Les oiseaux nous le crient à gorge déployée, le regard plus insistant des hommes nous le confirme, le printemps est enfin arrivé. Pourtant, comme si je souhaitais me mettre d'une certaine façon en porte-à-faux de la réalité, je suis plongée depuis un peu plus de deux semaines dans un voyage littéraire en totale opposition avec le réchauffement des températures et des sens.
Ce périple un peu à contre-courant s'est amorcé par la lecture en une soirée de Cousine K de Yasmina Khadra, écrivain passé maître dans l'art des phrases assassines finement ciselées, comme si le fait d'écrire dans une langue seconde lui permettait de s'approprier une dimension totalement inusitée du langage. « Je me suis défait de mon enfance avec empressement. Elle m'ennuyait. » (p. 25) L'univers est sombre, solitaire, le narrateur face à une folie meurtrière qui l'envahit mais dont il ne cerne pas les limites ou les éléments déclencheurs.
J'ai poursuivi dans cette même veine (sans même le savoir à l'avance) avec Hommes entre eux de Jean-Paul Dubois. La prémisse me semblait intéressante: deux hommes qui ont aimé la même femme se retrouvent sur fond de l'immensité aveuglante du nord de l'Ontario. Les deux s'observent, se jaugent, ce qui les unit reste toujours fort ambigu. Là aussi, on assiste à un plongeon vers la violence, des passe-temps locaux (des combats ultimes qui enflamment la ville), de la météo (un blizzard qui emprisonne tout sur son passage), des sentiments (troubles). La conclusion (un peu bâclée) nous fait basculer vers l'horreur et nous laisse un goût amer dans la bouche quand on referme le livre. « Je crois qu'il ne faut jamais regarder trop longtemps en soi. C'est là que se trouve notre pire visage, celui que nous essayons de dissimuler pendant toute une vie. » (p. 204)
J'ai franchi un pas de plus dans la noirceur avec Le peintre des batailles d'Arturo Pérez-Reverte, auteur qui sait se renouveller à chaque écrit mais qui, ici, traite d'un sujet qu'il a sans doute chevillé au coeur, ayant lui-même été correspondant de guerre pendant une vingtaine d'années. On assiste à un huis-clos plutôt étrange entre le peintre de batailles, en fait un photographe de guerre à la retraite qui signe un testament pictural sur les murs de la tour qu'il habite, et le sujet d'une de ces photographies les plus célèbres, qui le traque depuis des années et cherche à saisir où se situe la ligne (trop fine) entre journalisme et voyeurisme, entre témoignage objectif et sensationalisme. Le geôlier n'est peut-être pas celui que l'on croit et on ressort de cette lecture avec des doutes et des interrogations plein la tête.
Ce préambule m'a offert l'état d'esprit nécessaire pour me plonger dans Les bienvaillantes de Jonathan Littel, ouvrage massif qui demande une grande concentration et ne fait pas souvent de cadeaux. J'avais amorcé cette lecture il y a quelques mois mais le temps me manquait pour m'y investir entièrement mais aussi, je le réalise maintenant, je n'étais pas prête à faire face à la noirceur du propos, délibérément clinique par moments mais tellement touffu qu'on a souvent l'impression de se retrouver au coeur même d'une fugue de Bach.
L'auteur offre d'ailleurs ce matin un regard particulièrement lucide sur le tueur de Virginia Tech, qui a tenté de crier sa douleur à travers des mots avant de silencieusement passé à l'action. Un choix terrible: http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-899636,0.html
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