Rarement pourra-t-on assister à un spectacle à la montée dramatique aussi parfaitement calibrée que cette Tragédie d'Olivier Dubois, long poème chorégraphique qui détourne d'ailleurs certains des outils et motifs associés au langage poétique: vers scandés (douze pas comme les pieds des alexandrins), prose poétique, retour de motifs, assonances, allitérations... Portée par la trame sonore hypnotique de François Caffenne, elle aussi minutieusement dosée (qui fait presque sauter les tympans dans les dix dernières minutes, ceux-ci ayant atteint leur niveau de saturation), la chorégraphie d'Olivier Dubois peut se lire à de multiples niveaux, mais nous rappelle surtout que naître homme n'est pas synonyme d'humanité. Combien de gestes banalisés doit-on transcender avant de pouvoir s'élever au-dessus de la morosité et atteindre une certaine élévation, qu'elle soit physique ou spirituelle?
Le premier segment semblera peut-être long à certains et pourtant. Cette marche implacable des 18 danseurs, qui semble vouloir gommer toute différence, est essentielle pour comprendre ce qui suivra. Armés de leur nudité (qui n'a absolument rien de gratuite ici, puisqu'elle demeure la seule façon de pouvoir transmettre à la fois l'unicité de chacun et l'impression que tous font partie d'un tout), ils avancent, par deux, par groupes, par sexe. On suit la cadence de la percussion - glas funèbre ou tambour de guerre -, on avance, sans se poser de questions. Pas encore. Pourtant, chacun est unique, oeuvre d'art à part entière. Aucune importance qu'un corps puisse avoir inspiré Rubens plutôt que Giacometti, Doig plutôt que Picasso. La beauté est là, intrinsèque, mais qui saute aux yeux de ceux qui oseront regarder autrement. Et puis, grains de sable dans l'engrenage: les mouvements s'arrêtent, se disloquent, pour mener à des moments plus organiques, aux images fortes, souvent travaillées en aplats. (Certains segments rappellent par exemple certaines scènes que l'on pourrait retrouver sur des vases grecs.)
La tension monte d'un cran encore, comme si les corps devenaient des électrons qui se bousculent, qui s'attirent pour mieux se repousser, jusqu'à ce qu'ils s'unissent dans une masse qui rappelle certains projets de Spencer Tunick, parfaitement nimbée par les éclairages magnifiques en tout point de Patrick Riou. La marche du début revient encore, dotée d'une force décuplée, porteuse alors d'un autre sens, avant que les danseurs n'exultent, dans un immense rave, libération plutôt qu'union des corps (qui ne se toucheront presque jamais), exaltation commune plutôt que petites morts parallèles.
Un spectacle phare, qui clôt de façon spectaculaire une très belle saison de Danse danse. Ceux qui voudront soutenir plus avant les efforts déployés par l'organisation, à travers leurs projets Carte blanche (visant à soutenir des chorégraphes dans la réalisation d’œuvres) et Amenez un jeune à la danse, se procureront dès maintenant un billet pour la soirée Mekanic. Cette soirée de création de mouvements avec Victor Quijada de RUBBERBABDance et les têtes créatives de Sid Lee se tiendra le 15 mai au 8, rue Queen. Tous les détails ici...
Aujourd'hui et demain, Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.
Teaser Tragedie from Tommy Pascal on Vimeo.
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