la vie dans leur forme primitive ; il faut décortiquer le tumulte grondant de la mer et en extraire le rythme du bruit des vagues, et avoir, de l’embrouillamini de la conversation quotidienne, démêler la ligne vivante qui porte les autres. Il faut disposer côte à côte les couleurs pures pour apprendre à connaître leurs contrastes et leurs affinités.   Il faut avoir oublié le beaucoup, pour l’amour de l’important. »
Rainer Maria Rilke, Notes sur la mélodie des choses (XXII)

dimanche 8 janvier 2012

Ana

La SMCQ (Société de musique contemporaine du Québec) rend hommage cette saison à Ana Sokolovic. Cet événement à grande échelle permet aux diverses sociétés  de glisser une ou des œuvres de la compositrice dans leur grille de programmation. Dans une volonté des plus louables de rejoindre la jeune génération, elle propose également une bande dessinée, signée Marie Décary et Élisabeth Eudes-Pascal, tirée à 25 000 exemplaires, disponible gratuitement aux professeurs qui en font la demande (seuls les frais de poste sont à débourser). L'objet permet d'apprivoiser de façon ludique la vie assez effervescente de la compositrice, de son Belgrade natal à Montréal, ville qu'elle a adoptée en 1992. Elle y complétera une maîtrise en composition avec José Evangelista, sera jouée dès 1995 sur la scène locale (puis nationale et internationale) et y rencontrera également celui qui allait devenir son mari (et père de ses deux enfants), le compositeur Jean Lesage.

La bande dessinée se dévore avec plaisir, que l'on connaisse ou non le travail de la compositrice. J'ai déposé l'objet entre les mains de plusieurs de mes jeunes élèves qui me l'ont tous remise avec un grand sourire après lecture. En complément, on retrouve quelques jeux d'écoute, une recette pour composer, un lexique, une biographie plus « officielle » de la compositrice, ainsi qu'une liste de ses créations marquantes.

La SMCQ propose également sur son site des capsules vidéo thématiques, dans lesquelles Ana Sokolovic parle de son parcours hors normes et de sa passion pour la composition ainsi qu'un guide de l'enseignant, qui facilite l'utilisation en classe. Le Centre de musique canadienne a de plus passé commande à Sokolovic pour Viva la musica!, une œuvre spécialement écrite pour harmonie et chœur scolaires, dont les partitions sont disponibles à coût minime ici...

vendredi 6 janvier 2012

Le coeur d'Auschwitz

La télé nous réserve parfois d'agréables surprises, au moment où on s'y attend le moins. Quand je l'ai allumée hier, je n'espérais rien, hormis peut-être quelque film de saison ou une émission pétrie de  bons sentiments qui sonne creux. Et pourtant... Radio-Canada avait décidé de présenter le documentaire Le cœur d'Auschwitz, véritable inspiration de courage et d'espoir. Le cœur d'Auschwitz est un objet étonnant: une petite carte de vœux qui se déplie comme un origami, fabriquée clandestinement par des prisonnières, pour l'anniversaire de l'une d'entre elles, Fania, le 12 décembre 1944. À l'intérieur, des phrases en hébreu, en français, en polonais, qui traversent l'âme, des décennies après. « Avec les autres, il faut rire. Quand tu pleures, cache-toi. » ou  « Quand tu seras vieille, mets tes lunettes et rappelle-toi de mon nom. » ou encore « Notre victoire, ce sera de ne pas mourir. »

En voyant l'objet, exposé au Centre commémoratif de l'holocauste à Montréal (il faudra absolument que j'aille enfin y faire un tour), le documentariste Carl  Leblanc a su qu'il tenait là quelque chose, sans trop savoir quelle forme le film prendrait. En effet, comment faire revivre cette histoire improbable de courage, le cœur de papier étant passé d'une main à l'autre, dissimulé par toutes celles qui l'ont portée, même lors de la Marche de la mort de janvier 1945? Il a retrouvé Fania Sainer (dont l'anniversaire était alors souligné), qui habite maintenant Toronto, s'est ensuite jeté sur les traces des autres, de l'innommable passé, de façon plus intuitive qu'objective.

Si la facture du documentaire reste assez conventionnelle et que par moments, on s'interroge sur l'insistance avec laquelle Leblanc presse les survivantes de se souvenir d'une époque qu'elles ont tout fait depuis pour oublier, on sort du visionnement bouleversé, bien sûr par l'ampleur du génocide (malheureusement pas le dernier), mais surtout par la luminosité qui perce à travers tout cela. De voir ces grand-mères, se retrouvant après toutes ses années, dénudant leurs avant-bras pour dire à haute voix le numéro tatoué, d'entendre ces enfants d'une des signataires évoquer la générosité de leur mère aujourd'hui décédée, d'être témoin de la tendresse d'une classe d'enfants du primaire qui offre à Fania un nouveau cœur de papier, qui comprend des messages en français, anglais, chinois, espagnol et allemand, rappelle que, au-delà de l'horreur, la vie continue certes, mais surtout continue d'émouvoir.

