mardi 29 avril 2008

Réintégrer son univers


De retour après cinq jours complètement fous, dans lesquels je devais être « on » de 7 h 30 du matin à 22 h 30 du soir (et là, je devais régler quelques dossiers « urgents » avant de tenter de sombrer dans le sommeil). Je ne sais vraiment pas pourquoi j'ai apporté trois livres dans mes bagages: j'ai eu le temps de lire à peine 40 pages de Kafka sur le rivage dans l'autobus, entre l'animation du guide (absolument génial, une véritable bombe de dynamisme, qui en connaissait un brin sur l'histoire de Philadelphie et New York), la projection de films dans l'autobus, les discussions entre profs accompagnateurs, les échanges plus ludiques, les décomptes d'élèves, la distribution des passeports.

Peu importe: Philadelphie était merveilleuse (et nous avons même porté le t-shirt et les sandales une journée radieuse) et accueillante, New York effervescente et envahissante. Des splendeurs vues dans certains musées (dont une magnifique exposition dédiée à Frida Kahlo à Philadelphie et à Courbet à New York), des marches captivantes dans les lieux historiques, du shopping vaguement délirant dans Chinatown pour les ados (paradis des lunettes, sacs, montres et parfums contrefaits), le délire de Times Square. Maintenant, en un coup de baguette magique (ou presque), il faut revenir sur terre et retrouver les repères d'une certaine routine et un stress très différent: celui du dernier long droit avant les examens de fin d'année. La mi-juin, c'est quand? Surtout, ne pas y penser...

Pour les intéressés, vous pouvez revivre mon périple ici (Philadelphie), et là aussi (New York).

mercredi 23 avril 2008

Cinq jours avec 35 ados

Je pars demain matin à une heure aberrante (mais, bon, 10 heures de bus ce n'est pas rien!) chez le voisin américain (Philadelphie pour deux jours puis New York)... Le calme et le repos ne seront pas nécessairement au rendez-vous (ce serait futile d'y penser) mais les découvertes (particulièrement en musées) seront multiples. Je serai donc absente d'ici sauf si les connexions sans fil coopèrent (je pars avec ce clavier-ci, à défaut de l'autre, beaucoup trop encombrant). La bonne nouvelle de ces 10 heures de bus, c'est que je devrais avoir le temps de lire un brin. Ma PAL est devenue une structure dangereuse, c'est presque une urgence! À bientôt!

lundi 21 avril 2008

Emmanuel Kattan: Nous seuls


Un premier roman québécois signé par une nouvelle plume des plus inspirées, Nous seuls est une histoire d'amour qui se décline en plusieurs teintes brûlantes. Le quatrième de couverture reste volontiers elliptique quant aux péripéties qui ponctueront le parcours de Judith et Antoine, deux amants qui se retrouvent après une absence de neuf ans (Judith s'est enfuie à New York après une aventure d'un soir de son amoureux, finira-t-on par apprendre) et tentent de recoller les pièces du puzzle. Là où on aurait pu attendre une huis-clos romantique, peut-être parsemé de quelques déchirements (impossible d'annihiler neuf ans de vie), Emmanuel Kattan nous fait basculer dans un tout autre univers où la jalousie occupe un rôle de premier plan. « Ma jalousie est comme une Rome sinistre, misérable, à laquelle mènent, inexorablement, tous les chemins de ma conscience. »

L'action est contée fort habilement, en couches successives qui finissent par se rejoindre, à travers le journal de Judith et la voix d'un narrateur omniscient qui se plonge tantôt dans l'esprit d'Antoine, prend une distance par rapport aux événements ou nous relate le point de vue d'un témoin. Si on sent rapidement que le couple se déchirera, Emmanuel Kattan nous mène de main de maître dans un dédale de pièces sombres où l'amour, la haine, l'amitié, la colère, la passion, la folie se côtoient. Un troublant portrait de couple et de son entourage qui s'efface (je n'en dirai pas plus) au fil des pages, qui bascule nos repères, nous force à lâcher prise, nous hante. Superbe!

jeudi 17 avril 2008

Un parmi...


