Je vous propose aujourd'hui un quatuor de documentaires biographiques, d'approches et d'esthétiques plutôt différentes, deux laissant toute la place ou presque à l'artiste mis en lumière, les deux autres proposant un portrait composite, grâce à une multiplicité des analyses.
In Search of Haydn se décline comme un documentaire de facture très classique, la vie du compositeur étant présentée de façon essentiellement chronologique, le parcours historique (doublé de documents d'époques et de visites des lieux habités ou visités) se trouvant toujours magnifié par des extraits d’œuvres ciblées, qui nous permettent de connaître aussi bien le Haydn des quatuors ou des symphonies que celui des sonates pour piano (magnifiques démonstrations par l'exemple d'Emanuel Ax et Marc-André Hamelin notamment) ou des airs. On oublie trop souvent que Haydn a amorcé sa carrière musicale en tant que petit chanteur et qu'il sait magnifiquement écrire pour la voix, en proposant des pages en apparence accessibles d'un point de vue technique, mais qui demande une maturité réelle au niveau de l'interprétation. (On pourrait en dire autant de ses sonates pour piano sans doute, martyrisées par les jeunes pianistes, mais dont la grande subtilité devient apparente sous les doigts des vrais maîtres.) On découvre un Haydn moins sage qu'on ne le pensait, entretenant quelques amours parallèles, bon vivant, conscient aussi de l'image qu'il projetait à son époque (et, de façon fort intéressante, de la nécessité jusqu'à un certain point de contrôler celle-ci, un geste somme toute assez avant-gardiste).
John Cage: Journeys in Sound brosse un portrait large du compositeur américain iconoclaste, dont on célébrait en 2012 le centenaire de naissance. On le découvre lui aussi à travers des extraits d'œuvres-clés (notamment pour piano préparé), mais aussi en studio, alors qu'il monte un film en se servant d'une feuille de probabilités obtenue grâce au I-Ching (il aurait été intéressant de voir le résultat final, au moins quelques séquences d'ailleurs), ou encore lorsqu'il cueille des champignons dans la forêt environnant sa résidence, qu'il travaille pour son partenaire de vie, le chorégraphe Merce Cunningham, ou qu'il dialogue avec John Lennon et Yoko Ono (rencontre au sommet assez troublante il faut l'admettre). Profondément moderne parce que hors du temps, son œuvre continue d'intriguer, mais aussi d'influencer, aussi bien autres compositeurs (dont Wolfgang Rihm ici) qu'interprètes (Irvine Arditti par exemple).
Road Movie: un portrait de John Adams cède la parole au compositeur américain qui a toujours possédé une réelle facilité à s'exprimer, tant oralement que par écrit (dans son livre Hallelujah Junction par exemple). Si le documentaire nous propose une narration linéaire, volontiers chronologique (Adams évoquera d'ailleurs son admiration pour le travail de Cage), assez sage, les propos du compositeur sont entrecoupés de segments musicaux souvent magnifiques, parfois même magiques. (Je pense ici notamment aux images accompagnant les extraits de The Dharma at Big Sur ou Phrygian Gates.) On y voit aussi des extraits de Shaker Loops, de Road Movies, de ses opéras Doctor Atomic et Nixon in China, d'Eldorado, d'Hallelujah Junction (agrémenté de photos prises par sa femme dans la Sierra Valley), de son Gospel According to the Other Mary (segment qui nous rappelle qu'Adams n'est pas à classer dans la catégorie des compositeurs misogynes, loin de là) ou du troublant Transmigration of Souls, écrit en souvenir des victimes des attentats du 11-Septembre. Un parcours presque sans faute, que l'on continuera bien sûr à suivre.
Ces deux films seront présentés en duo vendredi le 22 mars à 18 h 30 au Musée d'art contemporain.
En hommage au baryton allemand Fischer-Dieskau, décédé en mai 2012, le FIFA a eu l'excellente idée de nous présenter Dietrich Fischer-Dieskau: la voix de l'âme de Bruno Monsaigeon. Là aussi, on laisse essentiellement la parole au sujet, qui se révèle avec candeur et chaleur, qu'il évoque certains moments de sa carrière (notamment le choix conscient de cesser de chanter le 31 décembre 1992 pour se consacrer à la direction d'orchestre et à la peinture) ou partage ses réflexions sur la musique en général ou le plaisir de changer d'accompagnateurs, révélant que chacun de ses pianistes lui a révélé quelque chose de différent sur lui-même. Monsaingeon propose d'ailleurs un habile montage d'un même lied, certains des plus grands pianistes se succédant dans le rôle de l'accompagnateur. Il y avait quelque chose d'assez troublant à retrouver le jeune Brendel, le caustique Gerald Moore, le toujours précis Wolfgang Sawallisch (lui aussi décédé dans les derniers mois), l'effervescent Daniel Barenboïm, le complice Christoph Eschenbach ou le magnifique Svatislav Richter (que l'on n'attendait pourtant pas dans un rôle de collaboration, bien à tort). Qu'il soit sur scène, en récital, en train de travailler avec sa femme Julia Varady, qu'il transmette sa passion du lied à de jeunes chanteurs, qu'il dirige dans la fosse, les moments retenus par Monsaingeon nous rappellent combien Fischer-Dieskau demeure un géant, pourtant toujours d'une grande humilité. « L'important est de découvrir la musique à travers les musiciens, et non les musiciens à travers la musique », dit-il lui-même dans le film. J'ai ressenti avec encore plus de cruauté son absence en quittant la salle. Heureusement qu'il nous a laissé un immense legs discographique.
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