lundi 31 décembre 2007

Rétrospective 2007

Dernière journée de l'année: place au déchirant choix des moments artistiques marquants. Côté musique classique en salle, un seul moment d'émotion renversante dans toute l'année: la « Pathétique » de Tchaïkovski, oeuvre pourtant élimée s'il en est une, sous la direction de Zubin Mehta, lors du concert-bénéfice de l'OSM, le 6 décembre. Le magnétisme du chef était absolument saisissant et c'est vraiment un grand moment d'émotion qui a été vécu lors de l'interprétation absolument somptueuse de l'oeuvre. Moi qui allais au concert pour le Sacre (rien de renversant, une interprétation trop sage selon moi), j'ai été soufflée par cette première partie. Sur disque, rien n'a retenu mon attention suffisamment pour que je l'écoute en boucle et ce, malgré le fait que j'aie siégé sur un jury qui récompensait l'événement discographique de l'année. Évidemment, je ne peux passer sous silence le départ du grand Pavarotti.
Côté musique populaire et jazz, par contre, plusieurs coups de coeur en dernière partie d'année. Je retiendrai d'abord, grâce à Seb, la découverte du Esbjörn Svennson Trio, un groupe magistral, particulièrement raffiné, qui mélange sans vergogne harmonies classiques (j'écoutais la Deuxième Ballade de Liszt il y a quelques semaines et un passage m'a ramenée instantanément à leur univers si particulier), groove pop et jazz pur et dur. Trois albums plus tard, je ne suis toujours pas lassée. J'ai aussi écouté en boucle pendant un certain temps la trame sonore d'Across the Universe, le dernier opus d'Holly Cole (qui revisite des grands classiques) et Rockin' the Suburbs de Ben Folds. J'ai craqué pour Postal Service (presque tout leur disque Give up) et ai découvert les sonorités si particulières de Feist (My moon, my man reste ma préférée). Côté francophone, un grand coup de coeur: le spectacle de Pierre Lapointe avec l'Orchestre métropolitain, que j'ai malheureusement raté (j'arrivais de vacances), que ma famille m'a empêché de regarder à la télé (« Franchement, Pierre Lapointe! ») mais que j'ai découvert un dimanche après-midi de septembre à Espace musique, par hasard, au retour d'un week-end avec ma classe de culture générale. Coup de coeur instantané, fascination pour les orchestrations, plaisir brut à l'écoute. À Noël, je me suis offert de moi à moi le CD, et en transfèrerai le contenu sur mon iPod.
Côté théâtre, Rhinocéros m'a beaucoup plu, surtout grâce à la mise en scène particulièrement éclatée de Jean-Guy Legault et Ubu Roi, déjanté au maximum. Mon grand regret: avoir attendu un peu trop longtemps (une amie qui ne s'est pas décidée à temps) et ne pas avoir vu Forêts de Wadji Mouawad. Je croise les doigts que la production soit remontée de nouveau très bientôt, ayant été particulièrement séduite par Incendies, à la fin 2006.
Côté lectures, pas de lecture clé, de celles qui changent une vie. (De 2006, j'avais par exemple retenu Le temps où nous chantions de Richard Powers.) Plusieurs lectures prenantes toutefois, de celles qui marquent profondément. Dans l'ordre ou le désordre, je retiendrai du côté québécois les écrits de Robert Lalonde (mon auteur québécois de l'année, celui de 2006 ayant été Jacques Poulin), Garage Molinari de Jean-François Beauchemin et les Carnets de Douglas de Christine Eddie. Il y aurait aussi Lignes de faille de Nancy Huston (mais est-elle Canadienne ou Française?) et Le cercle parfait de Pascale Quivigier (Québécoise mettant exilée en Italie). En littérature française et étrangère, je n'oublierai pas La voix d'alto de Richard Millet, Le peintre de batailles d'Arturo Pérez-Reverte, La lucidité de José Saramago mais aussi Le secret d'Anna Enquist (qui n'a rien à voir avec l'autre, vous savez le fameux bestseller) et l'étrange mais prenant Roman russe d'Emmanuel Carrère, malgré certains tics et un nombrilisme délirant.
Que nous réserve 2008? J'ai déjà rendez-vous avec deux géants du piano: Radu Lupu (30 janvier) et Alfred Brendel (son concert d'adieu, le 24 février). Ma pile à lire reste imposante (on m'a offert quelques livres à mon anniversaire et en ai acheté d'autres grâce à un cadeau maternel) et devrait me valoir quelques plaisirs non coupables.
Bonne année à tous et que votre vie soit remplie de manifestations artistiques!

