mercredi 21 octobre 2009

Pollini Perspectives


De façon générale, je ne lis les notes de programme qu'en diagonale avant un concert ou une pièce de théâtre, préférant prolonger l'expérience de l'événement dans le wagon de métro qui me ramène chez moi ou même le lendemain ou surlendemain. Dans le cas du concert Pollini de la semaine dernière, j'aurais peut-être dû faire mes devoirs de façon un peu plus conséquente pour apprécier entièrement la maestria avec laquelle Pollini avait assemblé ce programme Chopin/Nono.

En effet, les trois œuvres de Nono présentées en deuxième partie, ... sofferte onde serene ..., dédiée à Pollini et sa femme, véritable quintessence de Nono, Djamila Boupacha et A floresta é jovem e cheja de vida possèdent toutes en leur coeur même un plaidoyer pour la paix, la sérénité et portent en filigrane la mort, celles de proches dans le cas de ... sofferte onde serene ... (les familles de Nono et de Pollini ayant été touchées), de combattants (Djamila Boupacha) et de milliers d'innocents (la dernière pièce, écrite en 1966, étant dédiée au front national de libération du Vietnam). Quand jumelées à une première partie qui comprend la Sonate « funèbre », la révolte du Premier Scherzo et la Deuxième Ballade (qui, selon le programme confié à Schumann parle de jeunes filles lithuaniennes persécutées par l'envahisseur russe qui se jettent dans un lac et se transforment en fleurs), on ne peut qu'être renversé par le souffle qui unit le propos. Au final, peu importe que je n'aie pas saisi toutes ces subtilités sur le champ puisque le concert continue de m'habiter.

Passons maintenant à l'interprétation proprement dite du matériel. Pollini reste égal à lui-même, en ce qu'il a une tendance à presser le tempo et continue de souhaiter nous éblouir par sa technique exceptionnelle. Dans la Ballade, cela a sans contredit empêché une certaine respiration naturelle de la pièce. (Mes élèves me reconnaîtront ici, avec mon insistance persistante à les forcer à respirer.) Dans le Scherzo ou le dernier mouvement de la Sonate, cela a permis de révéler toute la folie sous-jacente de l'oeuvre. Malgré ces réserves, plusieurs moments de magie se sont insérés en filigrane. Je retiendrai la poésie brute du mouvement lent de la Sonate, pourtant surjoué, la subtilité des pianissimos (qu'on entend de façon remarquable grâce à l'acoustique de Pleyel, dont la réputation n'est absolument pas surfaite), la tendresse qui s'échappait de ces pages et la respiration jamais entravée (enfin!). Dans ... sofferte onde serene..., cela a permis un contrepoint étonnant entre bande (enregistrée par Pollini et projetée) et les interventions « live » du piano, qui faisait ressortir un dialogue entre textures, couleurs (la pureté du Steinway et les effets de la bande) et émotions. (Le réputé froid Pollini ne pouvait que se laisser envahir par ses souvenirs, plus de 30 ans après la première de l'oeuvre.)

Le lancinant et profondément émouvant Djamila Boupacha a été admirablement rendu par la soprano Barbara Hannigan (une Canadienne, comme j'ai pu l'apprendre en lisant les biographies des artistes quelques jours après!) qui a réussi à en transmettre les moindres subtilités. La pièce de résistance A floresta é jovem e cheja de vida (une quarantaine de minutes) exigeait une concentration extrême, tant de la part des interprètes (chapeau au clarinettiste Alain Damiens notamment) que du public. Plusieurs n'étaient pas prêts à s'investir et, à mon grand désarroi, j'ai pu assister à des sorties massives (et parfois peu discrètes) de bien-pensants, sans doute frustrés que le grand Maurizio ait quitté la scène pour la soirée, agressés par la « violence » de la partition ou pressés de retrouver l'atmosphère feutrée des brasseries des environs de la salle. Il n'y a pas à douter: une mise en contexte - je dirais même plus: une mise en abime - aurait été essentielle pour apprivoiser cette partition dense, de laquelle j'ai l'impression qu'on peut extraire de multiples strates à chaque écoute supplémentaire. Je ne prétendrai pas avoir tout saisi - loin de là - mais je peux affirmer que la démarche artistique de Nono et les interprétations impeccables des dix interprètes, sous la direction de Marino Formenti, continuent de m'interpeller depuis une semaine. Un programme exigeant, donc, mais satisfaisant.

Alain Cochard a beaucoup moins aimé que moi sa soirée. Lire ici...
Les oeuvres de Nono ont été présentées à Londres il y a quelques mois. Classical Iconoclast (dont je découvrais le blogue) en parlait alors...
J'ai interviewé Pollini il y a trois ans. Lire l'article...

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