Un document pédagogique conçu pour les enfants du 3e cycle primaire en lien avec ce documentaire.

jeudi 5 janvier 2012

Le défi de faire plaisir à une livrophage

J'aime les livres et je ne m'en cache nullement. Si on me croise dans un transport en commun, je pourrais ne pas vous remarquer, plongée dans la lecture d'un ouvrage spécialisé ou d'un roman. Je suis celle qui, même dans une toute petite ville, essaie de trouver la librairie, histoire de prendre le pouls des tendances locales. Malheureusement, cela veut souvent dire, paradoxalement, que les gens n'osent pas m'offrir de livres. « Elle l'a sûrement lu, celui-là... »

Quelques valeureux ont bravé les interdits dans les dernières semaines; très peu, il faut bien l'admettre. Alors que plusieurs blogueuses nous ont font saliver avec des étalages affriolants de livres glissés dans la hotte du Père Noël, dans mon cas, ce sera bref, et pourtant... De façon assez savoureuse, tous les livres reçus ont rapport à l'Allemagne et/ou à la musique. Une tendance 2012? Vielleicht... 

Quelques livres en version bilingue (il y a quand même une certaine satisfaction à déchiffrer un paragraphe de Rilke dans le texte!), un roman (traduit celui-là) qui évoque la Vienne de 1777, Mozart, Maria Theresia Paradis et Mesmer (Au commencement la nuit était musique; je vous en reparle sans aucun doute très bientôt) et, dernier arrivé, directement du Dussmann das Kulturhaus (véritable caverne d'Ali-Baba, avec un étage complet dédié aux disques classiques , je salive juste d'y repenser)  de Berlin (cet ami qui y a passé les derniers dix jours est bien chanceux que je l'aime beaucoup, sinon, j'aurais été mortellement jalouse): le Mozart Handbuch de Silke Leopold (oui, tout en allemand celui-là, des heures de plaisir), une véritable mine d'information, que j'ai très hâte d'utiliser lors de la rédaction de futures notes de programme. (Schade, je dois justement me pencher très bientôt sur le Quatuor pour piano et cordes K. 478, que jouera en février Menahem Pressler et ses amis.) Cela valait la peine d'attendre...

mardi 3 janvier 2012

Liste lectures 2011

J'ai peine à le croire, mais il semble que j'aie lu 100 livres cette année, un beau chiffre tout rond. Pourtant, il y a des semaines pendant lesquelles j'avais l'impression de lire uniquement des livres de musicologie ou des analyses d’œuvres... comme quoi!

Alors, voici, pour archivage et consultation ultérieure, la liste complète. Les titres surlignés sont commentés sur le blogue. On remet les compteurs à zéro... et on apprivoise doucement l'idée que les vacances se terminent...