Je suis privilégiée. Je connais très bien la grande majorité de mes étudiants. En fait, je devrais plutôt indiquer: je connais très bien tous les jeunes pianistes à qui j'enseigne en privé, plutôt bien les fofolles de mon cours de théorie/solfège/dictée (15 filles débordantes d'énergie dont quelques-unes ont un mâche-patates d'une puissance redoutable, croyez-moi sur parole) et beaucoup moins bien les 37 jeunes de mon cours de culture générale. Habituée d'entretenir des liens privilégiés avec les jeunes pianistes que j'accompagne dans leur périple de musicien (vous seriez surpris des choses importantes de leur vie qu'ils partagent avec moi), je suis légèrement frustrée de ne pas pouvoir en dire autant d'un groupe aussi nombreux, que je rencontre de surcroît une fois aux semaines.

Bien sûr, quelques-uns ont eu droit à leur page perso dans mon esprit dès les premières semaines: la clique des fans de hockey par exemple, mais aussi ce fervent de heavy metal qui est venu me parler à quelques reprises de musique, cette autre jeune fille en apparence très réservée qui, dès la première semaine, a osé me dire qu'elle aimait la musique classique (j'ai senti un soulagement chez elle de pouvoir partager un secret aussi « ringard »). Il y a aussi celui qui a été légèrement insolent en début d'année et contestait mes questions de contrôle sur les actualités, arguant qu'il suivait les nouvelles en anglais et n'avait pas les repères nécessaires. (Comme si les grands événements du monde étaient différents dans les deux langues!) Quelques mois plus tard, il riait de bon cœur alors que je me transformais en personnages de la pièce Rhinocéros... Il y a ceux et celles qui excellent aussi, qui remettent toujours un travail impeccable mais aussi celle qui a toujours besoin d'être encadrée, cette autre qui accumule les retards et les présentations brouillons. Et puis, il y a les autres, tous ceux qui ne font pas de vague, qui ne lèvent pas souvent la main, que j'ai peut-être de la difficulté à rejoindre (à leur défense, le cours se donne en dehors des heures régulières, après une lourde journée de travail), ces élèves « moyens » qui mènent leur petit train doucement mais n'osent pas se démarquer pour une raison ou une autre, ceux pour qui cela devient une tâche herculéenne d'inscrire un commentaire « constructif » à leur bulletin. (Le Collège a une liste de 100 codes - je ne blague pas! - parmi lesquels je dois choisir celui ou ceux qui me semblent les plus appropriés.) C'est particulièrement dans ce cas-là que je remarque les lacunes de notre système d'éducation. Comment laisser s'exprimer 37 adolescents sans que cela ne tourne au cirque? Comment les convaincre de la nécessité d'intégrer l'actualité, la culture à leur vie, de se dissocier de la masse?

La semaine prochaine, je pars en exploration culturelle pendant cinq jours avec eux (eh oui, dix heures d'autobus avec une bande d'ados!). J'espère avoir l'occasion de pouvoir passer du temps avec chaque gropuscule, être à l'écoute de leur quotidien, l'air de rien, échanger sur leurs goûts musicaux, parler de peinture, d'histoire, évoquer certains grands enjeux peut-être, rigoler avec eux sans doute, surtout pouvoir mieux les incarner dans mon esprit, me démythifier à leurs yeux. Je ne souhaite pas m'en faire des amis, simplement leur faire réaliser qu'ils comptent pour moi, chacun à leur façon. Tout un programme...

