Je connais Tim Brady surtout à travers ses enregistrements (j'ai d'ailleurs très hâte de découvrir son dernier album Atacama: Symphonie no 3, qui lui a valu le Prix Opus de la création de l'année en janvier dernier) et comme interprète, mais n'avais entendu sa musique en concert qu'une fois jusqu'ici, il y a deux ans et demi de cela. Le compositeur possédant un réel talent pour peindre en musique des moments, des émotions, je ne pouvais qu'être intriguée par sa dernière proposition, présentée samedi dernier à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, The Spontaneous Sonata Project, une œuvre ambitieuse en 12 mouvements (qui dure un peu plus d'une heure), pour guitare électrique et deux pianistes. Si ces deux derniers possèdent une formation classique, ils représentaient chacun une facette complémentaire - et non antagoniste, comme certains pourraient le croire - entre musique écrite et improvisée, entre musique contemporaine « pure et dure » (faction représentée ce soir-là par Brigitte Poulin) et jazz (François Bourassa), entre la tête et le cœur parfois aussi, certaines pages se révélant volontiers plus exigeantes pour le cerveau, alors que d'autres favorisaient une expérience essentiellement sensorielle du son.
Tim Brady explique dans sa note qu'un achat de l'intégrale des sonates pour piano de Beethoven à prix ridicule (je serais curieuse de savoir qui était l'interprète), histoire de se faire l'oreille avant l'enregistrement d'un album solo de Brigitte Poulin a servi d'élément déclencher à cette œuvre qui s'articule un peu comme une arche, les mouvements 5 et 6 se trouvant isolées de deux groupes de mouvement enchaînés. J'admets qu'à la première écoute, je n'ai pas beaucoup senti planer l'ombre de ce cher Ludwig sur l'objet final, sauf peut-être dans le 9e mouvement, fugue à trois voix pour deux musiciens, qui pourrait évoquer les deux fugues jumelles de l'opus 110. J'y ai certes entendu Prokofiev (1er mouvement, la guitare et le piano se poursuivant à l'unisson, geste habilement repris d'ailleurs dans le dernier mouvement, histoire de boucler la boucle), Debussy (le 7e mouvement, franchement impressionniste à la guitare, donnant une impression de temps suspendu), Ravel (certains gestes mélodiques et harmonique du dernier mouvement m'ont rappelé la Valse), Gary Burton (les sonorités choisies pour le clavier par exemple), le jazz fusion à la UZEB... et bien sûr, Brady.
Devrait-on même considérer cette série de tableaux une sonate? Peut-être si l'on se réfère au sens premier du terme: « une musique qui sonne », parce que, oui, à plusieurs reprises, cela sonnait vraiment très bien. J'admets avoir préféré les segments improvisés ou semi-improvisés, François Bourassa y démontrant une fois de plus sa grande culture musicale (ce qui m'a fait regretter d'avoir négligé son travail de la dernière décennie - j'y remédierai) et sa maîtrise totale des idiomes. Je retiendrai aussi le blues presque fantomatique du 10e mouvement, Tim Brady y démontrant une remarquable imagination dans le traitement des sonorités de son instrument (qui m'ont même rappelé par moments des bruissements d'ailes), le rythme latin chaloupant du 5e mouvement (particulièrement bien servi par Brigitte Poulin), la délicatesse du premier mouvement lent et l'évidence que les frontières entre les genres sont faites pour être abolies.
Mon ami No était à mes côtés. Voici sa perception de la soirée.
Le compositeur parle de l’œuvre entendue dans Le Devoir de samedi dernier.
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