lundi 24 octobre 2011

La concession

Marc Ory nous avait fait découvrir les dédales de la Venise du 18e siècle, à travers l'histoire inusitée d'un couple de jumeaux siamois chanteurs d'opéra dans Zanipolo. Cette fois, il nous propose plutôt un voyage dans le 21e siècle, plus précisément en 2030, alors que Paris est occupée par les Chinois. Science-fiction? Dès le début, le lecteur doute. L'auteur évoque-t-il ici quelque chose d'inconcevable? Peut-être pas tant que cela, si l'on examine avec attention la montée de la Chine en tant que puissance politique et surtout économique dans les dernières années, revers pas si improbable au passé colonisateur  de la France.

Il faut saluer l'adresse avec laquelle Ory nous plonge dans cette métropole qui, malgré la présence de l'occupant et la véhémence de la résistance, demeure une ville de culture, les musées y jouant un rôle essentiel - et la production de lingerie fine un rôle secondaire non négligeable. Une histoire d'amour à la Roméo et Juliette, condamnée dès ses premiers instants, entre explorateur français et jeune femme chinoise, récit miroir, est juxtaposée à la trame futuriste, offrant un délicat équilibre. Le style est volontairement précis, efficace, rapide, quand on baigne dans le 21e siècle, plus éthéré et « écrit » lorsque l'on bascule un siècle en arrière.

Les portraits de personnages sont adroitement esquissés. On rêve de voir l'amour récompensé, petit Pierre guérir (on sera déçu, mais peu importe), découvre avec fascination ce qui anime les protagonistes, s'attendrit à la pensée de ces robots de maison qui, non seulement s'occupent du ménage ou de la gestion de la prise de médicaments, sourient à ses maîtres, ont besoin d'écouter des histoires. Néanmoins, alors qu'on souhaite se laisser emporter par un récit rondement mené, on trébuche parfois dans des descriptions muséales longuettes et des analyses politiques ambigües. D'autre part, le propos continue d'interroger, plusieurs jours après que l'on ait refermé le livre (ce qui explique en grande partie pourquoi j'ai attendu une semaine avant de publier ce commentaire). Il aurait été si simple pour le lecteur de prendre parti si les personnages des Chinois du roman, loin d'être des extraterrestres sans foi ni loi, ne possédaient pas eux aussi une réelle densité. Et si tout cela était possible? L'amour pourrait-il triompher de la haine, de l'oppression? Où commence la démesure? Fonçons-nous tout droit vers l'inévitable? Comme dans Zanipolo, l'auteur privilégie les zones de gris et refuse la facilité. Comment pourrait-on lui reprocher?


3 commentaires:

Libraire philanthrope a dit…

Cette lecture me semble fort intéressante, à entreprendre dans un moment où on est prêt à réfléchir un peu...

En découvrant ta liste de lecture dans la bande verticale de droite, je constate à quel point tu adores lire. Bravo, je t'envie de découvrir autant de livres en si peu de temps!

Venise a dit…

Une petite balade en 2030, c'est pas si loin, à peu près une extension de la réalité. Un exercice à lire et à faire.

Toujours surprise de voir tes choix de lecture si hétéroclites. Ça me rend curieuse de voir derrière le rideau, quelle est l'histoire de ce livre, comment s'est-il retrouvé entre tes mains.

Lucie a dit…

Libraire: et moi qui ai l'impression de ne pas avoir le temps de lire récemment, à part des trucs de boulot.

Venise: j'avais lu Zanipolo - que j'avais beaucoup aimé - et l'attachée de presse m'a donc fait parvenir ce titre que j'aurais peut-être hésité à ramasser en librairie. En même temps, j'étais curieuse de savoir où l'auteur m'amènerait avec un tel propos et, aucun doute, Marc Ory sait écrire.