Premier arrêt (sur la photo): South Street à Philadelphie, rue que j'adore.

mardi 15 avril 2008

D.Y. Béchard: Vandal Love ou Perdus en Amérique

Premier roman largement médiatisé, Vandal Love ou Perdus en Amérique se veut un récit multigénérationnel. (En passant, pourquoi la traduction française tient-elle à apporter des précisions au titre original?) Avant d’amorcer la lecture du livre, je craignais un peu les pièges inhérent à un tel genre. Réussirais-je à m’attacher à cette famille aux multiples ramifications qui finirait par se disperser sur un continent entier? Voudrais-je suffisamment m’investir dans cette histoire? Quand je me suis décidée à plonger, pourtant, j’ai été happée presque dès les premières lignes : « Les épreuves lui avaient façonné un visage inégal, anguleux comme une vieille pomme qui aurait été comprimée par les autres dans une caisse. Il n’avait jamais fermé les yeux pour songer à ce qui n’était pas visible. » Très rapidement, j’ai cru à cette famille improbable où se côtoient indifféremment géants et nains, où un Jude à la force brute se laisse toucher par la tendresse de sa jumelle Isa-Marie, où le silence est aussi prégnant que les gestes, où les paysages (magnifiquement dépeints) défilent, transcendés par la force morale des personnages. J’ai eu l’impression tenace d’être plongée dans une histoire à la John Irving, avec ses héros plus grands que nature, déchirés par le doute dès leurs premiers instants de vie mais sans les longueurs un peu démesurées parfois associés au style de l’auteur américain.

Pour lire la suite de mon commentaire et ceux des autres membres de l'équipe, c'est ici, sur le site de La recrue du mois.

dimanche 13 avril 2008

Mieux vaut tard que jamais?

Les Khmers rouges ont provoqué la mort, en 1200 jours, du quart de la population cambodgienne. Entre exécutions et famines, fiasco économique et répression sauvage, ce régime demeure à ce jour un des plus brutaux de l'Histoire. Si on dit que la justice a le bras long, au Cambodge, il est surtout très très lent. Il aura fallu presque 30 ans - et des millions de morts et de personnes déplacées - pour que des acteurs majeurs de la «révolution» dirigée par Pol Pot aient à répondre de leurs actes. Un tribunal a finalement été institué, auquel prend part un avocat canadien. Le journaliste Gabriel Béland dresse un saisissant portrait de la situation, qui donne encore froid dans le dos. À lire ici...

D'humeur franchement plus légère, la chronique de Chantal Guy, « Rupture littéraire », traite quant à elle des divergences d'intérêts de lecture au sein d'un couple. De mon côté, j'admettrai volontiers que nous partageons bien peu de lectures. L'homme de la maison apprécie le fantasy, les romans inspirés du jeu Magic et ceux signés par Stephen King quand j'admets volontiers des goûts disons, plus littéraires ou à tout le moins éclectiques. Rassurez-vous, pas de grave chicane de ce côté-là, chacun ayant bien droit à son univers littéraire pour s'évader. Et, de plus, il apprécie le théâtre et même le ballet! L'important est qu'il lise régulièrement (notamment dans les transports publics) et qu'il n'ait jamais eu l'intention de lire Le Secret et autres balivernes psychopop! Pour lire Chantal Guy, c'est plutôt par là...

vendredi 11 avril 2008

Poste d'écoute

J'adore bouquiner, sentir les reliures glisser sous mes doigts, laisser mon regard être happé par une couverture, prendre le livre entre mes doigts pour lire le quatrième de couverture (remarquez, lire le Cinquième de couverture est sympa aussi!), ouvrir le livre au hasard, lire quelques lignes, reprendre au début pour savoir s'il réussira à me happer dès les premières lignes. Il y a un côté profondément révérencieux et en même temps ludique à cette manipulation, que dis-je, cette opération de séduction. Parfois, comme ça, au hasard complètement (c'est ainsi que j'ai acheté Jours de juin de Julia Glass et ne l'ai jamais regretté), un regard est échangé, un lien s'esquisse et on plonge dans un univers dont on ignorait tout quelques instants seulement auparavant. Le plus souvent, je suis seule quand le déclic se produit mais parfois j'aime bien partager cette étrange communion avec l'imprimé avec un ami mais il faut qu'il soit pratiquant aussi fervent que moi (et, surtout, qu'il n'ait pas lu le bestseller Le Secret dont l'employé au comptoir postal m'a encore parlé, en termes fleuris et élogieux, la semaine dernière... par contre, Le Secret d'Anna Enquist, c'est un plus!)