dimanche 30 décembre 2007

Nouvelles québécoises

Avant de clore l'année avec une petite rétrospective demain, je tenais à revenir quelques instants sur deux recueils de nouvelles d'auteurs québécois, lus la même journée (l'une des rares de semi-tranquillité que j'aie eu jusqu'ici).

Je lisais pour la première fois Gilles Jobidon, dont on m'avait dit le plus grand bien. Dans D'ailleurs (VLB éditeur), il nous propose un voyage en sept escales dans des lieux parfois lointains (délicieux « Ly Sanh », l'histoire touchante d'un enfant qui apprend à vivre après la perte de sa grand-mère), dans des époques improbables (« Le tiroir bleu », dont l'argument est fascinant mais qui m'a un peu perdue en route), dans des univers à la Hemingway (« D'ailleurs », une grinçante peinture de caractères) ou franchement sombres (« À suivre » et « Elsewhere », qui se dévoilent en couches multiples). Il réussit à nous toucher et à nous faire rire à la fois avec « N.Y. » (la chute est particulièrement craquante), nous laisse parfois sur notre faim (« Le pull »). L'écriture est soignée, multiple dans les tons choisis, ponctuée d'images bien ficelées. Un auteur que j'ai pris plaisir à découvrir et auquel je retournerai sans doute.

J'ai enchaîné cette lecture avec Personnages en voie de disparition de Robert Lalonde, sans doute l'auteur québécois que j'ai le plus fréquenté cette année, séduite par Le monde sur le flanc de la truite. J'avais lu à sa sortie dans une librairie la nouvelle « Le meilleur ami de l'homme » (c'était la plus courte du recueil), que j'avais trouvé terriblement efficace, mais j'avais résisté à l'achat du livre alors. Il y a quelques semaines, un ami me prêtait le recueil, me confiant ne pas être dans l'état d'esprit nécessaire pour l'apprécier. J'attendais d'avoir quelques instants de paix relative pour m'y plonger, Robert Lalonde ayant cette faculté de ralentir le temps dans ses écrits, de nous confronter à la nature environnante, à l'instant qu'il suffit de saisir pour tenter de l'arrêter. Le recueil comprend certaines nouvelles particulièrement maîtrisées. La touchante « Espèces en voie de disparition » raconte l'histoire d'un amour de jeunesse arrêté en plein vol par le destin. Dans « Première neige sur la batture », nous assistons aux derniers instants d'un homme qui se sait condamné mais qui choisit de vivre jusqu'au dernier souffle. Certaines sont un peu plus faibles, il est vrai. « Here comes the sun », « L'accidentée » et « Des nouvelles d'Afrique » m'ont sans doute moins interpellée. Si je n'avais qu'à en choisir une, j'opterais sans l'ombre d'une hésitation pour la plus longue du lot, « Un chalet, un autre, toujours le même », une histoire d'amour passionné, fusionnel, déchirant, entre le narrateur, jeune comédien (possiblement une vision sublimée du jeune Lalonde) et Daniel, un être particulièrement torturé par ses amours homosexuelles. Là où Brokeback Mountain (tant le film que la nouvelle d'Annie Proulx) jouait la carte du non-dit et du sous-entendu, Lalonde choisit la voie de l'intensité, de la densité, de l'immensité. Alors je me suis jeté sur lui et tout a été comme toujours, l'un prenant le dessus, puis l'autre. Ça ne pouvait pas être autrement. Nous étions, encore à chaque fois dans le combat, semblables, équivalents, d'égale force. C'était comme si nous ne nous affrontions pas l'un l'autre mais chargions ensemble, attaquions ensemble un même adversaire, un même ennemi, un même frère. À savourer à petites doses, mais sans modération.

