vendredi 3 octobre 2008

La gueule du loup


Elle a 28 ans, lui 30 de plus. Elle habite le Québec, lui la Belgique. Leurs routes se sont croisées dans Internet (on ne saura jamais comment). Ils ont entamé une relation épistolaire qui s'est muée en grand amour. On peut imaginer que des dizaines, des centaines de courriels ont été échangés avant qu'ils ne décident de se rencontrer « pour vrai ». « Le commun des mortels ne pouvait saisir la pureté, la fougue et la démesure de tels sentiments. Nous avions déjà fait mille fois l'amour avec les mots de l'autre. Nous nous étions cajolés par l'entremise du verbe et cela ne suffisait plus. » (p.12) Il lui paie un billet d'avion et elle s'apprête à découvrir le plat pays aussi bien que l'homme de sa vie. Roman à l'eau de rose, navrant de banalité? Les illusions seront de courte durée. Dès les premiers instants, la narratrice sait que cela ne fonctionnera pas. « Cette histoire se révélait navrante depuis que le mauvais sort l'écrivait à ma place, au mépris de mes lubies épistolaires. » (p. 25) Malgré tout, elle s'entête et restera pendant deux semaines, découvrant peu à peu un homme aigri, devenu l'ombre de lui-même, torturé par les regrets et rongé par la maladie, mais sous lequel elle retrouve des pans de celui qui a su la faire vibrer par les mots.

Nadia Gosselin signe avec ce premier roman un curieux conte pour adultes pas trop sages, dans lequel la Belle devient la Bête, le Petit chaperon rouge endosse l'habit du loup et Alice ne découvre pas le pays des merveilles mais les dessous d'Internet. En surface, il ne se passe presque rien: courses au supermarché, les visites médicales, les repas pris ensemble, les tentatives fort maladroites de rapprochement physique. Pourtant, grâce à la plume habile de Gosselin, on se laisse happer par cette histoire, en apparence morte-née, et on assiste, témoin impuissant, à un curieux voyage intérieur. Par moments, on hésite entre hurler à la narratrice de rentrer chez elle et une fascination de zoologiste pour ces deux loups atypiques - mais le sont-ils tant que ça, finalement? - qui voudraient bien se laisser apprivoiser mais qui ont oublié comment.

Malgré quelques lourdeurs stylistiques, quelques incohérences (l'histoire est narrée dix ans après l'« aventure », ce qui reste improbable quand on considère l'état des communications Internet il y a dix ans à peine) et un clin d'oeil un peu forcé du destin à l'avant-dernier chapitre, j'ai pris un plaisir certain à cette lecture et surveillerai avec intérêt le prochain roman de l'auteure.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Nadia Gosselin n'a pas seulement écrit un roman, elle a entre autre écrit un recueuil de poésie: sensualité et autres futilités refoulées, lequel est d'ailleurs très bon. je ne suis pas du genre à vraiment apprécié mes cours de français, mais je suis persuadée qu'elle en donne un bon, puisqu'elle est enseignante en français. tout cela pour dire que son premier roman, je crois, fût une réussite totale du début à la fin.