jeudi 22 janvier 2015

Auditions ou Me, Myself and I: magistral

Photo: Marc-André Goulet
Déjà, dans What Bloody Man is That, punk operetta autour de Macbeth présentée dans le cadre de l’OFFTA en 2013, Angela Konrad multipliait mises en abyme et manichéismes, voilait la limite entre arrière et avant-scène. Elle poursuit cette fois son travail de déconstruction autant que de réinterprétation ici en s’attaquant au monumental Richard III, dernier tome de la première tétralogie historique de Shakespeare, nous proposant ce faisant une réflexion sur le théâtre du pouvoir (et de la cruauté) et le pouvoir (ou la cruauté) du théâtre.

Dans la salle de répétition du Quat’Sous, Ricki, une metteure en scène plus grande que nature, fait passer des auditions pour sa relecture de Richard III. Même si elle n’a pas encore décidé de l’angle concret de sa démarche, elle manipule, humilie, susurre, hurle, cajole, pousse à l’effondrement les candidats. Elle sait déjà qu’elle « va garder les plus fragiles parce que leur inconscient est riche ». Nous rencontrerons ainsi Miki, « acteur de catégorie A » que l’on n’a pourtant pas vu depuis des lustres sur les planches, plus préoccupé par son portefeuille d’actions et sa libido que par le texte, Niki, jeune comédienne à la fragilité évidente qui peine à oublier sa vie personnelle, Vicki l’assistante ayant décortiqué les moindres rouages du texte et Kiki, mère de Ricki, actrice sur le retour qui connaît les tirades de tous les personnages féminins de la pièce par cœur (ou presque).  

Photo: Marc-André Goulet
Impossible de s’ennuyer une seule seconde pendant une heure et quarante-cinq, entre les extraits de Richard III (qui sera présenté dans son intégralité au TNM en mars), traités de façon plus ou moins décalée selon le moment, les dialogues vitrioliques, les multiples clins d’œil aux codes et dessous théâtraux (on reste toujours conscient d’être devant des comédiens jouant des acteurs) et surtout les interprétations remarquables de la distribution. Celle-ci est portée à bout de bras par le souffle et la puissance de Dominique Quesnel, encore plus renversante ici que dans son rôle de Lady Macbeth, interprète de prédilection avec raison de Konrad, qui passe en un clin d’œil de la fureur du despote à la vulnérabilité de l’artiste en processus de création, du sarcasme à l’intériorité. On pensait l’avoir vu aborder tous les registres, mais Angela Konrad lui offre à la fin de la représentation un véritable morceau de bravoure, alors qu’elle soliloque les dernières répliques de la pièce. Elle est entourée de Philippe Cousineau (qui avait incarné Macbeth, encore une fois d’une belle polyvalence), Marie-Laurence Moreau (souvent bouleversante en Niki), Stéphanie Cardi (qui explose littéralement quand elle dresse l’arbre généalogique des Plantagenet) et Lise Roy (impeccable en mère qui ne demande qu’à jouer pour sa fille).

Avec quelques accessoires tout au plus (Stéphanie Cardi sert de régisseuse) et une utilisation habile des lieux, Angela Konrad nous en met plein la vue. À travers son filtre puissant, Shakespeare n’a pas fini de se révéler – et de nous rappeler combien l’homme peut se montrer bas et vil.


Deux représentations supplémentaires ont été annoncées. Faites vite! Toutes les autres se donnent à guichet fermé.

2 commentaires:

Topinambulle a dit…

Tu m'as convaincue ! J'ai très hâte d'y assister :)

Lucie a dit…

J'ai hâte que tu m'en parles!