vendredi 28 décembre 2007

RIP Oscar

Au travers de ce tourbillon de repas gargantuesques et de réunions familiales, une ombre est venue assombrir le tableau: l'annonce par ma mère, lors du souper de Noël, du décès d'un immense jazzman, Oscar Peterson. Si j'admets mieux connaître le travail de son ami et collègue Oliver Jones, je sais bien combien les pianistes de jazz (même les pianistes tout court) lui doivent. Une technique phénoménale, une intensité superbe mais surtout une façon de manipuler le matériau sonore pour qu'il reste toujours chant, mélodie, émotion. Un hommage lui est rendu sur le site d'Evene qu'on peut lire ici. Un dossier assez complet est aussi paru dans La Presse, que l'on peut lire .

Mais les mots ne valent rien à côté des sons, alors le voici plutôt à l'action, dans l'éternel Autumn leaves, dans le délirant Caravan, dans le magique Alice in Wonderland et dans Falling in love (with La Belle Province)

mardi 25 décembre 2007

Joyeux Noël

Une première série de repas qui déjà alourdissent le tour de taille, un autre repas gargantuesque à préparer et à ingurgiter ce soir et puis, peut-être, après, un petit répit? Bon, alors, dans 48, 72 heures, une journée à ne rien faire, suspendue entre deux? On peut toujours rêver n'est-ce pas?
Allez, alors, en attendant, un petit rigaudon de La Bottine souriante pour se requinquer peut-être? Joyeux Noël à tous!

vendredi 21 décembre 2007

Premier roman

Ces jours-ci, je suis plongée dans un premier roman. Non, pas pour le compte de La recrue du mois, ce blogue collectif auquel je participe. Ce roman est encore en fichier .doc et je l'ai imprimé sur des feuilles de papier recyclées. En plus, c'est plus long qu'une lecture habituelle, puisque j'annote, je corrige les coquilles, les petites fautes d'accord, ce genre de trucs. Pour dire vrai, je suis en train de lire la deuxième mouture d'un premier roman. La première fois, je l'ai lu comme un vrai livre, sans me poser trop de questions, en le dévorant, quoi. Bien sûr, le fait que je connaisse intimement l'auteur (une étudiante qui s'est muée d'abord en éveilleure de conscience puis en amie), les circonstances qui ont mené à sa rédaction et le sujet très intense (le personnage principal souffre de troubles alimentaires graves) m'empêchaient de me détendre comme lorsque je lis, disons, un Henning Mankell. Pourtant, j'avais été rapidement happée par l'histoire, la galerie de personnages absolument saisissante de vérité et surtout la maîtrise avec laquelle tout ceci était narré. Cette deuxième mouture, bien sûr, a été considérablement resserrée et est devenue diablement efficace. Le sujet n'a rien perdu de son intensité mais le style est devenu très fluide, une respiration, un long soupir de douleur par moments, mais l'auteure refuse de tomber dans le misérabilisme. (Et je ne dis pas seulement ça parce que c'est mon amie, je sais être critique quand nécessaire.) Bref, un texte avec un énorme potentiel selon moi (que je verrais bien récupéré par Boréal par exemple).

N'empêche, en feuilletant et en annotant ces pages, je ne peux m'empêcher de comparer ce premier récit avec ces autres que j'ai lus récemment pour le compte de La recrue justement. Si j'ai été happée par Les carnets de Douglas, Le sang des colombes et surtout Dawson Kid ne m'ont vraiment pas séduite. Spontanément, je n'aurais jamais lu Dawson Kid (et, finalement, Danny Leclair écrit vraiment bien en comparaison) mais je suis néanmoins contente de m'y être efforcée, afin d'avoir une idée des textes qui retiennent l'attention des éditeurs. Honnêtement, je ne suis pas certaine de comprendre mais, clairement, mes goûts littéraires (et mon style) semblent un peu en marge, de façon générale.

