vendredi 12 septembre 2008

Parlons-nous une langue morte?

En tant que musiciens classiques, sommes-nous une espèce en voix d'extinction? Devrons-nous bientôt nous regrouper en chapitres secrets d'une quelconque organisation occulte pour échanger nos impressions sur une sonate, une symphonie, un compositeur en particulier? Parlons-nous une langue qui soit encore compréhensible, je dirais même plus, pertinente dans la société contemporaine dans laquelle nous vivons?

Pas une semaine ne se passe sans qu'on entende une organisation musicale classique - fût-elle chef de file dans son créneau - se plaindre que les salles se vident, que les mélomanes purs et durs deviennent denrée rare, qu'on assiste à un dangereux vieillissement du public. On parle sans cesse des têtes blanches qui hantent les salles de concert (et profitent parfois de l'obscurité moelleuse pour piquer un somme), des jeunes qui n'écoutent que des chansons pop sans substance. On réalise de plus en plus combien la compétition entre les organisations est devenue féroce. Un même soir à Montréal, il n'est pas rare de pouvoir hésiter entre une dizaine de concerts, certains donnés par des maîtres et d'autres par la relève. Ce genre de situation est pourtant une arme à double tranchant. Si elle semble avantageuse pour le mélomane (certains de ces concerts étant gratuits ou presque), elle devient source de tensions entre les divers organismes qui ne savent plus où donner de la tête (ou de la publicité, selon les moyens de l'organisation) pour attirer une clientèle en apparence stagnante.

En 2008, est-il possible de rendre le concert classique suffisamment attrayant pour attirer en salle de nouveaux adeptes? A-t-on fait le tour de l'expérience? Il faut réaliser que le concert a beaucoup évolué au fil des siècles. D'événement relativement intime à l'époque baroque (la musique faisait alors partie de toutes les maisons ou presque, les stimulations autres étant limitées) à mondain à l'époque de Mozart (Rien de tel qu'un petit quatuor ou une gentille symphonie pour digérer un plantureux repas!), il est devenu geste presque politique avec Beethoven (Le peuple a le droit d'avoir accès à la grande musique.) avant de devenir cirque pur et simple à l'époque de Liszt. (Vous imagineriez-vous aujourd'hui assister à un duel entre deux musiciens, tentant d'éblouir le public? Liszt et Thalberg s'en sont donné à cœur joie et je ne serais pas surprise d'apprendre que les gens pariaient de l'argent sur l'issue de ce combat.) Éventuellement, le concert est devenu un événement très policé, aux codes multiples, qui ont très peu changé au cours des dernières décennies. Prenons un concert symphonique type. On aura droit à une jolie ouverture, petit amuse-gueule savoureux mais qui ne déstabilise pas trop (et qui permet aux retardataires de prendre leur siège). Un soliste s'avancera ensuite, histoire de nous éblouir par sa technique prodigieuse (et, si c'est un grand soir, un brin de musicalité). En deuxième partie, on nous propose une symphonie du « grand » répertoire. (J'ai failli écrire: on se tape une symphonie.) Combien de fois pouvons-nous entendre la Troisième de Brahms ou la Cinquième de Beethoven avant de crier grâce?

On me dira que je suis devenue blasée et vous aurez peut-être un tantinet raison. Il faut dire que, même si, comme Obélix, je suis tombée dans la musique classique quand j'étais bébé (n'ayant eu accès à la musique pop que vers l'âge de 12 ans), je réussis encore à m'enthousiasmer pour certaines pages du répertoire. Oui, je l'avoue, j'apprécie particulièrement de pouvoir découvrir une nouvelle œuvre (Je parle encore, quatre ans après, de l'interprétation fabuleuse de la Symphonie no 1 de John Corigliano dirigée par Jacques Lacombe!) et de sortir un peu des sentiers battus, même si je comprends que, de temps en temps, on aime bien retrouver de vieux amis et se couler entre les pages d'une sonate de Beethoven, d'un nocturne de Chopin ou même du Clair de lune de Debussy. Mais le public, lui, le vrai, que veut-il entendre? Oui, une interprétation de la Neuvième de Beethoven affichera le plus souvent complet mais combien, dans la salle, connaîtront autre chose que le célèbre dernier mouvement et son « Hymne à la joie »? Est-on condamné à rouler indéfiniment dans la même ornière vers une voie de garage éventuelle? Je ne crois pas.

Tant qu'il y aura des musiciens passionnés, qui chercheront à rejoindre monsieur et madame Toutlemonde sur le terrain, il y a un espoir de renouveau. Bien sûr, si ces musiciens, ces professeurs, quelquefois par paresse, souvent par peur de l'inconnu, proposent toujours les mêmes œuvres aux néophytes, aucun salut n'est envisageable. Les jeunes sont-ils foncièrement anti-musique classique? Je ne le crois pas. Combien d'entre eux collectionnent les trames sonores de leurs films préférés? (Vous seriez surpris du nombre de bandes originales qui reprennent des tubes de la musique classique et d'autres pages moins connues.) Votre jeune écoute du power metal? Il est à deux clics de souris d'une symphonie classique, ce genre musical mariant avec une surprenante diversité orchestrations somptueuses, formes vastes (les pièces ne sont pas du tout formatées pour la radio) et références à des œuvres classiques. (Et oui, autre mythe à déboulonner: certains musiciens rock ont une formation musicale poussée!)

