Les recettes de la Callas avait tout pour m'interpeller en principe: un sujet musical et une corrélation à la gastronomie. Pendant plus d'un an, quand j'étais rédactrice adjointe de La Scena Musicale, j'avais institué une chronique régulière (qui, apparemment, était fort suivie) de recettes musicales, La Cena musicale, dans laquelle je retraçais l'historique d'une recette à connotation musicale (les pêches Melba ou les tournedos Rossini, par exemple) et proposais en complément une recette (avec photo séduisante à l'appui). Tout ça pour vous dire que j'étais bien disposée quand j'ai ouvert ce mince ouvrage, signé par Réal Larochelle, biographe de Denys Arcand mais aussi grand spécialiste de l'opéra. Docufiction, faux roman, essai musicologique tronqué, ce livre ressemble fort à un soufflé qui n'a pas levé. Dès le début, on hésite sur le ton. Daniel Pinard (oups, pardon, Picard) vient d'accepter un contrat pour écrire un livre de recettes de la Callas. Démuni face au manque d'information disponible en archives, il fait appel à un grand spécialiste (Larochelle lui-même, ni plus ni moins). Celui-ci envoie des textes, qui hésitent entre biographie, analyse musicologique, le potinage people (par moment, on se croirait dans Paris Match, les photos en moins) et le défouloir narcissique (on ne comprendra jamais ce que les recettes de famille du spécialiste viennent faire dans l'histoire). Les fans de la Divina n'apprendront rien, ceux qui souhaitent lire un roman bien ficelé seront à tout le moins perplexes face à l'inefficacité du langage, les fins gourmets préféreront consulter un livre de recettes de leur collection. Bref, en tentant d'être un produit hybride (la cuisine fusion a souvent ses limites, comme on le sait), génétiquement modifié (si au moins on pouvait s'attacher à un personnage mais impossible), Larochelle ne convainc personne. Seule (mais mince) consolation: cette plaquette m'avait été fournie par un service de presse!
J'avais donc besoin d'un changement d'humeur totale et c'est pourquoi j'ai cédé aux avances de Philippe Ségur et de son Écrivain (en 10 leçons). Ayant encore le palais anesthésié par l'ouvrage insipide, j'ai craint que Ségur ne me serve une recette de salade mixte qui retracerait son périple d'écrivain, sourire entendu à la clé et réflexions profondes en prime. J'avais tout faux. Pur divertissement, ce livre se déguste comme un brownie moelleux, plaisir coupable s'il en est. Ça fond sous la langue, c'est doux dans la gorge et surtout, ça réconforte. Dès la première phrase, le ton est donné: « Ma vocation d'écrivain est une conséquence directe de mon échec dans la carrière de super-héros. » Philippe Ségur y glisse son double névrosé, Phil Dechine, graphiste à la ville mais écrivain qui fabule à tout propos. Entretenant une relation plus qu'ambiguë avec les téléphones notamment, avec la réalité de façon générale, Dechine finira, après avoir essuyé une tempête de refus, par être publié, chez Busch & Sachtl (la maison d'édition de Ségur est Buchet Chastel). La presse parle de son bouquin, Métaphysique du dog (Ségur se moque volontiers de son Métaphysique du chien), il fait le tour des salons (chapître particulièrement désopilant), remporte un prix (Mirabeau des vétérinaires), est invité sur un plateau de télé, chez George-Patrick Stendhal (Poivre d'Arvor, vous connaissez?), entretiendra des relations délirantes avec ses lecteurs. Le ton privilégié est celui de l'ironie bon enfant (avec une série de parenthèses délirantes qui nous plongent dans l'inconscient de ce cher Phil) mais la peinture est tout de même assez criante de vérité. « J'étais d'une bonté exténuante. Je m'étonnais moi-même d'avoir su rester aussi simple. Le succès ne m'était pas monté à la tête, on pouvait le dire. Ma bienveillance ne connaissait pas de limites. » Ayant lu plusieurs pages dans un métro bondé, je me retenais pour ne pas éclater de rire à tout moment. Un plaisir coupable, je vous dis...
On peut lire l'avis de Caro[line] ici et visiter le site de l'auteur là.
2 commentaires:
Ton compte-rendu de cet "Ecrivain (en 10 leçons)" me met en appêtit (plus que les recettes de la Callas, est-il utile de le préciser).
Par contre, la première citation que tu donnes anéanti toutes mes illusions : moi qui suis devenu écrivain en attendant d'avoir l'expérience nécessaire pour être super-héros !
Puisque c'est comme ça, je resterai écrivain.
ok compris, je préfère les plaisirs coupables de brownies moelleux (même si la culpabilité n'est pas mon fort) plutôt que d'avoir le palais anesthésié par une pâte insipide...
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