Il y a quelques mois, un ami (jeune retraité) a envoyé son manuscrit aux éditeurs français. Ce manuscrit (tapuscrit?) aussi m'avait été confié pour deux relectures (j'aime bien faire partie de clubs très sélect de lecture... pour les autres, je les abhorre). L'auteur avait finalement accepté de le laisser quitter le giron paternel après plusieurs mois supplémentaires de fignolages divers. Cela tenait presque de l'arrachement. Il avait fallu insister, « Oui, il est prêt, laisse-le partir », avec une conviction inébranlable, avant qu'il ne cède à nos requêtes. Les réponses sont maintenant toutes rentrées: refus partout. Objectivement, le sujet n'était pas exactement dans l'air du temps (des souvenirs d'une enfance déchirée en Afrique du Nord, purement fictifs) et le style était peut-être finalement trop travaillé (comment oser écrire ça!) pour notre époque de consommation instantanée. Aura-t-il le courage maintenant de l'envoyer aux éditeurs québécois (malgré la non-québécitude du sujet)? Là est la question. Ses amis (dont moi) réussiront-ils à le convaincre de tenter de nouveau sa chance? Le manuscrit restera-t-il dans un fond de tiroir pour les 30 prochaines années? Ces refus laisseront-ils un goût trop amer qui éventuellement bloqueront toute possibilité d'un autre récit? Je souhaite que non. Devons-nous continuer de croire en une littérature québécoise? Bien sûr... Je vous laisse, j'ai à lire...

dimanche 16 décembre 2007

Dualité

Centième billet, rédigé de surcroît le jour de mon anniversaire (et, accessoirement, celui de Beethoven, de Kodaly et de Menahem Pressler). Une étape de franchie, d'une certaine façon, un stade symbolique. Je sais, certains blogueurs écrivent tous les jours, quoi qu'il arrive. Ce n'est pas mon cas. Mon horaire de travail est souvent trop chargé pour que je gruge ces instants de liberté contrôlée. Mais, pour une fille qui n'a jamais été capable de tenir un journal intime plus de deux jours d'affilée (ou tout court, finalement!), ce n'est pas si mal, vous ne trouvez pas?
Jeudi soir, j'étais invitée au souper de Noël de La Scena musicale. N'étant plus que collaboratrice occasionnelle (j'ai maintenant le luxe de n'écrire que sur des sujets qui me captivent, comme cette entrevue avec Jean-François Rivest ou cet article sur Radu Lupu), j'hésitais à replonger dans cet univers bien particulier que j'avais quitté il y a près de quatre ans: un univers de rêves, de passion pour la musique classique mais aussi d'échéanciers rarement respectés et de pénurie de fonds alarmante. Pressée d'accepter l'invitation à quelques reprises, j'ai fini par céder et ai rejoint une vingtaine de nouveaux et quelques rares anciens (ainsi va la vie). Lors d'un échange/vol de cadeaux, on nous avait demandé de nous présenter et de révéler un secret. J'aurais pu révéler plusieurs secrets de production, quelques anecdotes particulièrement savoureuses, j'aurais pu aussi revenir sur certains moments plus ambigus. J'ai choisi de jouer fair play et ai plutôt évoqué le concert-bénéfice du 5e anniversaire de la publication, qui s'est tenu au lendemain du 11 septembre 2001. Le concert a de fait été le premier concert donné à Montréal après l'événement. Une jeune femme s'est approchée un peu plus tard et n'a pas, elle non plus révélé de vrais secrets, mais a livré un touchant témoignage de gratitude, à mon égard particulièrement. Elle terminait son secondaire en option musique, était particulièrement brillante, avait une vie familiale des plus mouvementées à l'époque (je ne me souviens pas des détails, cela n'a aucune importance) mais écrivait déjà superbement et était totalement dédiée à la cause de la musique classique. Le temps de quelques numéros, elle était devenue collaboratrice régulière, en partie sous ma supervision. De la retrouver, jeune femme allumée, passionnée, équilibrée, qui entame en septembre une maîtrise en communications mais toujours aussi dédiée à la cause de la musique classique (elle a écrit de nouveau pour le magazine au printemps et à l'été), forcément, ça m'a touchée fortement. En fin de soirée, je l'ai prise dans mes bras, avec tendresse, avec respect, avec émotion.
La situation ne s'y prêtait pas mais, en fait, il y a bien un secret que j'aurais pu révéler ce soir-là (j'y ai pensé un instant) et que je révélerai ici, lors de ce fameux 100e billet. (C'est peut-être un faux secret car mes amis le connaissent déjà pas mais peu importe.) J'écris, sous pseudonyme, dans un autre blogue, de la fiction principalement. Il y a quelques années, l'appel de la nouvelle, de l'instant saisi, s'est fait de plus en plus pressant. En tant que journaliste (très) spécialisée, j'avais un peu l'impression d'avoir fait le tour du jardin et cette petite voix se faisait de plus en plus pressante. Je me suis d'abord rebuffée mais j'ai fini par céder. L'écriture de fiction a libéré un autre pan de ma créativité, pétri d'incertitude plutôt que d'objectivité. Tant pis, il faut que j'apprenne à l'assumer. Il y a quelques semaines, j'ai pour la première fois envoyé une nouvelle à un concours sous mon vrai nom. Quand j'ai dû taper les quelques lettres qui le composent, j'ai réalisé le poids de chacune, leur fragilité aussi...
Si vous souhaitez me lire, me connaître, autrement, c'est sur ... D'un cahier d'esquisses que vous pourrez le faire... Sinon, ce n'est pas si grave, je vous retrouve tout de même ici, comme avant, pas différente, simplement un peu plus libre...

