mardi 24 novembre 2009

Les petites filles dans leurs papiers de soie

Les blessures de l'enfance sont souvent les plus insidieuses. Morgan Le Thiec l'a compris et signe avec Les petites filles dans leurs papiers de soie un troublant recueil de 14 courtes nouvelles. À la limite entre expérience narrative et poétique, ces instantanés presque impressionnistes nous révèlent des personnages troublés, troubles, pourtant proches du lecteur. Raccourcis, ellipses, l'auteure suggère, insinue. « Il pleut sur la rue Scribe, sur le théâtre, à deux pas. Il pleut sur Nantes. Une pluie d'été pleine de chagrin. Je suis un assassin aux petits pieds, assis dans un café. Depuis quelques heures, j'ai un fils qui s'appelle Emmanuel. » (p. 89) Peu de mots inutiles, chaque phrase semble calibrée avec une minutie presque maniaque. Plutôt que des vagues de mots, on en perçoit plutôt des éclats, comme si l'auteure avait cherché à concentrer au maximum les heures de non-dits, la douleur de l'abandon, le malaise, l'incompréhension.

Morgan Le Thiec manie la chute avec une dextérité étonnante, nous laissant tantôt errer quelques minutes, seuls dans une brume d'émotions (La Naine rouge, En ce jour infranchissable, ou L'Héritier par exemple), précipitant la déchirure à d'autres (Coquelicot ou Memorial Drive). Aurait-elle le souffle pour produire un roman? Il faudra voir. Mais quand vient le temps d'extraire l'émotion, elle est remarquable. À savourer à petites doses, en laissant les destins des personnages se mêler à notre quotidien quelques instants encore.

8 commentaires:

Wictoriane a dit…

un livre, le titre, le style qui me parlent !

Lucie a dit…

En effet, c'est tout à fait ton genre! ;-)

Anonyme a dit…

BON DEPART

Martin a dit…

Je tiens d'abord à vous féliciter. J'apprécie beaucoup la qualité de vos billets. Par contre, un petit quelque chose me chicote dans celui-ci: pourquoi demander si l'auteure dont il est question aurait le souffle pour produire un roman? Pourquoi ajouter: il faudra voir? La nouvelle doit-elle obligatoirement mener au roman? N'est-elle qu'un sous-genre qui permet de s'entraîner pour accéder au roman?

Lucie a dit…

Martin: Merci pour les bons mots.
En effet, on peut souhaiter se consacrer exclusivement à la nouvelle. Par contre, dans la littérature francophone, le genre semble très souvent être un « entre deux », un divertissement entre deux textes plus substantiels, un plaisir que ce fait l'auteur. C'est bien dommage, au fond. Les auteurs anglophones (comme Carver par exemple) ou même hispanophones ont compris que le genre est noble et mérite d'être pratiqué à temps plein.
Au fond, j'aurais peut-être dû plutôt écrire que je souhaiterais presque qu'elle ne se consacre pas au roman, qu'elle garde ce regard incisif sur l'infiniment petit.

Martin a dit…

Voilà, nous sommes bien sur la même longueur d'onde (ou de textes...) Vous citez à propos l'exemple de Carver, moi j'avais en tête Cortazar et Borges (qui illustrent parfaitement la tradition hispanophone que vous évoquez).

Lucie a dit…

J'ai failli citer Borges... qui attend patiemment dans ma PAL justement!

Martin a dit…

Borges est à mon humble avis l'exemple le plus frappant. Tout en étant considéré par plusieurs comme un des grands écrivains du 20ième siècle, il n'a jamais senti le besoin de recourir au cadre plus large du roman pour exprimer son génie... qui était pourtant immense!