samedi 26 janvier 2008

Souvenirs de concours


Ah ! les concours… Choix contre nature, façon de se faire connaître, mal nécessaire, notion à s’approprier ou à balayer du revers de la main ? Mes expériences de concours sont multiples et je les ai vécues de façon foncièrement différente, en tant que participante, professeure, parent, juge ou journaliste.
Dès la première année de leçons, mon professeur m’avait inscrite au Concours de musique du Canada. Je me souviens vaguement d’une robe à froufrous, d’avoir escaladé les marches qui menaient à un piano à queue, du pompeux très british des lieux… et aucunement des pièces jouées. Ce concours devait rythmer ma vie de pianiste pendant quelques années. Cela venait avec l’apprentissage de certaines pièces obligées, mais j’avoue que je ne me posais pas à l’époque de grandes questions existentielles sur la pertinence de l’événement. Cela faisait partie du calendrier, point final. Au fil des ans, le concours m’a permis de jouer au Piano nobile, dans des maisons de la culture, dans des salles sans âme dont j’ai tout oublié sauf la froideur, et à la Salle Claude-Champagne. Des expériences à mettre dans la besace, sans plus.
Je me souviens par contre avec précision des instants précédant le départ de la maison alors que mon père m’enregistrait sur d’immenses bobines qu’il archivait précieusement. Je me rappelle aussi que, systématiquement, mes parents m’affirmaient avec emphase que, peu importait le résultat du concours, ils m’aimeraient quand même. Maintenant que j’y pense, ce moment était sans doute le seul dans l’année qui me valait un tel épanchement de sentiments. Pour avoir vécu l’expérience depuis en tant que parent, je comprends mieux la fragilité du moment où le jeune musicien accepte de rendre les armes et de se dénuder devant un jury. Je peux aussi vous affirmer que, quand on est soi-même passé par là, ça tient de la torture pure et simple. Anticiper la moindre phrase musicale, sourire quand la phrase est bien déposée, frémir quand le doigt glisse sur la mauvaise note, jeter un coup d’œil nerveux aux juges (« C’est clair ! Ils vont démolir mon enfant ! »), arrêter de respirer pendant le temps nécessaire, avoir l’estomac franchement noué, applaudir de façon crispée en espérant que personne ne remarque son inconfort, il n’y a pas grand chose de plus désagréable que ces instants hors du temps.
Pourtant, par expérience, je peux vous affirmer que le juge est généralement de nature généreuse et qu’il balaie volontiers du revers de la main la petite fausse note et s’insurge plutôt contre les phrasées escamotées, le rythme déficient, le jeu uniforme. En fait, quand je passe de l’autre côté du miroir, je suis tout sourire, j’ouvre grand les oreilles et j’espère être séduite à chaque fois. Parfois, la rencontre est sympathique, sans plus. À d’autres moments, bénis, on se pince presque pour y croire.
Avouons-le ici : tous les concours ne sont pas créés égaux. Si certains sont impitoyables, d’autres privilégient une certaine camaraderie. Le Concours Inter-Élèves, qui fête ses 35 ans cette année, est de ceux-là. Ayant poursuivi mes études à Vincent-d’Indy relativement tardivement, je n’ai participé au Concours Inter-Élèves qu’à deux reprises, en huitième et en neuvième années. Je me souviens de l’atmosphère légèrement surannée du parloir, des longues heures de délibération, tard en soirée (c’est l’impression qui m’est restée, mais chacun sait la propension du temps à se dilater en situation de stress), du sourire de mon professeur. Plus important peut-être, j’avais développé une belle complicité avec celui qui s’était classé premier (j’étais deuxième) et dont le nom m’échappe malheureusement aujourd’hui. Nous nous étions retrouvés avec plaisir lors du concert-gala, l’un dans l’ombre de l’autre en coulisses, contents d’être unis, à cet instant précis, par le pouvoir de la musique, de nous laisser transporter par le plaisir brut de faire de la musique, tout simplement. En dépit de leur dehors parfois rébarbatifs, les concours, il faut bien l’avouer, permettent souvent de belles rencontres : avec l’autre, avec la musique, avec soi…

La toile est de Carl Larsson. Ce texte est l'édito du prochain numéro de La muse affiliée, disponible d'ici une dizaine de jours.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour le flot de souvenirs qui me sont revenus à la lecture de ce texte! Ca date... et je ne joue maintenant que pour le plaisir mais ça fera toujours partie de moi!

Michel a dit…

C'est par le biais des concours que j'ai trouvé ma plus grande motivation: l'effervescence de l'événement, les petits voyages qui y étaient reliés, les rencontres avec d'autres musiciens, la sensation de vivre dangereusement...

Good memories!

Anonyme a dit…

C'est drôle, moi qui avais tant le trac petite, je l'ai perdu sur les scènes de rock, je ne sais pas pourquoi. tout au plus une certaine nervosité avant de jouer, le besoin d'être au calme. Par contre, quand je vais voir quelqu'un que je connais monter sur scène, je suis pétrifiée, j'ai mal dans la poitrine. c'est fou çà...ce sont de biens jolis souvenirs.

Claudio Pinto a dit…

Les concours de chanson procurent les mêmes sensations au participant.

Et merci de nous dire, chère Lucie, que les juges sont «pas si pire que ça» finalement ! Cela jettera sûrement un baume précieux à beaucoup de jeunes musiciens.