Même si j'entretiens une relation moins intense avec les disques (peut-être parce que, déformation professionnelle oblige, je dois souvent faire l'écoute attentive et la critique pour publication de disques classiques et que, malheureusement, je suis devenue blasée), j'ai un rituel un peu semblable d'écoute au hasard des postes mis à la disposition des clients (jamais ou presque par contre au département classique). Le plus souvent, j'y vais un peu au hasard et n'hésite pas, surtout si je ne connais pas l'artiste dont il est question. C'est ainsi que j'ai découvert, il y a une dizaine d'années, Ben Folds Five (devenu Ben Folds depuis, les membres du quintette s'étant mutés en chanteur accompagné d'un band régulier) et que j'ai écouté l'album Whatever and Ever Amen à répétition (et que, après plusieurs années loin de mes oreilles, j'aie encore cédé à d'autres titres du chanteur il y a quelques mois, avec plaisir).

Plus récemment, j'étais dans le département de jazz d'un disquaire du centre-ville et j'ai ainsi mis la main sur un classique réédité (un coffret vient d'être lancé pour souligner le 25e anniversaire de Setting Standards de Keith Jarrett, Gary Peacock et Jack Dejohnette) mais j'ai surtout craqué pour Devotions de Ketil Björnstadt, un autre touche-à-tout comme je les aime, compositeur (notamment de trames sonores de plusieurs films de Godard), pianiste classique de formation (il a joué comme soliste avec l'Orchestre symphonique d'Oslo notamment), jazzman, auteur multiforme: de théâtre, de nombreux romans - peu sont traduits pour l'instant - dont La Société des jeunes pianistes et d'une biographie romancée d'Edward Munch, peintre auquel il dédie d'ailleurs Dance of Life, une suite de trois pièces, « White (The Innocence) », « Red (The Passion) » et « Black (The Sorrow) » sur Devotions. Une écriture aérienne, souvent modale, une façon assez originale d'intégrer les autres membres de son quatuor (dans le cas de ce disque, flûtes et saxophone, contrebasse très fluide et batterie sublimée le plus souvent). Un univers envoûtant, original, qui transmet bien l'idée des grandes étendues neigeuses et des hivers sans fin.

Ici, en partage, le Prélude 13, dédié uniquement au piano (concentrez-vous sur la musique, l'image ne sera pas modifiée)...

mardi 8 avril 2008

Fernand Ouellette récompensé

Le 23 juin prochain, à Paris, le poète québécois Fernand Ouellette recevra le Grand Prix international de poésie de langue française Léopold-Sédar-Senghor. Poète majeur du Québec, dont on retrouve certains poèmes dans nombre d'anthologies, il continue d'écrire, sans relâche, à 77 ans passés, poursuivant sa quête de l'indicible où la mort est très souvent en toile de fond, mais toujours teinté d'une certaine lueur.

Quelle meilleure façon de le cerner qu'à travers ses propres mots. Voici quelques vers tirés de Ces anges de sang


Nos très noirs sanglots d'ailes
au rouge printemps de la foudre

se nouent en vain :
il y a mort de soleil

à la source du jour,
mort de lumière profonde
en l'élan de l'oeil.
Et remonte la mémoire
le brouillard de neiges tristes,
et glisse la gelée muette
dans les bourgeons de joies désirantes.
Nos très noirs sanglots d'ailes
en plongée contournent
la fumée d'un ange montante :
il y a mort d'infini
sous la pierre des paupières.


