jeudi 17 avril 2008

Un parmi...


Je suis privilégiée. Je connais très bien la grande majorité de mes étudiants. En fait, je devrais plutôt indiquer: je connais très bien tous les jeunes pianistes à qui j'enseigne en privé, plutôt bien les fofolles de mon cours de théorie/solfège/dictée (15 filles débordantes d'énergie dont quelques-unes ont un mâche-patates d'une puissance redoutable, croyez-moi sur parole) et beaucoup moins bien les 37 jeunes de mon cours de culture générale. Habituée d'entretenir des liens privilégiés avec les jeunes pianistes que j'accompagne dans leur périple de musicien (vous seriez surpris des choses importantes de leur vie qu'ils partagent avec moi), je suis légèrement frustrée de ne pas pouvoir en dire autant d'un groupe aussi nombreux, que je rencontre de surcroît une fois aux semaines.

Bien sûr, quelques-uns ont eu droit à leur page perso dans mon esprit dès les premières semaines: la clique des fans de hockey par exemple, mais aussi ce fervent de heavy metal qui est venu me parler à quelques reprises de musique, cette autre jeune fille en apparence très réservée qui, dès la première semaine, a osé me dire qu'elle aimait la musique classique (j'ai senti un soulagement chez elle de pouvoir partager un secret aussi « ringard »). Il y a aussi celui qui a été légèrement insolent en début d'année et contestait mes questions de contrôle sur les actualités, arguant qu'il suivait les nouvelles en anglais et n'avait pas les repères nécessaires. (Comme si les grands événements du monde étaient différents dans les deux langues!) Quelques mois plus tard, il riait de bon cœur alors que je me transformais en personnages de la pièce Rhinocéros... Il y a ceux et celles qui excellent aussi, qui remettent toujours un travail impeccable mais aussi celle qui a toujours besoin d'être encadrée, cette autre qui accumule les retards et les présentations brouillons. Et puis, il y a les autres, tous ceux qui ne font pas de vague, qui ne lèvent pas souvent la main, que j'ai peut-être de la difficulté à rejoindre (à leur défense, le cours se donne en dehors des heures régulières, après une lourde journée de travail), ces élèves « moyens » qui mènent leur petit train doucement mais n'osent pas se démarquer pour une raison ou une autre, ceux pour qui cela devient une tâche herculéenne d'inscrire un commentaire « constructif » à leur bulletin. (Le Collège a une liste de 100 codes - je ne blague pas! - parmi lesquels je dois choisir celui ou ceux qui me semblent les plus appropriés.) C'est particulièrement dans ce cas-là que je remarque les lacunes de notre système d'éducation. Comment laisser s'exprimer 37 adolescents sans que cela ne tourne au cirque? Comment les convaincre de la nécessité d'intégrer l'actualité, la culture à leur vie, de se dissocier de la masse?

La semaine prochaine, je pars en exploration culturelle pendant cinq jours avec eux (eh oui, dix heures d'autobus avec une bande d'ados!). J'espère avoir l'occasion de pouvoir passer du temps avec chaque gropuscule, être à l'écoute de leur quotidien, l'air de rien, échanger sur leurs goûts musicaux, parler de peinture, d'histoire, évoquer certains grands enjeux peut-être, rigoler avec eux sans doute, surtout pouvoir mieux les incarner dans mon esprit, me démythifier à leurs yeux. Je ne souhaite pas m'en faire des amis, simplement leur faire réaliser qu'ils comptent pour moi, chacun à leur façon. Tout un programme...

Premier arrêt (sur la photo): South Street à Philadelphie, rue que j'adore.

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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