vendredi 14 décembre 2007

Gotan Project

Je ne suis pas du tout puriste et admets fort bien les mélanges de genres. C'est sans doute pour cette raison que, à la première écoute, j'ai craqué pour le Gotan Project, groupe d'abord reconnu dans les discothèques du monde entier pour son remix de Vuelvo Al Sur en 2001. Les échantillonages électroniques intelligemment utilisés, le côté sulfureux de ce tango métissé, franchement rouge passion, la présence foudroyante du groupe sur scène, ont rapidement propulsé le groupe vers des sommets inespérés. Vous connaissez certainement Santa Maria (notamment grâce à son utilisation dans le film Shall we dance).

Mais le groupe ne ne résume pas à un seul hit. Il y aussi Un tango diferente.
De leur dernier album Lunatico, il faudrait surtout retenir Mi Confesion et le délirant Diferente, tout en douceur et en subtilité. Alors, on danse?

Dawson Kid: combat inégal

Dans le métro, Rose est témoin d’un suicide. Traité par l’auteur comme un ballet macabre méticuleusement chorégraphié, cet élément déclencheur nous plonge d’entrée de jeu dans un univers sombre, vaguement malsain, mais duquel se dégage malgré tout une certaine poésie. On suit ensuite pas à pas le parcours de Rose, jeune femme pétrie d’ambivalence et emplie d’une colère sourde, qu’elle tente de sublimer à travers la boxe mais qu’elle ne réussit jamais à contrôler entièrement (violence latente qui se transmet également à sa sexualité).

J’aurais aimé pouvoir m’attacher à cette enfant en marge d’elle-même, à cette jeune fille qui tente de s’émanciper d’un passé trouble, à cette femme qui se cherche dans une sexualité hors normes, mais je n’ai malheureusement pas réussi à le faire. Question de ton, de style? Les descriptions de l’univers si particulier de la boxe, que ce soit la salle d’entraînement, les séances avec Coach, les matchs eux-mêmes, sont particulièrement réussies et dénotent une maîtrise certaine du langage. Les retours dans le passé de Rose – notamment les allusions répétées à ce fameux texte rédigé en Secondaire I qui, selon moi, ne méritait certes pas un 10/10 – convainquent beaucoup moins.