Alors, parlons-nous une langue morte? Je ne crois pas. Peut-être un peu poussiéreuse, je vous l'accorde, mais un chiffon, c'est facile à trouver, non? Dans le monde littéraire, y a-t-il encore place pour Molière, Balzac, Stendhal, Flaubert, Mallarmé, Baudelaire? Évidemment. Oui, les lecteurs d'aujourd'hui apprécieront peut-être une couverture au design revisité plutôt qu'une édition originale mais les mots, le sens, l'émotion transmise, sont encore d'actualité. Alors, si on dépoussiérait Bach, Mozart, Schumann, en les juxtaposant à des œuvres d’aujourd’hui par exemple? Les allergiques éternueront un peu, peut-être. Tant pis... Les autres seront ravis de s'approprier ces joyaux.
Metamorphosis Two - Philip Glass - Solo Piano

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Quand j'étais gosse, j'entendais déjà ce type de discours: le public vieillit, les jeunes n'aiment pas le classique, etc. Le "classique" n'a jamais passionné les foules de toutes façon, juste le 5 ou 10% de gens qui goûtent la musique pour elle-même. Mais le public du classique est motivé et fidèle... quant au vieillissement c'est aussi celui de la population dans son ensemble et les baby-boomers fraîchement retraités ont à la fois du temps et de l'argent pour aller au concert, ce qui manque souvent aux jeunes actifs.

Sur le non-renouvellement du répertoire c'est plus préoccupant. La faute aux compositeurs qui écrivent trop difficile, aux interprètes qui ne font pas d'efforts, au public qui est frileux et préfère les marques connues (Mozart, Beethoven, philarmonique de Berlin etc). La vogue de la musique ancienne et le confinement des compositeurs vivants dans les festivals explicitement labelisés "contemporain" n'arrangent pas les choses.

Dépoussiérer Bach, Mozart, Schumann ? Pour quoi faire, leur musique n'a pas pris une ride. En revanche, qu'on invite Messiaen, Stockhausen et Dusapin à leurs côtés, et on s'ennuiera nettement moins !

Michel a dit…

J'ai eu mont lot de doutes et d'interrogations. Mais c'est pour toujours rebondir encore plus convaincu et déterminé. La musique classique est éternelle, et bien qu'elle épouse parfois certaines tendances, elle fera toujours fi des courants populaires mais occupera très certainement une place quoiqu'il arrive. Le problème majeur n'est pas l'accessibilité, mais l'éducation. On ne peut transmettre ce que l'on n'a pas reçu. C'est un par un qu'il faut aller chercher de nouveaux adeptes.

On s'en reparle:-)?

Lucie a dit…

Papageno: je me suis peut-être mal exprimée au sujet de dépoussiérer les « classiques ». Je pense effectivement que de les jumeler à des œuvres d'aujourd'hui est une excellente façon de le faire. Je me souviens par exemple d'un programme qui jumelait le K. 467 de Mozart avec les Éclairs sur l'Au-delà de Messiaen. Pour moi, l'un préparait l'autre, nous y ouvrait.
Et tu as sans doute raison que certains (trop) compositeurs semblent le faire exprès pour rester obtus, dans leur tour d'ivoire. En même temps, il faut réaliser que pour un Beethoven, il y a eu à la même époque des centaines de compositeurs bien moins intéressants.

Cette semaine, le NEM (Nouvel ensemble moderne) fêtait ses 20 ans de carrière. Au premier concert, il y avait 500 personnes. Pour de concert « anniversaire », plus que 100! Constat inquiétant. La musique doit continuer à vivre.

Dans quelques semaines, s'ouvre à Montréal l'Automne Messiaen. (Différents organismes y participeront, partout dans la ville.) J'ose espérer que le public y sera. À suivre...

Lucie a dit…

Michel: tu sais comme je suis convaincue qu'il faille les rejoindre un par un, ces auditeurs. Il n'y a selon moi aucune autre façon de le faire. Les événements « de masse » ne convainquent jamais bien longtemps. On en reparle, on en rejoue, quand tu veux. ;-)

Danaée a dit…

Lucie, je pense que les classiques demeurent des joyaux. Ils ne se démodent pas. Il faut travailler à vulgariser ces classiques, c'est vrai. Et cette tâche revient aux passionnés, dont tu fais partie.

Anonyme a dit…

Lucie : Pour te donner un peu d'espoir, saches que la musique classique est celle que je préfère entendre. En fait, je n'écoute pas vraiment de musique (je n'achète pas de CD, ne vais pas voir de concerts, etc... oui, je sais, je suis un alien), mais le classique m'émeut toujours, alors que la musique que les jeunes de ma génération écoute m'interpelle rarement. Si un jour je me mets à "consommer" de la musique, ce sera très certainement du classique. Et je saurai qui aller voir pour me conseiller! ;)

Lucie a dit…

Danaée: vulgariser les classiques, tout à fait. C'est un peu ce que tu fais aussi dans tes cours! ;-)

Maxime: touchée par ton commentaire, que tu choisisses de te laisser émouvoir par le classique. Pour les suggestions de répertoire à découvrir, n'hésite pas: ça me fera plaisir d'être ta conseillère privilégiée!

[ Ben ] a dit…

Article très intéressant.
Cela dit, j'ai du mal à saisir votre point de vue à la lecture de vos paragraphes...

"Bien sûr, si ces musiciens [...] proposent toujours les mêmes œuvres aux néophytes, aucun salut n'est envisageable."
"Alors, si on dépoussiérait Bach, Mozart, Schumann? Les allergiques éternueront un peu, peut-être. Tant pis... Les autres seront ravis de s'approprier ces joyaux."

Cela ne se contredit-il pas, ou alors ai-je mal compris ?

Lucie a dit…

Ben: je vais reformuler ma phrase là-dessus. Je pense que pour les dépoussiérer, il faut les juxtaposer. Je fais une retouche dans le texte original pour clarifier tout ça!

[ Ben ] a dit…

Oui, du coup j'ai compris cela en relisant les commentaires ;)

En effet, je pense que c'est un bon compromis... les grands classiques font venir le monde, et on leur propose une part de nouveauté !