mercredi 11 février 2015

Doublé Ionesco

Le Théâtre Denise-Pelletier présente ces jours-ci le classique doublé Ionesco La cantatrice chauve / La leçon, dans la mise en scène de Frédéric Dubois. La relecture de Dubois de ces classiques du théâtre de l'absurde (les deux premières pièces d'Ionesco, rappelons-le) se révèle des plus réussies - j'y reviendrai dans quelques instants -, mais voir la production en après-midi, avec un public d'adolescents, pourtant relativement disciplinés, m'a fait réfléchir. Quelle résonance peuvent-ils trouver à La cantatrice chauve, anti-pièce où il ne se passe au fond rien, qui déboulonne l'un après l'autre tous les codes du genre?
Photo: Frédérique Ménard-Aubin

À plusieurs moments, je les ai senti décrocher - sans s'agiter ou chahuter cependant -, entendu marmonner quelques mots vaguement excédés à leur voisin. À l'entracte, certains mentionnaient s'être endormis. La question de la préparation au spectacle reste entière. Si La leçon a une portée presque intemporelle de par sa nature même - difficile de faire plus classique que la relation professeur-élève - et peut être présentée sans références à la démarche du dramaturge, difficile d'en dire auant de La cantatrice chauve. N'aurait-on pas avantage comme première incursion dans cet univers à jumeler La leçon à Délire à deux ou même aux Chaises? (La mise en scène de La leçon fait d'ailleurs un beau clin d’œil à cette pièce.)

L'amateur de théâtre sera néanmoins comblé par le doublé. Plutôt que d'opter pour un appartement des « environs de Londres » démodé et terne, Frédéric Dubois choisit un habillage vitaminé, le plancher bleu rappelant les parquets de certains espaces publics, maximisant l'impression de décalage entre les mots et le rendu. L'idée d'avoir transformé la bonne en infirmière coquine (Catherine Larochelle, parfaite dans le rôle) et la chorégraphie explosive intégrée à sa déclamation du poème « Le feu » se révèle juste assez décalée pour être convaincante. Le capitaine des pompiers devient un clown presque vulgaire, portant pyjama et robe de chambre soufflant des ballons de baudruche, bien défendu par Éliot Laprise (qui fera une bonne juste assez bougonne dans La leçon, après un tirage au sort à l'entracte qui ajoute du piquant à la donne).

Photo: Frédérique Ménard-Aubin
L'impression de rêve est bien rendue par l'utilisation des silences et les ralentissements de l'articulation, comme si chaque phrase se trouvait suspendue, que chaque personnage jouait dans une pièce indépendante, que chacun au fond avait perdu tout souvenir (et non seulement M. et Mme Martin), que tous sont peut-être bien pensionnaires d'un curieux hôpital pour patients souffrants d'Alzheimer. Le tout est habilement ponctué par les commentaires musicaux et les bruitages efficaces de Pascal Robitaille, l'accordéon nous rappelant plutôt Paris que Londres, mais ajoutant une touche presque surannée à la proposition.

La mise en scène de La leçon se veut plus classique, les costumes rappelant nombre de productions de pièces de Molière, mais la soutane noire renvoyant fatalement à l'habit des religieux (et rappelant certains « excès » associés aux ordres). Simon Dépôt et Monelle Guertin (M. et Mme Martin dans la première pièce) ont offert une belle complémentarité, une complicité même qui fait que l'on croit sur le champ à la proposition. L'habillage musical (qui comprend quelques clins d’œil à la première pièce), plus discret peut-être, se révèle néanmoins très efficace, tout comme l'utilisation du tableau lumineux qui sert de soutien pour la - difficile - leçon d'arithmétique. 

Il nous reste à souhaiter que le Théâtre des fonds de tiroirs revisite dans un avenir prévisible Ionesco.

Jusqu'au 28 février au Théâtre Denise-Pelletier.







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