Incapable de saisir la nature exacte de l’objet littéraire créé par Simon Girard, je me suis longuement interrogée. Cherchait-il à faire le récit d’une jeunesse blasée, revenue de tout, qui choisit la violence plutôt que la résistance? Capitalisait-il sur la tuerie de Dawson pour attirer l’attention? Devais-je percevoir le récit comme un roman d’apprentissage, dans laquelle l’héroïne tente d’exorciser un passé familial très lourd? À force de danser sur place, d’essayer de deviner la tactique de l’adversaire, difficile de se laisser happer par l’histoire, à moins qu’elle ne soit narrée avec un style exceptionnel, ce qui n’est pas le cas ici selon moi. J’ai donc abandonné la partie, à défaut d'être mise K.O.

lundi 10 décembre 2007

Sylvain Trudel: entrevue

Mystérieux, intense, reclus, Sylvain Trudel, auteur notamment de Le souffle de l'harmattan, détenteur de plusieurs prix importants, ne donne plus d'entrevues depuis quelques années, préférant l'isolement et l'amour de la femme de sa vie à la lumière des projecteurs. Il vient de remporter le Prix du Gouverneur Général pour La mer de la tranquillité, un recueil de nouvelles « prodigieux, beau comme un désert » (qui rejoindra certainement ma PAL). Il donne une rare entrevue, par écrit, à La Presse. À lire ici...

samedi 8 décembre 2007

Écrivain (en 10 leçons)

Les recettes de la Callas avait tout pour m'interpeller en principe: un sujet musical et une corrélation à la gastronomie. Pendant plus d'un an, quand j'étais rédactrice adjointe de La Scena Musicale, j'avais institué une chronique régulière (qui, apparemment, était fort suivie) de recettes musicales, La Cena musicale, dans laquelle je retraçais l'historique d'une recette à connotation musicale (les pêches Melba ou les tournedos Rossini, par exemple) et proposais en complément une recette (avec photo séduisante à l'appui). Tout ça pour vous dire que j'étais bien disposée quand j'ai ouvert ce mince ouvrage, signé par Réal Larochelle, biographe de Denys Arcand mais aussi grand spécialiste de l'opéra. Docufiction, faux roman, essai musicologique tronqué, ce livre ressemble fort à un soufflé qui n'a pas levé. Dès le début, on hésite sur le ton. Daniel Pinard (oups, pardon, Picard) vient d'accepter un contrat pour écrire un livre de recettes de la Callas. Démuni face au manque d'information disponible en archives, il fait appel à un grand spécialiste (Larochelle lui-même, ni plus ni moins). Celui-ci envoie des textes, qui hésitent entre biographie, analyse musicologique, le potinage people (par moment, on se croirait dans Paris Match, les photos en moins) et le défouloir narcissique (on ne comprendra jamais ce que les recettes de famille du spécialiste viennent faire dans l'histoire). Les fans de la Divina n'apprendront rien, ceux qui souhaitent lire un roman bien ficelé seront à tout le moins perplexes face à l'inefficacité du langage, les fins gourmets préféreront consulter un livre de recettes de leur collection. Bref, en tentant d'être un produit hybride (la cuisine fusion a souvent ses limites, comme on le sait), génétiquement modifié (si au moins on pouvait s'attacher à un personnage mais impossible), Larochelle ne convainc personne. Seule (mais mince) consolation: cette plaquette m'avait été fournie par un service de presse!