Plusieurs des poèmes tirés de son recueil Les heures peuvent être lus ici.

samedi 5 avril 2008

Anton Kuerti: tisser des liens


L’un des très grands pianistes de ce siècle », « un interprète de Schubert magnifique » (CD Review, Londres), « au jeu d’une remarquable constance » (Houston Chronicle), « le meilleur pianiste actuellement » (Fanfare), « un intellect s’exprimant aux plans technique et spirituel les plus élevés » (Die Welt), Anton Kuerti a foulé en concert le sol d’une quarantaine de pays, maîtrise une cinquantaine de concertos (dont l’un signé de sa main) et a enregistré de nombreux disques, dont des intégrales des sonates et concertos de Beethoven qui continuent de faire école. « Aucune autre intégrale des sonates de Beethoven ne possède une énergie mystique aussi saisissante », mentionne Die Welt. « On ne sait plus s’il faut s’extasier devant Beethoven ou Kuerti, puisqu’ils semblent n’être plus qu’un. Une interprétation touchante qui nous permet d’entrevoir l’éternité », précise American Record Guide… Si son jeu suscite les superlatifs, ce serait pourtant faire fausse route que de l’y cantonner.

Artiste d’une grande générosité, il n’hésite pas à offrir des récitals aux membres des communautés canadiennes plus petites ou éloignées (et à réduire son cachet) ou à prendre part à nombre de concerts-bénéfice au profit d’organismes caritatifs, dont OXFAM, SOS Children’s Villages ou WaterCan. « Musicien de chambre idéal » (New York Times), il a collaboré avec certains des artistes les plus influents sur la scène internationale, dont Gidon Kremer, Yo-Yo Ma, Janos Starker et les quatuors St. Lawrence, Tokyo, Guarneri, Cleveland et Colorado. Des amitiés ont été ébauchées au fil des ans, des interprétations. La violoniste Angèle Dubeau, avec laquelle il a notamment enregistré une version de référence des sonates de
Schubert, n’a pas hésité à le convier à prendre part au concert soulignant
ses 30 ans de carrière en mars 2007. Denis Brott, avec lequel il a collaboré à de nombreuses reprises, notamment au Festival of the Sound, événement annuel fondé par Kuerti en 1980, l’a invité quant à lui à prendre part au concert d’ouverture du Festival de musique de chambre de Montréal, dédié cette année à Beethoven. (Le lendemain, 2 mai, il se verra décerner le Prix de la réalisation artistique pour l’ensemble de sa carrière lors de la remise des Prix du Gouverneur général pour les arts de la scène.) « J’ai établi une belle complicité avec Anton depuis 35 ou 40 ans, explique Brott, c’est vraiment un ami. Je le considère comme l’un des très grands artistes d’aujourd’hui et j’ai un immense respect tant pour l’homme que pour l’artiste. »


On peut lire le reste de cet article que j'ai consacré à ce grand pianiste canadien dans le dernier numéro de La Scena Musicale. Le PDF du numéro est disponible ici. L'article débute à la page 24 du document.

jeudi 3 avril 2008

Jusqu'où?

Je ne suis pas très téléphage. Bien sûr, de temps en temps, j'aime bien regarder un film (mais je préfère le théâtre au cinéma en salle) ou jeter un coup d'oeil à Tout le monde en parle, mais seulement si les invités m'intéressent. J'ai ainsi pu être ravie par la verve de Marie Laberge lorsqu'elle avait improvisé des fragments d'histoire à partir de quelques mots, vaguement perturbée par les propos plutôt décalés de Bryan Perro (que je n'ai jamais lu et dont ma fille s'est rapidement lassée), touchée par la fragilité de Christian Mistral (surtout que j'avais lu Vamp peu de temps avant l'émission) et atterrée par le manque de substance de Rafaële Germain (est-ce seulement moi ou est-elle partout, tant dans les imprimés qu'à la télé, cette semaine?).

En fait, je suis deux séries américaines (CSI et Medium) et deux téléromans québécois: Annie et ses hommes (une émission feel good) et Les hauts et les bas de Sophie Paquin, un pur délice selon moi. Hier soir, sentant le besoin de m'anesthésier le cerveau (les derniers jours ont été fort remplis!), j'ai ouvert le poste et, justement, il y avait Sophie, l'adaptation anglophone de la série québécoise. J'ai dû passer une bonne quinzaine de minutes (l'émission dure une demi-heure dans cette forme) à tenter de deviner qui était qui. L'écriture est sympa, sans plus, à des lieues de l'original mais, maintenant, au moins, je peux dire que pendant trente minutes, j'ai réussi à me glisser dans la peau d'un compatriote du ROC (Rest of Canada). Ce n'est pas tant que le vêtement soit étroit (il y a d'excellentes productions canadiennes) mais disons plutôt qu'il ne m'allait pas parfaitement.

