mercredi 27 mai 2009

Échec



Depuis quelques semaines, je dois apprendre à faire face à une nouvelle émotion en tant que professeur. Non, pas la colère, le plus souvent inutile. Mes élèves peuvent témoigner: je ne me fâche jamais... ou presque. Celui ou celle qui écope - une fois tous les deux ou trois ans - s'en souvient généralement pendant quelques semaines. Non, c'est plus insidieux que cela. Je dois apprivoiser l'échec, ou plus précisément le lâcher-prise dans l'échec.

En effet, il y a quelques jours, j'ai vu une élève pour la dernière fois avant son examen de fin d'année. Depuis novembre, je menace. En février, je me suis mise à trépigner. En mars, j'ai communiqué avec l'autorité parentale concernée. En avril, j'ai tenté de négocier une réduction de peine mais sans succès. De façon aussi mathématique que 2 et 2 font 4, cette élève se dirige tête première vers un échec et je ne peux rien faire pour l'empêcher. Difficile à accepter.

Dans des circonstances normales, je ne lui aurais jamais proposé de passer cet examen, trop ardu pour elle mais - et ce même si j'ai averti sa mère de la folie d'une telle entreprise l'année dernière -, comme elle est en option, elle n'a pas le choix et doit s'y présenter. Depuis que j'ai commencé à enseigner, je n'ai jamais eu à faire face à un tel constat. Deux ou trois de mes élèves ont dû reprendre des examens, certes, mais elles étaient bien mieux préparées. Le pire, dans tout cela, c'est que l'élève ne semble pas traumatisée outre-mesure de prendre part à une telle aventure. Elle n'en est pas à son premier échec, j'imagine, et a peut-être appris à le gérer d'une façon ou d'une autre.

J'ai souvenir d'un entretien d'embauche, il y a quelques années déjà, dans lequel on m'avait demandé d'élaborer sur une situation d'échec, pour comprendre comment je l'avais gérée. J'avais été un peu décontenancée par la question, ayant connu un parcours académique sinon exemplaire, du moins exempt de tels soucis. J'avais finalement puisé dans ma besace et expliqué comment j'avais « rebondi », la seule fois où j'avais vécu la chose dans un cadre musical. (Le cours de programmation auquel je n'ai rien compris jadis ne compte pas.) La responsable des ressources humaines et ma future patronne m'avaient fixée d'un air perplexe: « Tu n'as rien rien de plus récent que ça? » Euh...

Je me suis reposée la question alors et j'ai réalisé que, au fond, une situation d'échec n'est perçue comme telle que si on choisit de la traiter comme telle. Quand j'ai dû recommencer un examen, je l'ai fait avec conviction. Des proches craignaient que je cède à la dépression, n'étant pas « outillée » pour faire face à un rejet d'une telle ampleur. En réalité, j'ai été triste moins d'une journée, puis je me suis retroussé les manches et me suis dit: « Ils vont voir ce qu'ils vont voir. » Bien sûr, aucune bévue monumentale n'a été commise lors de la reprise. Alors, pourquoi, cette fois, est-ce si difficile d'accepter qu'une autre personne ait choisi sciemment de vivre un échec? Au fond, l'expérience de vie, elle est pour moi.

6 commentaires:

Claudio Pinto a dit…

« J'ai souvenir d'un entretien d'embauche »... ce paragraphe m'a pratiquement glacé le dos. Tu ouvres ici (et ailleurs dans le texte) la porte à une foule de réflexions sur le sujet. Cela serait certainement matière à la rédaction d'un essai.
L'échec n'a plus rien de tabou depuis longtemps, à en croire les questions d'intervieweurs lors d'entretiens d'embauches (et autres). À lire qu'un professionnel de l'embauche t'ait demandé de trouver dans ton parcours un "échec" plus récent me montre à quel point tout cela est pris à la légère. C'en est presque dégoûtant. Et pour cette élève dont tu nous parles, cela me touche vraiment de prendre conscience de l'empathie du professeur. Finalement, vive tout ce qui nous force à rester le plus humain possible !

Venise a dit…
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Venise a dit…

Une chance que j'ai cliqué, je pensais que c'était un échec ... de chargement !
S'cusez ... l'heure n'est pas à la blague, mais je vis tellement d'échecs de chargement dans une journée.
S'cusez encore.

Allez, je suis sérieuse. C'est frappant comment tu le prends à coeur. Peut-être parce qu'il y a le vide à remplir. Je m'explique. Si la personne prenait à coeur sa possibilité d'échec, il n'y aurait pas de vide à remplir, et tu t'en ferais moins à mon avis.

Je pense, attention c'est mon diagnostic (merde, encore la blague qui revient), sérieux là, je pense que l'échec n'est pas tant important pour toi que prendre les choses à coeur. S'investir. Tu es tout, sauf vide, tu offres tout, sauf du vide.

Mais je peux me tromper, on se trompe souvent de loin, derrière un écran. Et si je me trompe, je ne le vivrai pas comme un échec, parce que je l'ai pris à coeur (hi ! hi !)

Le vide... rien pire que le vide ... euh, oui, y a pire, les échecs de chargement.

Mozaille, pas moyen d'être sérieuse deux minutes moi là.

Lucie a dit…

Claudio: Oui, tu as raison, on banalise l'échec, d'une certaine façon et la réforme en enseignement n'aide pas à la chose en plus. C'est en effet une question existentielle qu'il faudrait se poser.

Venise: oui, je ne peux pas comprendre de baisser les bras face à l'échec, une grande partie de mes « interrogations » viennent de là sans doute. Si j'avais été dans son cas, je me serais battue bien avant ça et aurais pris les moyens. Mais elle n'est pas moi et est probablement capable d'apprivoiser l'échec mieux que moi.

Merci aux autres qui m'ont contactée sur ce sujet via mon courriel.

Giusepe a dit…

J'ai souvent eu l'impression, chez certains de mes élèves, que "baisser les bras face à l'échec" était paradoxalement pour eux une manière de se protéger psychiquement.

Je veux dire par là qu'il leur est plus facile d'attribuer leur échec à un manque de préparation qu'à une cause dont ils ignorent l'origine, et qui les angoisse et les fragilise plus intimement.

Lucie a dit…

Guiseppe: c'est intéressant comme piste de réflexion. C'est vrai que j'ai déjà été moi-même tentée déjà de justifier une performance moins satisfaisante par la plate excuse du manque de préparation. Parfois, c'est vrai. Parfois, il y a effectivement beaucoup de non-dit.

L'élève a passé son examen, a échoué, complètement. Je l'ai accepté. Cela me déstabilise, mais j'ai accepté que c'était sa décision à elle...