J'avais donc besoin d'un changement d'humeur totale et c'est pourquoi j'ai cédé aux avances de Philippe Ségur et de son Écrivain (en 10 leçons). Ayant encore le palais anesthésié par l'ouvrage insipide, j'ai craint que Ségur ne me serve une recette de salade mixte qui retracerait son périple d'écrivain, sourire entendu à la clé et réflexions profondes en prime. J'avais tout faux. Pur divertissement, ce livre se déguste comme un brownie moelleux, plaisir coupable s'il en est. Ça fond sous la langue, c'est doux dans la gorge et surtout, ça réconforte. Dès la première phrase, le ton est donné: « Ma vocation d'écrivain est une conséquence directe de mon échec dans la carrière de super-héros. » Philippe Ségur y glisse son double névrosé, Phil Dechine, graphiste à la ville mais écrivain qui fabule à tout propos. Entretenant une relation plus qu'ambiguë avec les téléphones notamment, avec la réalité de façon générale, Dechine finira, après avoir essuyé une tempête de refus, par être publié, chez Busch & Sachtl (la maison d'édition de Ségur est Buchet Chastel). La presse parle de son bouquin, Métaphysique du dog (Ségur se moque volontiers de son Métaphysique du chien), il fait le tour des salons (chapître particulièrement désopilant), remporte un prix (Mirabeau des vétérinaires), est invité sur un plateau de télé, chez George-Patrick Stendhal (Poivre d'Arvor, vous connaissez?), entretiendra des relations délirantes avec ses lecteurs. Le ton privilégié est celui de l'ironie bon enfant (avec une série de parenthèses délirantes qui nous plongent dans l'inconscient de ce cher Phil) mais la peinture est tout de même assez criante de vérité. « J'étais d'une bonté exténuante. Je m'étonnais moi-même d'avoir su rester aussi simple. Le succès ne m'était pas monté à la tête, on pouvait le dire. Ma bienveillance ne connaissait pas de limites. » Ayant lu plusieurs pages dans un métro bondé, je me retenais pour ne pas éclater de rire à tout moment. Un plaisir coupable, je vous dis...

On peut lire l'avis de Caro[line] ici et visiter le site de l'auteur là.

mardi 4 décembre 2007

Radu Lupu: le mage du piano

Inclassable, inégalable, inoubliable, Radu Lupu ravit depuis plus de 40 ans les auditoires du monde entier par son jeu ancré à la fois dans les profondeurs de l’instrument et l’âme du compositeur, une sensibilité musicale exceptionnelle, une facilité déconcertante mais d’une grande discrétion, une intériorité toute en subtilité et un don certain pour peindre des paysages sonores. Ses qualités pianistiques et son aura d’artiste secret le maintiennent dans une classe à part. Comme s’enthousiasmait un critique londonien, « il a les pianissimi célestes d’un Richter, les fortissimi retentissants d’un Guilels et les accords mystérieux et magiques d’un Cherkassky ». Mais si Lupu est l’un des géants du piano, il refuse toute publicité gratuite et décline systématiquement les entrevues depuis plus de 30 ans, considérant, peut-être avec raison, que ses mots ne pourraient rien révéler de plus que ce qu’il transmet, quelques soirs par année, à un public fervent. Quand on assiste à un récital de Lupu, on se glisse dans la salle presque sur la pointe des pieds, histoire de ne pas s’immiscer dans la transmission d’un nombre relativement restreint de chefs-d’œuvre du répertoire. « Le public vient à lui, il ne vient pas le chercher, il ne lui fait aucune concession », confirme Louise Forand-Samson, directrice artistique du Club musical de Québec, qui a convaincu son ami de longue date de s’arrêter une fois encore à Québec le 28 janvier prochain. (Le programme Schubert et Debussy sera repris deux jours plus tard à Montréal lors du concert-bénéfice de la Société Pro Musica.)

Vous pouvez lire la suite de l'article dans le PDF de l'édition de décembre/janvier de La Scena. Le texte commence en page 36. J'ai hâte au récital!!!

lundi 3 décembre 2007

Jour de neige

Jour de neige, de ouate blanche, de cocon moelleux. Une façon agréable de retarder le temps, de commencer la semaine autrement que sur les chapeaux des roues. Au lieu d'accumuler les heures d'enseignement comme tous les lundis, j'aurai un peu plus de temps pour procéder à mes recherches et à l'écriture de notes de programme pour un étrange amalgame Rachmaninov (Études-tableaux opus 39) et Schubert (Klavierstücke), couplage du prochain CD d'Alain Lefèvre.