Berlin Tales ***
Marie-Christine Arbour, Drag ****
Marie-Christine Arbour, Une mère ***
Paul Auster, Sunset Park ***
Edem Awumey, Rose déluge ***1/2
Etienne Barilier, Piano chinois ***1/2
Tonino Benacquista, Homo erectus ***1/2
Christian Bobin, Tout le monde est occupé ***
Valérie Carreau, La huitième gorgée ***
Normand Chaurette, Scènes d'enfants ***1/2
Francis Dannemark, Les petites voix ***1/2
Lynn Diamond, Leslie Muller ou le principe d'incertitude ***1/2
Lynda Dion, La dévorante ***
Philippe Drouin, Les bras de Bernstein ***1/2
Nathaly Dufour, Sous la toge 2 ***
Annie Dulong, Onze ***1/2
Isabelle Eberhardt, Amours nomades ***
Christine Eddie, Parapluies ***1/2
François Emmanuel, La leçon de chant ***1/2
Anna Enquist, Contrepoint ****1/2
Hélène Ferland, Une nouvelle chasse l'autre ***1/2
Maxence Fermine, Amazone ***1/2
David Foenkinos, Lennon ***
David Foenkinos, Les souvenirs ***1/2
Marc Forget, Versicolor ***1/2
Christian Gailly, K. 622 **1/2
Claudie Gallay, Les déferlantes ****
Nicolas Gilbert, La fille de l'imprimeur est triste ***1/2
Brigitte Giraud, Une année étrangère ****
Daniel Glattauer, La septième vague ****
Joey Goebel, Torturez l'artiste! ***
Mélissa Grégoire, L'amour des maîtres ***
Philippe Grimbert, Un secret ****
Hermann Hesse, Le loup des steppes ***1/2
Suzanne Jacob, Amour, que veux-tu faire? ***
Franz Kafka, La colonie pénitentiaire et autres récits ***
Yasmina Khadra, L'Olympe des infortunes ***
Jacinthe Laforte, Cité carbone ***
Guy Lalancette, Le bruit que fait la mort en tombant ***1/2
Marie-Renée Lavoie, La petite et le vieux ***1/2
Robert Lalonde, Le seul instant ***
Patrick Lapeyre, La vie est brève et le désir sans fin ***
Elsa Lasker-Schüler, Heimlich zur Nacht (Secrètement à la nuit) ***1/2
Jérémie Leduc-Leblanc, La légendes des anonymes ***
Robert Lepage et Marie Michaud, Le dragon bleu (images Fred Jourdain) ***1/2
Katia Lemieux, Dans la lenteur des nuits ***
Patrice Lessard, Le sermon aux poissons ***
Julio Llamazares, La pluie jaune ***
Alberto Manguel, Un retour ***
Gilles Marcotte, L'amateur de musique ***
Thierry Martin-Scherrer, Le fantôme de Chopin ***1/2
Pascal Mercier, Léa ***1/2
Martin Michaud, La chorale du diable ***
Akira Mizubayashi, Une langue venue d'ailleurs ***1/2
Yoko Ogawa, Manuscrit zéro ***
Yoko Ogawa, La formule préférée du professeur ***1/2
Jean O'Neil, Montréal by foot ***
Marc Ory, La concession ***
Stanley Péan, Jazzman ***
Camille de Peretti, Nous sommes cruels ***1/2
Bernard Pingaud, L'andante inconnu ***1/2
Jacques Poulin, Les yeux bleus de Mistassini ****
Pascal Quignard, Triomphe du temps ***1/2
Pascal Quignard, Tous les matins du monde ***1/2
Pascale Quivigier, Pages à brûler ***
Michel Rabagliati, Paul à Québec ***1/2 
Michel Rabagliati, Paul au parc ****
Tom Rachman, Les imperfectionnistes ****
Man Ray et Paul Éluard, Les mains libres ****
Rainer Maria Rilke, Lettres à une amie vénitienne ***
Rainer Maria Rilke, Notes sur la mélodie des choses ***1/2
Rainer Maria Rilke, Lettres à Lou Salomé ***
Rainer Maria Rilke, Lettres à une musicienne ***1/2
Louis-Henri de la Rochefoucauld, Un smoking à la mer ***1/2
Joanne Rochette, Vents salés ***
Joëlle Roy, Xman est back en Huronie ***1/2
Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à l'inconnue ***1/2
Eric-Emmanuel Schmitt, Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent **1/2
Gail Scott, My Paris ***
Sabica Senez, Petite armoire à coutellerie ****
Anne Serre, Les débutants ***
Vikram Seth, Golden Gate ***
Eric Siblin, The Cello Suites ***1/2
Éric Simard, Martel en tête ***1/2
Éric Simard, Être ***
Stendhal, Haydn et Mozart ***
Patrick Süskind, La contrebasse ***1/2
Kressmann Taylor, Ainsi mentent les hommes ***
Kressmann Taylor, Inconnu à cette adresse ****
Kim Thuy et Pascal Janovjak, À toi ***1/2
Sophie Tolstoï, À qui la faute? ***
Mara Tremblay, Mon amoureux est une maison d'automne ***
Jean-Pierre Vidal, Petites morts et autres contrariétés ***
Marc Vignal, Haydn et Mozart ****
Delphine de Vigan, Les heures souterraines ***1/2
Valérie Zenatti, Mensonges ***1/2
Valérie Zenatti, Les âmes soeurs ***1/2
Yona Zeldis McDonough, Who was Wolfgang Amadeus Mozart? ***
Stefan Zweig, Le voyage dans le passé ***1/2
Stefan Zweig, Le joueur d'échecs ***1/2

lundi 2 janvier 2012

The story of the impossible

En début d'année, on aime croire que rien n'est impossible, que tout peut changer, que l'on saura tenir ses résolutions... Alors, en partage, tiré de son album Going to Where the Tea Trees are, cette chanson de Peter van Poehl. J'aime beaucoup également son plus récent single Twenty Twenty-One.


Peter Von Poehl - The Story Of The Impossible par vodka33