Valse-hésitation entre les protagonistes, tango alambiqué entre le vécu et les rêves de la narratrice, réfraction entre le chant du cantor de synagogue qui brime en même temps qu’il libère, Judas de Tassia Trifiatis a les défauts de ses qualités. En voulant explorer un univers inusité, l’auteure m’a fait hésiter entre tendresse et énervement, la poésie de son style ne réussissant pas à masquer les mines dissimulées un peu partout en sous-texte, prêtes à exploser au moindre pas. Quand on s’y attarde, l’histoire est simple : un amour improbable entre Neffeli, jeune Grecque des plus affranchies mais ployant sous le poids de la tradition et Yéhouda, grand garçon juif orthodoxe écrasé par les diktats de sa religion mais qui au fond, ne demande qu’à s’en affranchir. Deux êtres finalement pas si différents de nous tous.
Le point de départ de l’histoire ne m’a jamais entièrement convaincue et cela m’a empêchée par moments de me laisser subjuguer par le récit. Comment imaginer, même en s’assumant en tant que suprême deus ex machina, qu’une femme qui vient de se faire avorter puisse être ouverte à autre chose qu’à la douleur qui la traverse, qu’elle osera jeter un regard, fût-il désintéressé ou simplement amusé, sur ce Juif hassidique venu accompagner un parent? Je comprends bien – je serais tentée d’écrire « trop bien », l’auteure y revenant suffisamment abondamment pour que l’on ne l’oublie pas! – que Neffeli s’attache à Yéhouda en partie parce qu’elle cherche à combler ce vide en elle, physique et émotif. Mais est-ce suffisant pour amorcer une histoire aussi complexe que celle-ci? Je reste sceptique. Et pourquoi continue-t-elle d’écrire à ce mystérieux fiancé, égaré là-bas dans sa Syrie natale (et comment a-t-elle pu le rencontrer, celui-là)? Pourquoi n’ose-t-elle pas s’assumer entièrement et juge-t-elle avoir besoin de se réfugier dans le cocon familial? Il nous manque trop d’informations pour qu’on y croie entièrement.
Le style est fluide et contient suffisamment d’images réussies pour qu’on s’y attarde quelques instants en les lisant.
« Comme des bulles de savon, ses expériences avec moi lui éclataient au visage. Et il jubilait. Je lui avais mis de la boue sur les paupières. Depuis, il voyait. » (page 61) L’histoire d’amour est suffisamment attachante pour que les personnages continuent de nous hanter, une fois le livre refermé. Pourtant, je continue de m’interroger sur les failles de ce premier roman, sa chute précipitée notamment. Après avoir choisi la voie (et la voix) de la tendresse, du lien qui se tisse doucement, aussi subtilement que la laine du châle de prière, Tassia Trifiatis fait basculer les amoureux dans le néant du quotidien qui reprend ses droits, avec une désinvolture presque violente qui m’a laissée des plus perplexes. Comme une histoire d’amour qui se termine en queue de poisson…
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