Hier soir, baume pour le coeur (avant le baume de blancheur pour les yeux aujourd'hui). M, cette jeune fille à qui j'ai cédé le saxophone de mon fils, m'a téléphoné. Elle était fébrile depuis deux semaines, elle souhaitait m'appeler absolument pour m'inviter à son premier concert officiel en tant que saxophoniste (elle est membre d'une harmonie) et qui se tiendra dans moins de deux semaines. En plein milieu d'une brassée de lavage, perplexe tout d'abord face à l'identité de mon interlocutrice (je n'avais bien assimilé que la dernière syllabe de son nom et cherchait désespérément à quelle élève j'étais en train de parler, sans succès), je me suis immobilisée rapidement devant l'immensité de la demande. Une grande tendresse m'a envahie et j'ai eu l'impression d'être en train de vivre un instant marquant, celui de l'accueil d'une nouvelle membre dans une confrérie. Je ferai tout mon possible pour y être, bien sûr. Ce n'est pas tous les jours qu'on peut entendre de la musique avec ses oreilles d'enfant...

samedi 1 décembre 2007

Rhinocéros

J'aime beaucoup l'univers du théâtre, sa force, sa proximité, la façon dont le texte, le jeu des acteurs nous happent, sans qu'on songe un instant à s'échapper. C'est un art vivant, vibrant, vivifiant. Quand j'ai vu que le TNM montait cette année un Ionesco, je n'ai pas hésité, je l'ai proposé à mes étudiants du cours de culture générale. Il y a deux jours, je leur ai présenté la pièce (nous irons la voir dans dix jours) mais ai d'abord amorcé mon cours par une présentation générale du médium, histoire de leur inculquer quelques repères, quelques mots de vocabulaire: commedia dell'arte, unité, Molière (à ma grande joie, une étudiante a avoué que c'était son dramaturge préféré... à ma moins grande joie, elle semblait l'une des seules à connaître son nom), le théâtre de l'absurde d'Ionesco. Je leur ai décrypté Rhinocéros (que j'ai lu avec un plaisir presque jouissif, le langage étant manipulé de façon à la fois ludique et diablement précise), leur ai expliqué le sous-texte (la pièce est un plaidoyer pour la liberté d'expression, le libre penser, contre la propagande de masse des régimes totalitaires). Je leur ai lu un extrait, complètement délirant, dans lequel le logicien réussit à prouver tout et n'importe quoi, notamment que Socrate est un chat, que les chiens sont des chats, qu'un chat sans pattes est néanmoins un chat. L'absurde poussé au maximum mais qui en même temps fait frémir. N'est-ce pas ainsi qu'un tribun convainc les masses de la pertinence de son message, qu'on bâillonne les artistes? Constat criant d'actualité, presque 50 ans après la création de la pièce...
Mon fils, intrigué, déstabilisé, envoûté par le théâtre (il considère de peut-être se perfectionner dans le domaine) est allé voir la pièce hier avec un ami (première sortie au théâtre non encadrée pour les deux jeunes hommes). Il est revenu avec le sourire, séduit. Il s'est assis sur mon lit (je terminais la pénible lecture des Recettes de la Callas qui, selon moi, n'a de positif que son nombre de pages restreint), s'est mis à me narrer certains passages, a potassé le programme de soirée en ma compagnie (son acteur fétiche, Marc Béland, y tenait le rôle de Jean), semblait avoir saisi la plupart des messages livrés par l'auteur. En échangeant avec lui, j'avais hâte de me glisser dans la salle, de plonger dans l'univers, d'accepter le rire comme la grimace. Aucun doute: le théâtre est toujours bien vivant. Heureusement...