Un petit village québécois comme tant d’autres, une galerie de personnages plus grands que nature, une tragédie qui ne saura dévier de sa course : Dany Leclair brosse avec ce premier roman, Le sang des colombes, un tableau en couleurs sombres mais lumineuses à la fois. Roman Maric, terroriste spécialiste en explosifs, est responsable des attentats récents qu’a connus la métropole, revendiqués par le MASQ (Mouvement anonyme pour la souveraineté du Québec). Entre deux contrats, il cherche refuge dans le morne Saint-Alexis. Afin de s’intégrer plus ou moins au tissu tricoté serré du village, il se lie d’amitié avec le peintre Gauthier, qui lui propose un emploi d’homme à tout faire chez la veuve Lemoyne. Il y fera la rencontre de deux sœurs rivales, Elsa et Nadja, qui voudraient bien toutes les deux convaincre le bel inconnu de s’installer définitivement dans la région.
Même si le sous-texte de ce roman ne peut qu’être teinté de violence, Leclair réussit à nous en détourner suffisamment longtemps pour que le lecteur établisse une belle complicité avec les personnages. Roman est profondément interpellé par l’art et la littérature; Gauthier tente de sublimer sa violence intérieure (et son alcoolisme) en une création artistique; Hubert, le maire du village, un esprit fin, se réfugie dans les livres et les échanges intellectuels avec Roman; Nadja, sous ses dehors raisonnables, ne peut complètement éteindre la flamme de la passion.
Même si j’ai été le plus souvent happée par cette courte histoire, j’ai aussi été agacée par quelques invraisemblances. Roman n’est pas terroriste par conviction mais vulgaire mercenaire. Si, à l’origine, sa soif de liberté s’abreuve aux injustices connues dans son pays d’origine (la Roumanie), il offre ni plus ni moins ses services aux cellules terroristes d’un peu partout. Autre visage du terrorisme, plus mercantile qu’intégriste? Peut-être. J’aurais aimé pouvoir plonger dans la dualité entre l’homme de terrain et l’être un peu éthéré qui se réfugie dans l’art. On ne comprend jamais tout à fait ce qui alimente cette violence presque gratuite qui l’anime. (On est loin ici des pages exceptionnelles sur le sujet de Yasmina Khadra.) Dans un autre registre, comment croire que la veuve Lemoyne ait pu nommer ses filles Elsa et Nadja, prénoms tout sauf « pure laine »? Comment accepter que des villageois si conservateurs aient pu élire un maire à l’homosexualité latente (puis admise)? Dans les passages sur l’art et la littérature, on sent le pédagogue, le combattant qui, tous les jours, doit tenter de séduire la jeunesse en habillant la littérature d’un vêtement attrayant, soulignant à grands traits les caractéristiques, les références (fort intéressantes au demeurant) et cela m’a semblé un peu surfait. De la même façon, le symbole (la toile qui donne son titre au livre) aurait eu avantage à être un peu mieux intégré à la trame narrative. Cette scène d’une violence inouïe m’a semblé plus motif plaqué qu’élément essentiel au dénouement de l’histoire.
Malgré ces réserves, j’ai été convaincue par le style de l’auteur, le sujet improbable qui pousse à la réflexion (et si, ici aussi, les terroristes sévissaient?), la maîtrise des descriptions, les strates des différents personnages. Je lirai sans doute avec curiosité le deuxième opus de l’auteur.
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