Après, j'ai plongé dans une zone très trouble de la psyché américaine. Mon fils m'avait vaguement parlé de l'émission (mais sans emphase) et j'imaginais The Moment of Truth comme une espèce de mélange entre Les détecteurs de mensonge et disons, une émission psychopop de Canal Vie. Le candidat tente d'accumuler de l'argent (jusqu'à 500 000 $) en répondant à des questions relativement embarrassantes. Posté sur une chaise technologique, il est branché à un polygraphe. Si la machine juge qu'il n'a pas été « honnête » dans sa réponse, c'est la fin du périple du candidat, point à la ligne. Pas d'appel à un ami, à la foule, pas le droit de choisir de ne pas répondre à la question.

Hier soir, on avait mis le paquet puisque c'était la dernière de la saison et tout au long de l'émission, on a pu visionner des clips qui nous narraient ce qui était arrivé à tel ou tel candidat. Mon fils m'avait mentionné que, lorsqu'il avait regardé l'émission, la question fatale avait été: « Pensez-vous que vous soyez une bonne personne? » La candidate avait répondu oui mais le polygraphe (qui parle avec une voix féminine d'une lenteur délirante) avait jugé que non. J'imaginais donc des questions éthiques, du type: « Êtes-vous raciste? », « Êtes-vous pour la peine de mort? » ou à la rigueur « Avez-vous déjà triché à un test au secondaire? ». Erreur, Watson! J'avais tout faux. Une jolie dame au regard particulièrement charbonneux était sur la sellette (c'est le cas de le dire!), entourée de son mari, de sa mère et de sa meilleure amie. Elle a eu à admettre qu'elle était sortie avec un ex-petit copain de sa meilleure amie, qu'elle avait déjà eu des fantasmes sexuels impliquant la dite meilleure amie (en plus, elle s'est justifiée après, devant des millions de personnes, alors que sa mère voulait sans doute disparaître sous son siège), qu'elle avait songé à faire suivre son mari par un détective privé (mais, comme elle l'a dit, qui n'y a pas déjà pensé!), qu'elle avait déjà regretté d'avoir épousé son mari (visage atterré évidemment du charmant monsieur en question qui semblait partagé entre le choc des révélations et l'appât du gain). Périodiquement, une musique dramatique venait nous fouiller les entrailles, l'interrogée se cachait le visage entre les mains, la voix de l'annonceur nous questionnait à savoir jusqu'où la dame serait prête à aller, combien de vies elle était prête à détruire pour gagner. À côté de ça, Loft Story (que j'ai regardé un total de cinq minutes), c'est du bonbon! L'émission vient chatouiller les plus bas instincts de la nature humaine, ceux qui nous poussent à ralentir quand on voit un accidenté grave sur la route, à écouter le téléjournal jusqu'au bout et à nous gaver d'images d'une violence inouïe.

Pendant la nuit, cette demi-heure d'émission m'a gardée éveillée et je n'avais qu'une envie: crier mon dégoût, ma révolte. (Voilà, c'est fait! Maintenant, je vais pouvoir me concentrer sur des choses autrement plus positives comme la préparation de mon cours de culture générale ou quelques instants passés avec Wolfie.) J'aurais beaucoup mieux fait d'ouvrir un livre ou une revue (c'est ce que j'ai fait après). Ah! les curieux au fond se demandent peut-être quelle question a arrêté le périple de la belle? À la question « Poseriez-vous nue pour 100 000 $? », elle a répondu « Non, hors de question! » La machine a tranché. L'animateur lui a alors demandé une explication et elle a répondu: « Pour 100 000 $, certainement pas, mais pour 200 000 $, probablement! » Aïe!